Pendant que le W réunissait les foules autour du rap, le Palais d’Auron offrait une soirée rock électrique et audacieuse. Bandit Bandit, ko Ko Mo, The Limiñanas, Last Train : quatre formations françaises pour une nuit qui réaffirme que le rock a encore de belles choses à dire.
Vendredi soir, pendant que les projecteurs du W se concentraient sur une affiche rap calibrée pour les réseaux, c’est au Palais d’Auron que le vrai choc avait lieu. Dans une salle plus modeste, mais intensément vibrante, quatre formations françaises se sont succédé pour réaffirmer haut et fort une évidence que beaucoup semblaient vouloir enterrer : le rock n’est pas mort, il bande encore. Et quand il est entre de bonnes mains, il brûle tout sur son passage.
Bandit Bandit, Rock sauvage et sensualité militante
Ce sont eux qui ouvrent la soirée, et dès les premières secondes de Pyromane, on comprend qu’on ne sortira pas de là indemne. Bandit Bandit, c’est le feu sous la peau, l’orage sous contrôle. Maëva Nicolas et Hugo Herleman, en couple à la ville comme sur scène, composent un duo d’une rare intensité. Leur complicité se lit dans chaque regard, chaque déflagration de guitare, chaque montée de tension.

Le public arrive encore, un peu dissipé, mais se fait happer au fil des titres. « Point de Suture » nous coupe le souffle, « Siamese Love » renoue avec la sensualité toxique d’un amour fusionnel, « Maux » remonte aux origines du projet, quand le groupe n’était encore qu’un cri intérieur. Et puis « La Montagne », déchirante, féministe et intime, que Maëva dédie « à toutes les femmes ». la salle écoute, en silence cet exutoire.
Elle ne parle pas beaucoup, mais chaque geste compte. Quand elle soulève sa guitare et qu’on lit « More women on stage » inscrit au feutre, le message est aussi clair que puissant. Ou quand elle s’offre une échappée au milieu de la fosse. Bandit Bandit ne joue pas pour plaire, ils jouent pour libérer. Leur 11h11 Tour avait pris fin en janvier à Lyon, mais visiblement, la pause n’aura été que de courte durée. Et c’est tant mieux. Sur scène, ils sont plus affûtés, plus viscéraux que jamais. Une claque.
Ko Ko Mo, une déferlante sauvage
Après cette tension, Ko Ko Mo surgit comme une gifle. Le duo nantais, fidèle à sa réputation, a envoyé un set sans relâche, martelé à coups de solos rageurs et de batterie en furie. Pas de fioritures, mais une générosité rare. Le guitariste virevolte, la batterie martèle, le public s’ébroue. Pas de discours, peu de pauses, juste l’urgence de vivre, de faire sonner les amplis plus fort que les compromissions.
C’est efficace, c’est brut, ça rappelle que parfois, le rock n’a besoin ni de décor, ni de slogans. Juste de sueur et d’électricité.
The Limiñanas, Mur de son et classe psychédélique
Avant leur passage sur scène, on a croisé Lionel Limiñana, quelques minutes avant les balances. Il se pose, souriant, un peu ému de revenir ici : « Le Printemps de Bourges, on y est venus il y a très, très longtemps. La première fois, c’était catastrophique, on jouait aux Inuits, on n’était pas prêts. C’était hyper impressionnant. On est revenus plus tard, et c’était déjà mieux. Mais là, j’espère que ça va vraiment le faire. »

On ne pouvait pas imaginer à quel point ça allait le faire. Troisième groupe à monter sur scène, The Limiñanas imposent leur patte d’entrée de jeu, comme à l’Olympia le 10 avril dernier : visuels psyché, atmosphère étrange, rythmique envoûtante. La salle est moins compacte, mais plus attentive. Le set est structuré autour de Faded, leur album sorti en mars, mais navigue aussi dans les eaux plus anciennes. « Je ne suis pas très drogue » revient comme un fantôme du passé, distillé dans un son plus massif que jamais.
A l’image de leur show à l’Olympia, c’est Keith Streng, légende des Fleshtones, qui vient électriser le show. À 70 ans passés, l’Américain virevolte, joue de la guitare derrière la tête, grimace comme un ado possédé. Grâce à lui, le set gagne en mouvement, en danger, en surprise. