Toujours plaire, c’est l’histoire d’une femme qui tombe le masque, qui écrit pour survivre, qui chante pour ne plus s’excuser. Un disque viscéral, intense, qui parle d’amour sans fard et de douleur transfigurée. On s’est retrouvés chez Ephelide, autour d’une table à manger, entre rires, confidences et vape légère. Rencontre avec une artiste qui ne cherche plus à séduire, seulement à être.
Elle est arrivée par le haut de la rue, dans un petit courant d’air d’avril. Casque en main, les joues rougies par l’effort, un léger retard accroché à sa voix comme un bout de la nuit encore présent.
— Pardon, ce n’est pas dans mes habitudes, souffle-t-elle avec un sourire désarmant.
Et soudain, le ton est donné. Celui d’une sincérité sans détour. Une présence douce mais sans esquive. Julia Jean-Baptiste entre dans une pièce comme elle entre dans ses chansons : sans bruit, sans costume, mais les émotions à fleur de peau.
On s’est déjà parlé, a deux reprises. Mais ce matin-là, dans les bureaux d’Ephelide, il se passe quelque chose. Peut-être parce que cette fois, elle ne protège plus rien. Ou alors parce que Toujours plaire, son deuxième album, ne laisse plus place au mensonge. C’est un disque qui se tient debout malgré les fractures, comme un corps qui aurait décidé de ne plus plier.
On délaisse le canapé moelleux de la salle d’interview pour la grande table ronde. Elle me lance un regard complice, une vapote entre les doigts :
— Tu as aussi une cigarette électronique ? Cool, on pourra faire l’interview en vapotant.
Elle rigole. Moi aussi. Et on plonge.
Un album de résilience
Depuis notre dernière rencontre, Julia a tourné, beaucoup. Des premières parties (Cœur de Pirate, La Grande Sophie, Marie-Flore), des concerts un peu partout. Et entre deux trains, elle a recommencé à écrire. En partant de là où ça faisait mal. D’un moment personnel difficile. « J’avais besoin de dire des choses plus intimes. D’aller dans mes profondeurs. Ciné-Rama, c’était un regard vers les autres. Là, c’est vers moi que je me tourne. »
Deux ans après Ciné-Rama, album cinéphile et solaire, elle revient avec un disque qui cogne plus fort. Toujours plaire, c’est un titre trompe-l’œil. Une phrase qui évoque à la fois l’injonction sociale et la lassitude de vouloir être aimée par défaut.
— C’est ironique, évidemment. C’est un disque pour déconstruire ça. J’en avais marre d’essayer. D’être lisse. D’être conforme à ce qu’on attend de moi.
Ce deuxième album n’est pas une suite. C’est une brèche. Un endroit où elle s’autorise tout : la colère, le silence, la nuit, le vertige. « Qu’on puisse pas toujours plaire, dans le fond à quoi ça sert ? Le temps s’en va, » chante-t-elle.
Composé à quatre mains avec Jean-Sylvain Le Gouic (son complice de toujours), mixé par Yuksek, Toujours plaire est le premier disque où Julia tient absolument toutes les rênes.
— J’ai tout validé, tout porté. Pour la première fois, c’est vraiment moi. Y’a pas de filtre, pas de vernis.
Les chansons ressemblent à des monologues qu’on aurait griffonnés dans un carnet puis mis en musique sans les lisser. Elles racontent une réconciliation avec soi, un journal de bord d’une traversée intérieure.
Une mue commencée par la douleur
Le point de départ, c’est « Éternité ». Un morceau fragile et puissant, qui évoque une relation d’emprise.
— Je n’étais pas prête à dire « je », Je parlais de « elle », de « tu ». Mais c’est une chanson qui m’a ouverte, qui m’a autorisée à dire des choses plus dures. C’est sorti de manière animale. Avant, je ne me permettais pas d’être en colère. Là, j’ai craqué l’armure.
La chanson évoque le temps qui déraille : À 20 ans, une éternité. À 30 ans, une éternité. Et ce sentiment que certaines traces ne s’effacent jamais. Cette lucidité, Julia l’a couchée sur tout l’album.
— J’étais dans une période très dure. J’avais besoin d’écrire sur un moment ancien qui s’était rouvert. Ça faisait mal, mais je crois que la musique m’a sauvée.
C’est une chanson charnière, qui a donné le ton du disque.
Une suite de portraits intérieurs
Les dix titres de l’album dessinent un journal de bord. Chaque morceau est un étage de la reconstruction.
Dans « Dans le noir », elle choisit de rester au lit, dans la pénombre : « Pour faire durer la nuit. Dans l’noir, confort infini, des contours de ma vie. » Le repli n’est pas une faiblesse, c’est une stratégie de survie.
« Tire-toi » inverse la dynamique. C’est une libération masquée en chanson pop : « Vas-y chéri tire-toi. Dès demain mon monde tournera. Moi je t’en veux pas. Vraiment, bébé tire-toi. » On pourrait croire à un pied de nez, un au revoir léger. Mais sous la légèreté, une solitude rugueuse. Une dignité retrouvée.
