La 16e édition d’Art’Up, la célèbre foire d’art contemporain lilloise s’est déroulée ce week-end (07-11/02/2024) autour de la thématique “dessiner les mondes”. Dans les dédales du Grand Palais, plus d’une centaine de galeries et éditeurs étaient rassemblés pour mettre leurs artistes en avant et les présenter au grand public.
Si Art’Up revenait pour la seizième fois, elle n’a cependant pas déçu ses visiteurs en innovant et en proposant une ouverture artistique sur le monde, notamment grâce à la présence de 25% de galeries étrangères, rassemblant artistes africains, italiens, néozélandais ou français… Une belle palette d’artistes a donc fait son arrivée à la foire et puisqu’il aurait impossible de tous les mentionner, voici les coups de coeurs de cette année :
La Galerie Albane
En entrant dans la foire et avant même de commencer à se perdre dans les kilomètres du grand palais, la galerie Albane alpague les visiteurs en revenant pour la huitième fois exposer à Art’Up. Cette année, elle met particulièrement en avant l’artiste Marc Le Rest et ses incroyables peintures. Celles-ci semblent presque fausses, ou créées par une intelligence artificielle tant elles dénotent et semble “parfaites”. Les visages des modèles répondent aux normes de beauté actuelles.

L’artiste, présent sur le stand tout au long de la foire indique qu’il a utilisé des photographies avec un effet de flou pour le fond de ses tableaux, afin de créer de la dimension et une impression de profondeur. Il a ensuite choisi de créer des portraits modernes et contemporains dans des costumes de différentes époques.

Ces costumes, explique Marc Le Rest, qui a débuté sa carrière comme designer textile, permettent un voyage dans le temps par le textile, les vêtements… alors que les visages sont modernes, maquillés à la mode des années 2020 : l’illuminateur de teint, la forme du sourcil, un léger contouring… Les visages des femmes représentées sur les tableaux forment un anachronisme particulièrement singulier et intéressant avec les costumes d’époques : robe du XVIII ème siècle, costume des années 50… Enfin, les détails des costumes et des textiles, sans doute conséquence du passé de l’artiste, sont admirables : les vêtements sont représentés dans le moindre détail : le métal des armures brille, les fils de couture sont dorés, les vêtements sont plissés avec dextérité.

L’implication de l’artiste dans ses œuvres est totale : les détails mais aussi la démarche artistique forcent le respect et l’admiration.

Le voyage Art’Up commence de façon spectaculaire avec ce style résolument contemporain qui promet qu’on se souvienne à coup sûr de ces immenses portraits !
La Kraemer Gallery
Parmi les innovations de cette édition, la Kraemer gallery, galerie strasbourgeoise se détache en proposant notamment les tableaux de l’artiste ivoirien Saint-Etienne Yeanzi, “fils spirituel de Frédéric Bruly Brouabre” d’après le galeriste.

L’artiste à plusieurs casquettes et dont plusieurs tableaux sont exposés, représente majoritairement des personnages de la scène africaine en quatre étapes. Le galeriste, enchanté de parler d’un de ses coups de coeur, explique le procédé de création de l’artiste : une étape de fond, une deuxième avec des personnages en négatif puis, il travaille les contours des personnages qui vont apparaître sur la toile finale. Enfin, il se sert de matières plastiques (bouteilles, tuyaux…) ramassées dans des bidonvilles en Côte d‘ivoire, les fait brûler et utilise une technique de goutte à goutte “relativement aléatoire mais précise” afin de pouvoir créer ses tableaux, signés d’une identité qui lui est très personnelle. Le galeriste de la Kraemer Gallery indique que c’est une démarche très intellectuelle et que le peintre, représentant de la nouvelle vague d’artistes africains, pourrait s’encrer dans une“démarche écologique”.

Dans la même galerie, un quart de tour vers la droite après les oeuvres de Yeanzi, trois tableaux sautent aux yeux de part leurs couleurs vives et leur abstraction légère : ils sont l’oeuvre de Lou Mameli.

