Comme chaque année, je suis allé écouter des concerts au Festival de piano de la Roque d’Anthéron. Les concerts vont continuer jusqu’au 20 août.

Le 25 juillet 2024 à Silvacane

Le vieux cloître de l’Abbaye de Silvacane sert chaque année d’écrin à de nombreux concerts. Je suis toujours étonné qu’on utilise ce lieu qui était consacré au silence pour faire de la musique. La disposition des lieux n’est guère adaptée, nous sommes serrés sur de petites chaises, certains sont assis à des places aveugles d’où ils ne pouvent voir le musicien.   On y joue le plus souvent de la musique ancienne, au clavecin ou à la viole de gambe, mais il y a tout de même près de 700 ans entre la date de construction des murs du lieu et la date de composition de la musique. L’impression de plonger dans le passé est assez factice. Mais ne boudons pas notre plaisir.

Ce jour-là, c’était à Bertrand Cuiller d’officier au clavecin. J’avais vu dans l’après-midi l’accordeuse se battre avec l’instrument pour qu’il reste juste malgré la chaleur torride.

Bertrand Cuiller arrive à l’heure précise, pose ses partitions et débute le concert. Après une sonate de Bach et une suite de Lully et Anglebert, il nous demande ce que nous souhaitons écouter. Il a pour 2 heures de musique avec les partitions, et les contraintes du festival imposent que le concert ne dure qu’une heure. Certains festivaliers ont pris des places pour le spectacle du soir au Parc Florans, il faut leur permettre de changer de lieu pour rejoindre l’autre concert.

Bach ou Rameau, Rameau ou Bach ? À l’issue d’un vote à main levée, le public choisit Rameau. On se croirait dans un karaoké. C’est Rameau qui gagne, et de loin. Nous voilà partis pour Rameau, mâtiné d’un peu de Scarlatti. La musique est virtuose, les notes tombent en grappes, déferlantes comme des vagues. Dans la cour du cloître, on entend aussi le chant des oiseaux, la cymbalisation des cigales. Avec les notes du clavecin, c’est un brouillard sonore qui se répend dans l’abbaye, sans vraie mélodie, entre Sister Ray du Velvet Underground, le piano de Cecil Taylor et le bruit de Nine Inch Nails.

Le concert a atteint sa limite. Certains partent rejoindre l’autre concert qu’ils ont réservé ( « Attention, vous allez être en retard »leur dit Bertrand. ). Les autres ont droit aux bis. Bach enfin sur un rythme lent, un adagio, avant que la musique ne reparte dans sa course sans fin avec Scarlatti. 

Le concert a largement dépassé le délai prévu, nous ressortons de l’abbaye, comblés de musique, alors que la fraîcheur de la nuit nous permet enfin de respirer.

Le 30 juillet au Parc Florans

Nous voilà au Parc Florans, le navire amiral du festival. En sortant du pré qui sert de parking, nous remontons l’allée bordée de platanes, nous passons devant les cèdres. C’est un rituel presque immuable repris à chaque concert. La lumière du jour devient rasante, alors que nous présentons nos billets au contrôle d’entrée.

Ici, j’ai entendu Anne Queffelec dans le 24e concerto de Mozart, les 70 ans de Boulez, le Requiem Allemand de Brahms par le chœur Accentus accompagné par Brigitte Engerer. De la musique très classique, qui dans l’entrée de la nuit se mélange aux sons de la nature. Lorsque la lumière du jour disparaît, les oiseaux se taisent, les cigales aussi, des libellules montent du bassin sur lequel se trouve la scène, et lentement, le son du piano émerge.

J’ai aussi entendu le Shibusa Shirazu Orchestra, un improbable grand orchestre japonais, entre Sun Ra et Zappa. La salle se vidait de spectateurs scandalisés, alors que des méduses et des dragons gonflés d’hélium montaient dans le ciel, dépassaient les arbres centenaires.

Je viens voir Grandbrother, curieux de savoir si j’assisterais à un scandale proche du groupe japonais ou si le duo se fondrait dans le monde polissé du classique. Sur scène, un piano à queue bardé de capteurs et, à côté une table de mixage transformant les sons, créant des boucles. Un couple germano-suisse, Erol Sarp et Lucas Vogel anime l’ensemble. La musique qui sort est entre Tangerine Dream et la techno. Les deux sorciers s’agitent sur leurs instruments, s’adressent parfois au public, et produisent un groove constant de plus en plus irrésistible. Lorsqu’ils annoncent le dernier morceau, les filles se lèvent dans la salle et commencent à danser.  Le concert continue encore, les morceaux se succèdent, plus rien ne semble pouvoir les arrêter, tout l’amphithéâtre est debout, dansant dans les allées.

Le concert est fini, nous repartons par l’allée de platanes.

Temple de la musique classique, le festival de la Roque d’Anthéron reste encore un lieu de surprises.

Plus d’infos

Bernard Cuiller a plusieurs disques à son actif, dont un de pièces pour clavier de Rameau. Grandbrothers vient de sortir Late Reflections enregistré à la cathédrale de Cologne.