« Diên Biên Phù, joli nom, pour un naufrage.
Diên Biên Phù,
Trois syllabes de sang, un son de claque et de défaite.
Pour nous, les hommes. »

Ainsi commence le premier roman du poète slameur Marc Alexandre Oho Bambe, alias Capitaine Alexandre. J’ai eu la chance de l’entendre en lire des extraits, au festival « Choucroute et Papillon » de Morieux (Côtes d’Armor). Ce jour là, dans la grande salle, le temps s’était suspendu. Vraiment sus-pen-du à ses lèvres, à cette chanson envoûtante, qui nous avait transporté dans son ‘monde-rêve’, avec l’histoire, sur fond de guerre d’Indochine, de ce soldat qui part, 20 ans après, à la recherche de Maï Lan, « la flamme de sa vie ».

Marc Alexandre Oho Bambe – Diên Biên Phù

Je me souviens de ce moment comme si c’était hier, un moment rare, qu’on ne peut partager qu’avec celles et ceux qui étaient là, ce jour-là. C’était une fin d’après-midi, un dimanche, et j’étais repartie légère, avec cette grâce que seuls les mots peuvent apporter. Dans mon sac, le livre de poésie « De terre, de mer, d’amour et de feu »[1], avec la dédicace de Capitaine Alexandre « des mots qui tremblent, d’orage, d’amour et d’espérance !!! ». Je n’avais pas pu m’offrir le roman, je n’avais plus les sous. Qu’importe, les livres s’empruntent et se frayent eux-mêmes un chemin différent pour arriver jusqu’à nous.

Un chemin comme un cadeau, offert par des amis, comme une parenthèse imposée par les évènements récents où les livres se rappellent à nous, dans l’urgence du chaos, dans la fumée des temps incertains, où seuls l’amour et les mots s’embrasent et nous éclairent. L’espérance aussi. Parce qu’il faut aimer, parce qu’il faut se rencontrer, parce que « mieux vaut un faux espoir que pas d’espoir du tout ».

La fille du taxi

Alors j’ai rencontré  « Diên Biên Phù », j’ai cherché Maï Lan moi aussi, avec Alexandre, avec la fille du taxi, avec M. Cho. J’ai vibré en découvrant les poèmes dispersés comme des papillons dans le casier de Maï, des mots qui venaient d’eux, des mots qu’il avait écrit en elle, des mots si beaux qu’ils volent au-dessus, au-dedans et vivent aussi en nous. J’ai aimé cette histoire d’amour, ces histoires d’amour, universelles et uniques, bouleversantes de vérité et de mystères. La fille au visage  lune, c’est l’amour incandescent que l’on poursuit toute sa vie et de l’autre côté, un autre amour, assurément sans passion, de celui qu’on quitte en ayant quand même le cœur déchiré, va comprendre… Mais est-ce de l’amour ?

L’honneur, Alexandre, l’honneur !

J’ai aimé la force de l’amitié avec Diop, le frère « d’âmes, d’art et d’armes » qui répète, habité « L’honneur, Alexandre, l’honneur !. Les traumatismes à jamais ancrés dans les chairs, l’honneur, oui, mais pas pour ces batailles là : « Certes, nous n’en manquions pas, d’honneur, mais ce n’était pas le même, nous ne combattions pas pour la liberté, mais pour annexer une terre, un pays, un imaginaire, un peuple. » L’honneur de l’ami Diop, au-dessus de la bêtise des hommes. Son retour dans sa terranga et son combat pour le Sénégal.

J’ai terminé ce roman magnifique à l’aube d’un jour déconfit, toujours à l’aune d’une espérance. « Résistance n’est qu’espérance » René Char. Un roman où se mêlent poèmes, quelques mots de René Char ou d’Aragon, correspondances, histoire d’amour, histoire d’écriture aussi… un habile dosage qui m’a fait vivre un moment de lecture quasiment mystique. J’aimerai citer une dernière fois l’auteur, et c’est promis, j’arrête ma chronique après ces quelques lignes. Je vous laisse tranquille… sauf pour vous conseiller de le lire, ou de souhaiter qu’un jour, il rencontre aussi votre route.

« J’ai osé.
Reprendre la route.
Malgré les doutes.
Et le temps passé à être un autre ».

Diên Biên Phù, de Marc Alexandre Oho Bambe. Sabine Wespier Editeur.

Prix Louis Guilloux 2018, Prix du premier roman de Chambéry, Prix des lectrices et des lecteurs de Villejuif, et Prix Roblès 2019.

[1] De terre, d’amour et de feu, de Marc Alexandre Oho Bambe. Mémoire d’encrier

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