Le rendez-vous stipulait 19h45, samedi 6 avril 2019, au niveau de la salle de presse du festival Chorus, qui se déroulait à la Seine Musicale du 3 au 7 avril dernier. Pour accéder à la salle, il faut passer par l’espace VIP, ce dernier étant occupé pour préparer le cocktail qu’offrait le département, impossible d’y accéder sans l’autorisation des responsables. Cinq minutes plus tard, la situation se décante, et nous pouvons enfin accéder à la salle, où je trouve Flèche Love, en plein interview avec des confrères.

J’ai découvert Amina Cadelli, plus connue sous le nom de Flèche Love, ex voix du groupe Kadebostany, sur la scène du Pan Pipper à paris le mois dernier. C’était au cours de la soirée spéciale Femmes, organisée par le festival les Femmes s’en mêlent, le 8 mars dernier. Ce soir-là, c’est une Flèche Love pleine d’énergie et intrigante que j’ai pris plaisir à admirer. Elle qui se glisse dans la peau de personnages féminins tels que Camille Claudel ou Kurt Gödel, vient de sortir son premier opus Naga (Part 1) dans lequel elle évoque des rituels mystiques, tantôt religieux ou païens.

Ce soir, j’ai surtout envie qu’elle m’explique le principe de Sororité qu’elle défend avec énergie, qu’elle me parle de son album et de ses combats en tant qu’artiste. Ça tombe bien, sa précédente interview s’achève, c’est à moi de prendre place. Elle m’accueille chaleureusement, on échange quelques banalités, je lui parle du concert au Pan Pipper au cours duquel j’ai fait la connaissance de sa mère, on parle aussi de Thérèse, une connaissance qu’on a en commun. Je remarque qu’elle porte déjà sa tenue de scène, la même que le 8 mars dernier et certainement cela vaut aussi pour ses autres concerts.

En aparté

Salut Flèche, merci de m’accorder cet aparté. Pour commencer, est-ce que tu peux expliquer avec tes mots, à un profane comme moi, le principe de Sororité dont tu parles tant ?

Flèche Love : Pendant longtemps de par mon éducation, l’école, la société, on m’a appris que les femmes s’étaient des rivales, qu’il n’y avait pas de places pour toutes, qu’il ne faut pas qu’une de tes copines te vole ton copain. Du coup ça crée une dynamique de rivalités constante entre femmes. Ça m’a beaucoup épuisée et j’ai commencé à me renseigner là-dessus, sur la Sororité, j’ai fait des cercles à manif de femmes… j’ai lâché quelque chose et j’ai compris que la Sororité c’est considérer des femmes comme des alliés, avancer ensemble et lâcher cette idée de rivalité. C’est vraiment cette idée de célébration de Sororité, de soutenir. Par exemple tu me parles de Thérèse (du duo La Vague), je vais à ses concerts, elle vient aux miens, on se soutien, on est toutes les deux des musiciennes, mais il y’a de la place pour tout le monde. C’est vraiment un truc de se célébrer entre nous, d’être là quand ça va mal et quand ça va bien aussi. Ça c’est un truc d’amitié, trouver des gens qui sont capables de te soutenir. Ça rejoint cette espèce de solidarité qu’on a inter humain, mais dont l’idée c’est vraiment de déconstruire cette construction sociale de « des femmes sont des rivales »

 Peut-on considérer Naga Part I comme une revanche sur ta vie passée ?

FL : Le truc de Naga Part 1 c’était d’exposer ce qui m’habite et ce qui me touche, notamment la spiritualité. Si tu veux les gens ils ont parfois un peu peur de la spiritualité, le fait de lire de grands livres dessus, d’entendre des grandes théories, je trouvais que le format de la chanson, pour ramener l’idée du développement personnel sur la spiritualité, était une bonne chose. Naga part 1 il y’a de moi évidemment, qui je suis, de mon chemin, de mes blessures comme tu dis chez tous les artistes. Mais il y’a aussi cette volonté de partager les découvertes que j’ai faite, ce que j’ai lu, ce que j’ai expérimenté dans la vie. Sister sur la Sororité, Shapeshifter sur la potentialité, c’est aussi cette idée-là si tu veux.

Finalement dans cet album tu parles très peu de toi ?

FL : Oui, c’est vrai.

Tu parles de Camille Claudel, de Kurt Gödel… qu’ont-ils en commun ?

FL : D’être très puissants déjà, d’avoir une puissance… Je crois beaucoup à la dualité, tu sais des fois dans le développement personnel il y’a cette idée qu’il faut toujours être heureux, moi j’y crois pas du tout. Je crois que l’être humain il faut qu’il explore toutes les facettes et émotions qu’il a à disposition. Si tu prends Kurt Gödel ou Camille Claudel c’est des gens qui étaient aussi fous que dans la bonté. Il y’a une sorte de complétude que je trouve intéressante. Dans le cas de Claudel comme Kurt le point commun c’est qu’ils ont finis fous alliés (rires). Ce qui m’intéresse c’est le cerveau et la frontière du cerveau, ce qui fait que tu bascules et ce qui fait que tous les jours, certaines personnes arrivent à être des gens bien et à continuer sur ce chemin.

Dans le titre Festa Tocandira, tu parles de la masculinité toxique, peux-tu nous éclairer sur le sujet ?

