Le mois dernier, le vendredi 24 aout 2021, Charlie Watts est mort. Avec ses collègues, Mick Jagger et Keith Richard, il semblait comme immortel, toujours sur scène. Il était un élément essentiel du son du groupe, comme l’ont reconnu ses deux leaders. Dans la fabrication du succès Satisfaction, il a joué un rôle important quoique discret.

1965, les Beatles sont au sommet du monde, Ils enchaînent les succès, les tubes, les concerts sold out, en Amérique et en Europe. Ils ont produit un film à leur propre gloire (« A hard day night’s »). Derrière, tout ce que l’Angleterre compte de maisons de disque, de producteurs, de musiciens rèvent de reproduire l’exploit.

Les Animals sont les premiers à décrocher la timbale avec «A  house of the raising sun » Mais ils ne seront pas capables de refaire un autre hit équivalent. Le manager des  Rolling Stones les proclame le principal concurrent des Beatles, les mauvais garçons face aux gentils Beatles, ceux avec qui on ne laisse pas sortir les filles. Mais ils sont loin de leurs modèles. Ils sont essentiellement un groupe de reprise. Pour avoir un premier hit conséquent ils sont obligés de demander aux Beatles de leur composer un morceau (« I wanna be your man »). Leur premier hit personnel est « As tear gone by » interprété par Marianne Faithfull, une ballade assez loin de l’image qu’ils veulent présenter.

Et puis arrive Satisfaction. Keith invente dans son sommeil le riff d’introduction et les premières paroles, Jagger écrit le reste, sans doute un de ses meilleurs textes. Simple, efficace, il dit toute la frustration d’un jeune homme dans la société de consommation.

Tout le monde se retrouve en studio. Faute de cuivres, Richard joue le riff à la guitare électrique en utilisant une pédale fuzz pour distordre le son, et donner l’impression d’un saxophone. Le groupe sort d’une tournée avec Roy Orbison[1]. Charlie joue une rythmique basée sur la partie de batterie de « Pretty Woman », le plus grand succès du binoclard. C’est martial, un brin macho.

Keith Richard aimerait bien qu’on réenregistre, avec des cuivres, une rythmique plus soul.[2]

Mais les Stones ne sont pas dans un studio anglais, à l’atmosphère policée. Ils sont à Los Angeles dans les studios RCA. Outre Andrew Loog Oldham, leur habituel manager-producteur, sont présents l’ingénieur du son David Hasselman, un vétéran de la guerre, et Jack Nitszche, l’arrangeur habituel de Phil Spector. Tout le monde est d’accord sur le fait que le morceau est bien comme il est, méchant à souhait. Hasselmann grossit un peu le son, et le tour est joué[3].

Le titre sort et explose d’un coup dans les hits parades. Les meilleurs chanteurs de Soul, Otis ReddingAretha Franklin le reprennent, formidable hommage des maîtres à leurs élèves blancs. Désormais, les Stones sont les bad guys de l’histoire, avec la beauté et la séduction du diable. Le titre avec sa rythmique puissante, la voix grinçante de Jagger,  le rugissement de la fuzz ne laisse aucun doute sur le fait que ces gens sont dangereux.

La maison de disque demande de rééditer l’exploit et les Stones s’exécutent. Ils sortent Get off of my cloud, 19th nerveux breakdown, Paint in black, Let’s spend the night together, Jumping Jack Flash. Tout un ensemble de hits caractérisés par le coté sombre et menaçant. Mais, malins, ils savent varier les attaques, les mélodies, le sens des paroles. Ils évitent soigneusement de se répéter. Seuls restent immuables les tambours brutaux de Charlie Watts.

Plus tard, le groupe se renforçe. Entre les guitaristes, les percussionnistes, les claviers, les cuivres, les choristes, c’est un véritable big band qui évolue sur scène. Immuable, impavide, Charlie catapulte le tout et assure un tempo d’enfer.

Qu’il repose en paix. 


[1] Sur tout cela voir « Life » l’autobiographie du guitariste (Robert Laffont 2010)

[2] Voir « Life » également.

[3] Sean Egan « the Rolling Stones » (Tournon 2009)

la photo d’en-tête présente Charlie Watts, en février 1965, à la télévision britannique. GEORGE WILKES ARCHIVE/GETTY IMAGES