Et puis il y a « Le silence », où elle avoue ne jamais trouver le calme : « Dans ma tête il n’y a jamais de silence. Même au milieu de la nuit, mes idées ont d’autres envies.«
Les mélodies, elle les envoie valser. Trop de bruit. Trop d’images. Trop de mémoire.
La structure du disque elle-même devient spirale, comme le morceau du même nom : « A-a-a-a-a-a, j’entre dans la spirale. » Un tourbillon mental, une transe douce-amère. Julia transforme ses névroses en groove. Ça fait danser. Et pleurer, en même temps
Et au bout du tunnel, il y a « Les Lilas ».
— C’est la première chanson que j’ai écrite. Une chanson métaphore. Les lilas, ce sont des fleurs enracinées, qui plient sous le vent mais tiennent debout. J’avais besoin de ça. D’écrire quelque chose qui me rappelle pourquoi je fais de la musique.
Aimer malgré tout
Le paradoxe du disque, c’est qu’il parle d’amours douloureuses alors que Julia vit une histoire d’amour stable depuis cinq ans.
— Ce sont des récits anciens. Mais il y a deux ans, tout est remonté. Un rien a suffi. Comme un coup de vent dans la poussière. Et j’ai tout remis dans les chansons.
Elle a tout mis dans la musique. Et dans « Le dernier trophée », elle affirme : « L’amour sera le dernier trophée. Il saura où aller« . Ce n’est pas de l’espoir naïf. C’est la conviction, profonde, que l’amour (le vrai, pas celui qui détruit) reste ce qui nous tient. Ce qui peut tout reconstruire.
Un album à vivre, au corps
Quelques jours après l’interview, on s’est retrouvés à pédaler ensemble. Littéralement. Julia a convié quelques ami.e.s et journalistes à une session exclusive chez Dynamo Cycling, pour fêter la sortie de l’album. Une séance de 45 minutes, dans le noir, avec ses morceaux en bande-son, entre sueur, exutoire et groove.
Et ça a brûlé. Les jambes, les cœurs, les souvenirs. À la fin, tout le monde a transpiré. Puis partagé un petit-déjeuner. On était fatigués, rincés. Mais vivant·es. Comme après un deuil qui commence à s’apaiser.
L’avenir, entre doutes et flammes
Sur scène, Julia veut aller plus loin encore. Transformer le disque en expérience totale. Rendez-vous est pris à la Maroquinerie, le 14 mai.
— On a bossé comme des oufs avec Lola, ma batteuse. Je veux qu’on ressente l’énergie brute de l’album, qu’on groove, qu’on danse, même si c’est pas festif. Je veux qu’on en ressorte secoué, touché, peut-être même avec des questions en tête.
Mais malgré l’énergie, malgré les retours, il y a aussi le doute. Julia ne le cache pas.
— Je suis intermittente. Je fais des DJ sets, de la figuration, je joue dans des films, des séries. C’est instable. Et en même temps, j’ai envie d’un chez-moi, d’une famille. Mais comment on fait quand on porte un projet émergent sur ses épaules ?
Elle doute, souvent. Elle y pense, à tout arrêter. Puis elle revient à la scène, aux gens, aux mots.
— Je veux jouer partout. Pas que dans les grandes villes. À Lens, à Rennes, à Clermont. Je veux retrouver ce lien.
Julia ne veut plus courir après le succès. Elle a désappris ça. Elle regarde ailleurs. Elle regarde elle, et aux jeunes qui tentent l’aventure musicale, elle délivre ce conseil :
— Faites ce que vous aimez, vraiment. Pas pour être aimé·e. Juste parce que vous aimez déjà. Ce sera énorme.
Renaître encore
Toujours plaire est un album pour survivre et renaître. Un disque dense, sans cynisme, sans artifice, mais jamais sans lumière. Un disque où chaque morceau est une main tendue vers les autres, mais d’abord vers elle-même. Ce qu’on peut lui souhaiter ?
— Continuer à m’amuser. À créer. À être là, dit-elle. Et ça, on le sent dans chaque note. Même quand la fête est triste sans toi. Même quand tout ça, ça passera.
Quand l’interview s’est terminée, on est restés encore un peu à discuter, comme à contretemps, comme si on n’avait pas envie de refermer cette parenthèse-là. Julia a rangé sa vapote, s’est levée doucement. Il y avait dans son regard ce mélange d’épuisement et d’élan, cette clarté étrange qu’ont les gens qui viennent de dire des choses importantes.
Sur le palier d’Ephelide, on s’est salués avec un sourire un peu fatigué. Le genre de sourire qui n’a pas besoin d’en dire plus. Elle est restée là un instant à discuter avec quelqu’un de l’agence. Et moi je suis reparti, quelque part dans Paris, le casque dans les oreilles, ses chansons encore suspendues dans l’air.