Cette jeune artiste, présente sur le stand, propose trois huiles sur toile abstraites qui mettent en avant la féminité et qu’elle présente avec une certaine pudeur. L’artiste, modeste, avoue qu’elle préfère ne pas orienter les visiteurs vers le sens de ce qu’elle choisit de peindre et ainsi, ne pas cloisonner leur esprit. Elle souhaite avant tout que les gens puissent laisser libre cours à leur imagination en se laissant transporter par l’émotion provoquée par les formes et les couleurs de ses tableaux.
Lou Mameli, curieuse, me demande ce que je vois ou ressens à travers ses peintures. Après un temps de réflexion, l’imaginaire prend le dessus alors que je me prête au jeu volontiers et sans aucun guide, j’évoque la féminité, une vieille femme, des lys, l’orgasme abstrait ou peut-être même une vue d’un lac entouré par la nature.
Après plusieurs minutes de discussion et quelques questions, j’apprends que certains visiteurs ont vu des cygnes, des fleurs, des feuillages, une femme, un sexe féminin… à cette proposition, l’artiste qui rêve de création libre et de fantaisie, sourit et admet qu’il n’est pas difficile de faire cette interprétation.
Les couleurs et les motifs sont faits en plusieurs étapes, le temps que la peinture sèche pour pouvoir ajouter une nouvelle couche de peinture et ainsi créer une palette de nuances infinies. Les motifs eux, contrastent de façon harmonieuse avec les fonds bleus ou violets des tableaux et invitent les visiteurs de la foire à s’arrêter et à contempler ces tableaux pendant de longues minutes, à se créer leur propre ressenti et à voyager avec la légèreté qui semble constituer les oeuvres. Les trois tableaux, suspendus côte à côte semblent être là sans avoir besoin de justification à leur existence. Finalement, ils invitent à un voyage spirituel, à la légèreté, à la douceur et à l’évasion.
Kraemer Gallery, 2 rue du saumon 67000 Strasbourg
Instagram : saint_etienne_yeanzi
Come to Lux
Si l’art contemporain n’est pas réservé qu’aux autres, il en demeure parfois mystérieux, abstrait voire incompréhensible. Au premier abord, en s’approchant des toiles de Charles Kouang (ou Kouang C), on comprend la définition de l’art abstrait : des rayures et des tâches de peinture forment les oeuvres de cet artiste autodidacte, rappelant vaguement Pollock dans un style plus moderne.
L’artiste, présent sur le stand, se prête au jeu de l’interview avec un plaisir non feint. Il se lance dans l’explication de ses tableaux avec passion en évoquant la peinture abstraite comme moyen de “liberté d’expression et d’interprétation pour le visiteur.” Il explique que, passionné de spiritualité, il essaie, par ses tableaux, de faire ressentir des sentiments positifs tels que la joie et “l’illumination intérieure”.
Trois tableaux sont accrochés côte à côte : sur la droite, deux d’entre eux semblent complémentaires et sont “les portails de l’inconnu”, symbolisés par les bandes verticales de couleurs visibles sous les éclaboussures de peinture. “Chaque bande fait écho à un portail à franchir avec courage malgré les doutes qu’on peut avoir” explique le peintre. Ces oeuvres, résolument modernes, sont bien plus que des rayures et des tâches : une parfaite représentation de l’art abstrait en somme.

Ces tableaux nous invitent donc à une reflexion profonde : à nous poser des questions “malgré des craintes et des doutes”. L’artiste ajoute que les portails symbolisent le fait de “se demander si l’on est capable de prendre une décision, même si elle est difficile”

Questionné sur le choix des couleurs, l’artiste explique que rien n’est laissé au hasard, pas même les teintes utilisées. Le peintre enchaine rapidement en montrant le portail situé au centre (you make me feel good) et indique que pour cette oeuvre en particulier il a voulu des couleurs vives, éclatantes, mises en avant par l’éclairage qui contribue à la mise en valeur de l’oeuvre. Ces couleurs, espère l’artiste, doivent permettre aux visiteurs de ressentir de la joie, du bonheur, de la gaité, du bien-être…

Il est assez rare d’avoir autant d’explications sur des oeuvres abstraites, où les spectateurs sont en général amenés à chercher leur propre interprétation de l’œuvre sans connaître la symbolique de l’artiste mais c’est une décision complètement assumée par Charles Kouang qui déclare “j’aime plutôt expliquer (…) j’aime parler de la démarche, de ce qui m’a inspiré, comment je l’ai fait…” en précisant toutefois que chaque personne est libre de voir et ressentir ce qu’il ou elle souhaite devant ses tableaux. Si l’artiste assume son choix de vouloir expliciter ses œuvres au public c’est pour faire comprendre son message, celui de la joie qu’il espère susciter avec ses oeuvres notamment.

