Dans une scène rap encore dominée par les hommes, Sika Rlion impose son univers singulier et son talent brut avec Intense, son premier album. Rencontre avec une artiste qui bouscule les codes et apporte un véritable vent de fraîcheur et de force qui mérite d’être entendu

Depuis notre rencontre au Paléo Festival à Nyon en juillet 2024, Sika Rlion n’a cessé de marquer l’univers musical, imposant sa voix unique et son énergie brute dans un milieu encore largement dominé par les hommes. À même pas 30 ans, cette artiste réunionnaise fait une entrée remarquée dans ce monde très viril, armée de son talent, de son authenticité et d’un engagement sans faille envers sa culture. Avec la sortie de son premier album Intense en septembre 2023, Sika a su conquérir le public, offrant un mélange puissant de rap, de reggae et de maloya, tout en restant fidèle à ses racines.

Dans le cadre du Crossroads Festival, où elle se produisait le 6 novembre dernier, Sika Rlion a pris le temps de revenir sur son parcours impressionnant, ses multiples influences musicales et son désir ardent de bousculer les codes. Avec une ambition claire : faire résonner la voix de La Réunion sur la scène mondiale. Un témoignage inspirant d’une artiste en pleine ascension, déterminée à imposer sa place dans le paysage musical français.

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Quand et comment as-tu commencé la musique ? Quelles ont été tes premières inspirations et influences ?

Sika Rlion : J’ai toujours baigné dans la musique. À La Réunion, la musique est omniprésente, surtout dans les rassemblements familiaux comme les pique-niques du dimanche, où l’on mange, boit, s’amuse et fait de la musique. Cela a commencé là, en famille. Ensuite, mon frère s’est mis à écrire, et j’ai voulu faire comme lui. Au début, je copiais, puis j’ai écrit mes propres textes. Plus tard, j’ai découvert le rap. Donc, c’était tout un cheminement qui a débuté très tôt.

En septembre 2023, tu as sorti ton premier EP Intense. T’attendais-tu à un tel accueil de la part du public ?

Pas vraiment. Avant cet EP, j’avais sorti des singles dont j’attendais plus d’engouement. Mais souvent, c’est quand je ne m’y attends pas que les choses prennent. Pour l’EP, j’ai mis tout mon cœur, tout en restant professionnelle. Cependant, je n’attends plus grand-chose à chaque sortie pour éviter la déception. L’accueil a été bon, mais je me dis qu’il y a encore du chemin à faire.

Mon engagement pour La Réunion est une part essentielle de ce que je suis.

Tes textes sont marqués par des paroles engagées. Cela vient-il naturellement ou réfléchis-tu à intégrer des messages sociétaux dans tes chansons ?

Pas forcément. J’écris ce que je vis : mes galères, mon histoire, celle de La Réunion. Cela vient naturellement. Mais je suis engagée dans ma personnalité, donc cela transparaît dans mes textes. J’aime me positionner et défendre mes idées, tout en restant ouverte aux points de vue des autres. Mon engagement pour La Réunion est une part essentielle de ce que je suis.

Tu parles souvent du maloya, mais que représente vraiment cette musique pour toi et comment l’intègres-tu dans ton univers ?

Le maloya est la musique des ancêtres, une musique de liberté. C’était la première forme d’expression musicale des esclaves réunionnais, influencée par l’Afrique. C’est une musique qui mêle percussions, chants répétitifs, danses et parfois même des combats. Pour moi, le maloya représente le cri des esclaves.

Tu combines justement le Maloya avec différents genres, le reggae ou le rap. Est-ce un choix délibéré ou cela reflète-t-il simplement ta liberté artistique ?

Je veux rester libre. Je ne veux pas me limiter à un style ou qu’on me mette dans une case. Mes sonorités sont naturellement métissées à cause de mes influences et des personnes avec qui je travaille. J’aime tout faire, et c’est aussi un message que je fais passer : je ne veux pas être catégorisée.

Parlant de métissage, La Réunion est omniprésente dans tes créations. Pourquoi cette identité est-elle si centrale dans ton travail ?

Parce que c’est en moi. J’ai vécu plus de 20 ans à La Réunion, et même si je suis en métropole aujourd’hui, mon identité réunionnaise est indissociable de ce que je fais. J’aspire à faire connaître la musique réunionnaise et à la faire avancer. C’est une fierté pour moi.

Quelles sont les influences qui t’inspirent le plus dans ta musique ?

Je suis très reggae : Bob Marley, le reggae de l’océan Indien, mais aussi les influences africaines, malgaches et mahoraises. Évidemment, le rap m’inspire aussi.

Écris-tu toi-même tous tes textes ou travailles-tu parfois en collaboration avec d’autres auteurs ?

À 95 %, oui. Mon équipe me donne parfois des retours pour améliorer la clairement des messages, mais j’écris et compose presque tout.

Dans ton titre Fait péter, tu chantes : « La Réunion m’entend ». Est-ce une manière de porter un message particulier à ton île natale ? Ressens-tu une forme de responsabilité vis-à-vis de tes origines ?

Je veux que La Réunion m’entende, non pas par peur de blesser mes origines, mais pour leur faire comprendre qu’on est ensemble. C’est une manière de dire : « Faites-moi confiance, je sais d’où je viens et quel message je dois transmettre. »

En tant que femme, ressens-tu des contraintes ou des difficultés dans un milieu souvent dominé par les hommes ?

Être une femme dans la musique peut être un défi, surtout dans le rap où il y a moins de femmes sur les grandes scènes. Cela dit, c’est aussi une force. Le moment est propice pour des artistes féminines et pour des messages nouveaux. Je me bats non seulement pour ma génération, mais aussi pour celles à venir. Dans mon équipe, on prend les décisions ensemble, et je me sens libre, ce qui est essentiel pour moi.

Avec une carrière qui commence à se faire remarquer, te considères-tu encore comme une artiste émergente ou as-tu le sentiment d’avoir franchi un cap ?

Oui, je me considère toujours comme émergente. Bien que j’aie acquis de l’expérience, je n’ai pas encore atteint mes objectifs. J’apprends encore et je suis toujours en évolution.

Dans un milieu parfois exigeant, comment parviens-tu à prendre du recul et à ne pas te laisser submerger ?

C’est La Réunion et ma famille qui m’aident à garder les pieds sur terre. Quand je rentre, je réalise tout ce que j’ai accompli. Je mène une vie simple, entourée des miens, et cela me permet de souffler.

Aujourd’hui, peux-tu dire que tu vis pleinement de ta musique ?

Oui, je vis de ma musique. Mais ce n’est pas acquis, donc je continue de travailler dur. Je suis reconnaissante envers mon équipe et mon public.

À quoi peut-on s’attendre pour la suite de ta carrière ? Prépares-tu déjà un nouvel album ou de nouveaux titres ?

Je travaille sur un nouvel album qui devrait sortir début 2025. On est en plein dedans, et j’espère que ça avancera vite.