FL : Je me suis beaucoup posée des questions par rapport à Sisters ou qu’est-ce que c’est que d’être une femme ? Tu entends une femme c’est comme ça, un homme ça ne pleure pas… Autant c’est toxique pour les femmes de fixer une identité, autant ça l’est pour les hommes. Du coup dans « Festa Tocandira » c’est un rituel Amazonien où on force les hommes à mettre les mains dans les gants remplis de fourmis. La douleur d’une de ses fourmis équivaut à un coup de fusil, mais il y en a cent par main, ça dure cinq minutes et ils ne doivent pas pleurer et le faire vingt fois dans une vie pour prouver qu’ils sont virils.

Quand j’ai lu ça je me suis dit qu’est-ce que qui se passe si tu trouves en face d’un homme qui ne veut pas prouver ça. Qui a juste envie d’être sensible, complexe, puissant, vulnérable… qui a juste envie d’être tout.

La masculinité toxique c’est comme la féministe toxique, c’est quand on t’impose une identité et c’est étrange de penser qu’une identité puisse convenir à de milliers de personnes. La masculine toxique c’est de laisser les hommes exprimer leurs opinions.

La militante noire-américaine et poétesse Audre Lorde a été une source d’inspiration pour ton titre « Sisters« , c’est une référence pour toi ?

FL : Audre Lorde je ne sais pas si tu connais cette femme qui est incroyable : noire, américaine, lesbienne, engagée, activiste et qui a écrit un livre sur la Sororité. Ce que je trouve super intéressant, c’est qu’elle expliquait que oui la communauté c’est bien, mais ce qui est dangereux dans la communauté c’est quand tu nies que la réalité des femmes blanches est différente des femmes noires, asiatiques, les musulmanes. Elle prône une certaine communauté qui prend en compte la différence des gens, sinon on arrive dans cette espèce de féminisme blanc ou on dévoile les femmes en Algérie, on élève les sardines en Inde…

Qui est super dangereux et du coup c’est vraiment chez Audre Lorde cette idée de prendre les spécificités culturelles. Si tu prends trois femmes blanches et trois femmes noires, dans l’espace public c’est complètement différent. Et du coup ça m’a beaucoup intéressé et ouvert les yeux.

« Sister Outsider » est un livre incroyable, à un moment elle parle à une de ses amies blanches, lui explique ce que c’est que d’être noire et elle partage. C’est quelque chose dont on parle peu, en France aussi c’est vachement tabou ses sujets là. On fait semblant que tout le monde est inclut, qu’on vit la même réalité alors que c’est pas du tout vrai. C’est ça qu’elle m’a apporté notamment une ouverture sur d’autre réalités, une impartie aussi différente.

Tu fonctionnes plus à l’improvisation où il te faut préparer les choses à l’avance ?

FL : Tu veux dire quand j’écris des morceaux ?

Oui quand tu écris

FL : Je t’avoue C’est plus de l’impro, il n’y a rien qui rime, aucun morceau, souvent c’est que de l’improvisation et je me dis que ouais si c’est descendu comme ça c’est qu’il y’a quelque chose d’intéressant et que ça va me raconter quelque chose plus tard. J’aime bien cette idée de lâcher prise dans la création.

Est-ce que le fait de raconter des histoires sur des gens comme dans Naga Part I, est une sorte de thérapie pour toi ?

FL : Je suis passionnée d’histoire et d’ethnologie, je trouve que c’est une façon de rendre un tout petit hommage depuis ma petite place et ma petite personne aux gens qui me fascinent et puis vu que j’adore l’histoire, c’est un peu raconter des histoires en chansons. Tu sais je m’imagine avec des enfants autour en train de leur raconter une histoire, je trouve ça chouette.

Dernièrement c’était ton anniversaire et tu as sorti le clip de « True Love » que j’ai beaucoup aimé, quel est ton rapport à la spiritualité ?

FL : Tu veux dire au niveau de l’image ?

Oui, on aperçoit une vierge enceinte, des créatures divines, est-ce de l’ironie ?

FL : Non, alors moi je n’ai pas d’ironie, dans la vie oui, mais pas dans l’imagerie. Ce qui m’intéresse dans l’imagerie c’est que souvent quand j’écris, j’ai déjà des idées d’images, je travaille toujours avec Roberto Greco sur les images. Je vais faire des recherches ethnologiques historiques, culturelles, ça m’intéresse d’avoir de la symbolique et ça m’intéresse que les gens qui regardent mes clips ensuite ils peuvent amener l’image ou ils ont envie d’aller avec. Et si tu as envie de chercher des petits éléments auxquels te raccrocher ou pas du tout que tu puisses juste regarder et te dire je le prends ainsi.

Que cache tes tatouages ?

FL : Ils ne cachent rien, parce que ça ne cache pas, ça sublime mon corps que je n’ai pas choisi, mon visage que je n’ai pas choisi, l’idée est de faire de ce corps que je n’ai pas choisi une œuvre d’art.

Justement ce corps que tu n’as pas choisi, est-ce que tu le détestais et maintenant tu l’acceptes ?

FL : Ce n’est pas que je le détestais c’est juste que c’était une expérience étrange. Tu vois ça c’est ton visage, tu t’es réveillé avec ce visage et c’est ce visage que voient les gens, c’est une expérience particulière. Et tu sais dans le tatouage, tout à l’heure on parlait des ethnies, c’est des rites de passage, ma maman est Algérienne Berbère, mon arrière-grand-mère était tatouée, c’était des rites de passage, des rites initiatiques, de protection, il y’a aussi cette idée-là de retrouver une partie de la culture du côté de ma mère. Donc ça ne cache rien, ça sublime.

Et Naga 2 c’est pour quand ?

FL : Octobre normalement si tout se passe bien.

Et c’est sur ce dernier mot qu’on se sépare, quelques minutes avant de monter sur scène. Un concert à retrouver dans le live report de la 21ème édition du Festival Chorus.