La dernière oeuvre (lâcher-prise) quant à elle, placée à gauche, combine jeu de couleurs et de textures et est très différente des “portails de l’inconnus”. Ici, point de tâches de peinture ou de bandes colorées mais des lignes brisées de couleurs qui s’harmonisent sur un fond de couleurs unies. Cette oeuvre fait partie de la série “connected to the forest”. L’artiste explique qu’il est passionné par “la nature, la terre” et a voulu retranscrire son émotion lorsqu’il se promène en forêt à travers cette oeuvre. Il explique aussi que la luminosité ou l’éclairage influent sur le tableau. En effet, tels les rayons du soleil qui coupent à travers les arbres pour éclairer le sol et créer des ombres, les peintures se reflètent différemment, brillent même parfois, selon la lumière.
Grâce à l’explication du peintre, il devient plus aisé de faire des parallèles entre le tableau et le calme qui règne en forêt, à la manière d’une promenade bucolique. Il ne fait aucun doute que le tableau serait merveilleusement mis en valeur à la lumière naturelle, avec les rayons du soleil pour souligner cet effet tridimensionnel, ce relief que l’artiste défini comme son “ADN artistique”.
Avec cette dernière peinture, ce n’est pas tant la joie que l’artiste veut véhiculer mais plutôt “le calme” que l’on peut obtenir si on parvient à “lâcher-prise” malgré les tourments ou les émotions négatives qui peuvent nous envahir.
L’artiste indique que ses inspirations sont surtout la nature, les couleurs, le ciel et travaille par thématiques pour parvenir à retranscrire des émotions dans ses tableaux. Il n’y a pas de recherches de représentation mais plutôt la volonté de transmettre un sentiment, voire un état d’esprit que l’artiste a ressenti et cherche à faire transparaître grâce à des couleurs et des motifs.
Après avoir admiré les trois tableaux présentés et en gardant les explications en tête, il est vrai qu’on peut ressentir une forme de joie avec les tableaux de la série “portails de l’inconnu” et ses couleurs vives, ses éclaboussures qui rappellent peut-être une folie ou un éclat de rire. Les textures apportent un relief magnifié par l’éclairage mis en place et les visiteurs peuvent être amenés à se sentir apaisés, joyeux même. Le tableau représentant le calme et la forêt lui, résonne particulièrement en chacun après les explications de l’artiste : qui ne rêve pas de lâcher-prise et de calme, pris dans le tourbillon d’Art’Up ? Cette oeuvre en particulier, incite peut-être plus que les autres à s’arrêter, à prendre le temps de respirer, de se concentrer sur le moment présent pour ensuite continuer sa visite.
Instagram : art_by_charles_portals
Galerie Come To Lux, 11 boulevard Joseph 2, 1840 Luxembourg
Caption Photo Gallery
L’art contemporain n’a pas de limite et Art’Up le prouve en mettant à l’honneur une galerie néerlandaise qui a fait le choix de présenter les photographies monochromes de deux artistes.

Sur un premier côté du stand, les photographies Kees Scherer sont légères : femme des années cinquante en bikini sur la plage, homme se reposant sur une chaise au jardin des Tuileries, couple dansant dans la pénombre… Un sourire aux lèvres, les visiteurs passent alors aux deux autres murs, recouverts par les oeuvres de Sebastião Salgado et qui nous décrit un tout autre monde : nous y voyons des réfugiés de guerre, un homme au regard triste et dont la photographie s’intitule “Agony of the Kurds”, une fillette pieds nus, le regard fixé sur l’objectif dans une école brésilienne en 1996.


Le galeriste explique la volonté de diviser l’espace du stand ainsi : à peine un tiers de l’espace montre la France dans les années cinquante, avec quelques images qui feraient sans doute scandale aujourd’hui.
Le propriétaire de la galerie ouvre des porte-documents et me montre une multitudes de photographies, parfois retrouvées dans les archives, parfois pliées ou usées par le temps. Sur l’un des clichés, on reconnaît la femme en bikini sur une plage du sud de la France, un photographe derrière elle avec son objectif dirigé sur ses fesses alors qu’un autre la photographie de profil, un paquet de cigarettes dépassant de son short de maillot de bain.
Puis, une autre facette du monde nous est présenté : un monde moins beau qui relate des massacres, des famines, de la pauvreté et des guerres à travers le monde : Amérique du Sud, Afrique… la beauté des photographies sert à mettre en avant la laideur du monde qui cohabite pourtant avec les couples dansant en plein Paris. Cette opposition permet de rendre compte du monde qui nous entoure en montrant deux visions du monde qui coexistent dans la vie, comme elles le font entre les murs de la foire.


