Jeudi soir sous le chapiteau du W à Bourges, Lucky Love a électrisé les cœurs. Un concert brûlant de grâce, de tendresse et de vérité. Retour sur un moment suspendu.

Juste avant que les lumières ne s’allument sous le chapiteau du W, de fines gouttes s’étaient invitées sur Bourges. Pas de quoi tremper les âmes, juste assez pour ralentir les pas, tendre les visages vers le ciel et renforcer l’impatience. Bourges joue ce soir à cache-cache avec la pluie, mais le public ne s’y trompe pas : on entre dans le W comme dans un cocon, le regard déjà tourné vers une silhouette. D’autres artistes sont programmés, des noms plus ancrés, plus attendus peut-être. Mais ce jeudi, celui qu’on guette, c’est lui. Lucky Love.

Derrière ce nom qui sonne comme une promesse : Luc Bruyère. Un artiste qu’on regarde, qu’on écoute, qu’on ressent. Depuis sa performance bouleversante lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de Paris 2024, il a changé de catégorie : plus qu’une révélation, il est devenu un symbole. De liberté, de beauté plurielle, d’identité assumée. De pop qui ose dire les choses.

L’allure d’un garçon qui dit non à tout ce qui enferme

Maillot de foot rouge sur chemise ouverte, short noir, casquette vissée et lunettes noires. La dégaine trouble, comme un adolescent qui se chercherait encore, sauf que lui, il s’est déjà trouvé. Il ne demande pas l’attention, il la crée. La scène est peuplée, mais on ne voit que lui. Un corps qui bouge comme une pensée en marche.

Il lance « Happier on my own » et le reste s’efface. Derrière lui, deux musiciens et quatre choristes : deux femmes, deux hommes, dressés comme les piliers d’un temple intérieur. Tout de noir vêtus, ils ne font pas que chanter. Ils soutiennent, ils sculptent l’espace sonore comme des mains invisibles.

Un cœur brûlé, en tournée

Ce concert, c’est l’une des étapes du Burning Tour, né dans le sillage de son premier album I Don’t Care if it Burns. Un disque comme une confession mise à nu, qui parle d’amour sans ironie, de genre sans didactisme, de douleur sans posture. Le feu du titre n’est pas destructeur : il réchauffe, il consume juste assez pour faire sentir qu’on est vivant.

Lucky enchaîne avec « Skid Row » puis s’adresse à la foule : « Bourges, est-ce que vous êtes là ? » Le lien est fait. Pas d’hystérie dans le public, mais une tension douce, une écoute rare. On ne danse pas, on ne chante pas tous en chœur. On est là, simplement. Comme dans un moment de grâce. Comme devant un miroir qu’on n’avait pas prévu de regarder.

Masculinity, ou l’instant qui serre la gorge

La salle se resserre autour de lui lorsqu’il parle de « My Ability », une déclinaison de son titre emblématique « Masculinity ». Il évoque les Jeux paralympiques, sa traversée du monde grâce à cette chanson. La phrase est simple, presque banale. Mais elle fend quelque chose. Et soudain, le silence s’installe, respectueux, intense. Les téléphones s’élèvent comme un chœur de lucioles pour immortaliser ce moment suspendu. Il n’y a pas un bruit. L’émotion prend à la gorge, douce, nécessaire. L’artiste devient miroir d’un monde où la vulnérabilité est force, où l’amour est puissance, où l’on peut brûler de vivre. Il ne pleure pas. Nous non plus. Mais quelque part, à l’intérieur, ça flanche un peu.

« Êtes-vous prêts à vous faire brûler un peu, juste ce qu’il faut pour se sentir vivant ? » lance-t-il. La question, rhétorique, devient presque charnelle. « I Don’t Care if it Burns » explose. C’est beau. C’est grand. Ce n’est pas du show-off, c’est du dévoilement. Sa voix s’élève, posée sur les chœurs puissants de ses acolytes. Un gospel pop queer sans drapeau, mais avec des flammes. Puis « Tomorrow », portée par ses choristes, enveloppe la salle comme une caresse soul.

(C): Mathieu Foucher

Tendresse, tendresse

Le concert avance comme on tourne les pages d’un roman. Il pose la question : « Est-ce que Bourges a envie de tendresse ? » Et il n’y a plus besoin de répondre : le public est suspendu, bercé, pris dans le velours de sa voix et de ses mots. Le titre issu de son premier EP du même nom, est une parenthèse de douceur offerte aux cœurs cabossés. Il touche juste, encore.

Pour clore, Lucky balance « Now I Don’t Need Your Love », morceau grandiloquent où ses choristes deviennent presque une église vivante. Les voix s’élèvent, les bras aussi, l’émotion est là, vibrante mais pudique. Un gospel pop pour les cœurs cabossés, les amours terminés, les brûlures nécessaires.

Pas d’effet de manche. Pas de rappel. Juste cette phrase, balancée dans l’air avec un sourire désarmant : « Merci Bourges, je vous aime. » Et une sortie de scène sans retour. Le public applaudit, debout, pas surexcité mais traversé.On ne sort pas secoué. On sort traversé.

Dehors, la pluie n’est toujours pas revenue. Peut-être qu’elle aussi avait quelque chose à écouter. Et c’est peut-être ça, au fond, la météo intérieure que Lucky Love laisse derrière lui : un ciel un peu plus calme, un peu plus vaste, un peu plus tendre.