Caption Photo Gallery, Zwaardstraat 16, 2584 TX Den Haag, Nederland
Instagram : Captionphotogallery
Alors que les visiteurs voguent dans les allées, parfois avec une flûte de champagne à la main, ils peuvent happés par ce qui semblent être de grandes photographies floues, représentant des voies urbaines nocturnes, les phares des voitures perçant la nuit. En s’approchant néanmoins, l’oeuvre d’art prend tout son sens alors que l’oeil réalise qu’il ne s’agit pas de photographies mais de peintures sur toile réalisées par Laetitia Giraud et présentées par la galerie Jamault. Ces toiles, d’un réalisme époustouflants sont pleines de profondeur et de contraste, notamment grâce au ciel nocturne peint en arrière-plan et à cet effet « bokeh » et flou autour des lumières de la ville ou des phares des véhicules.


Une fois dans le stand, les oeuvres de Guillaume Chansarel semblent sauter aux yeux : un pan de mur est constitué de peintures à peine plus grandes qu’une feuille A4 et qui se répètent sur toute la hauteur du mur, faisant lever la tête aux visiteurs. L’artiste qui, grâce à des techniques mixtes (encre de chine, aquarelle, gouache…) utilisées sur un papier craft, représente le haut des immeubles parisiens et le ciel avec un effet fish-eye, nous montre le paysage urbain sous un nouveau jour, comme si l’artiste s’était allongé sur le sol et avait représenté ce qu’il voyait.

Chaque oeuvre est unique et semble respirer de simplicité alors qu’une multitude de médiums sont en fait utilisés pour réaliser ces oeuvres. Le galeriste explique : “c’est toutes les techniques à l’eau (…)sur papier kraft” qui permettent ce rendu.
Pendant les heures passées à Art’Up, on retiendra aussi des oeuvres proposées par la galerie Cécile Chourine : posé à l’entrée du stand, “L’arbre au deux coeurs”, une création de Yann Perrier faîte de frêne, de pigments et de verre organique nous attire à la façon un gigantesque oeil de hibou. Un peu plus loin et attirant l’oeil d’une façon presque hypnotiques, les tableaux impressionnants d’Aurélien Grudzien faits de ciment sur bois et dont l’explosion semble vouloir sortir du cadre occupent l’espace sans mal et invitent les visiteurs à se rapprocher pour pouvoir en apprécier tous les détails.


Trifolium Gallery
Alors que les visiteurs se promènent et se bornent à regarder les murs la plupart du temps, ils sont happés par une étrange mise en scène : des méduses flottent, accrochées par des fils transparents, laissant un couloir pour laisser passer les visiteurs entre elles et atteindre une sculpture pyramidale en suspension, des photographies en grand format et enfin, de curieux tableaux semblant, à première vue, représenter des points.

Cependant, la galeriste du stand alpague avec sourire les visiteurs pour leur expliquer la démarche du stand et sa mise en scène artistique afin de mieux comprendre celle-ci.
La Galerie Trifolium est une “galerie d’art à impact” qui souhaite mettre en avant des questions environnementales et sociétales. Par exemple, l’artiste Olivier Coisne présente au public une œuvre composée de soixante-dix méduses qui viennent englober les visiteurs et qui montre la prolifération de celles-ci suite au réchauffement climatique. Elles créent un chemin vers la sculpture pyramidale en lévitation de Quentin Carnaille, présentée à Art’Up en exclusivité mondiale, et qui, selon la galeriste, interroge sur “l’élévation de l’Homme (qui) monte vers ce qui brille mais qui interroge sur sa place dans le monde ». En continuant le parcours créé, des photographies non retouchées signées Jérémy De Backer sont accrochées en grand format pour montrer la beauté de la planète en toute poésie. Enfin, le parcours se termine par les oeuvres d’Alexandre Wirth qui “titille les voyants” avec des oeuvres en braille et dont la première qui indique “on” sur une face et “off” sur l’autre interroge sur la capacité de l’Homme à se remettre en question, à passer à l’action pour comprendre les messages passés pendant l’exposition pour créer un monde plus durable.

La thématique d’Art’Up “dessiner les mondes” a donc été abordée d’une manière à inviter les visiteurs à “dessiner leur monde de demain”.

Pour sa seizième édition, Art’Up signe une magnifique réussite, notamment grâce à la venue de nouvelles galeries et de nouveaux artistes. La modernisation de l’évènement est grandement appréciable et la possibilité d’acheter son billet ou de voir le plan de la foire grâce à un QR code semble fonctionner et permet notamment un repérage moins ardu dans les dédales de la foire.
Sous les projecteurs teintés, le bar à champagne ne désemplit pas et bon nombre de visiteurs flânent un verre à la main tandis que les acheteurs trinquent avec les artistes et les galeristes. Cette année à nouveau, Art’Up confirme son engagement culturel et séduit son public sans aucune difficulté, permettant aux visiteurs de s’évader le temps d’un voyage culturel et spirituel au Grand Palais.



Photos : Lou
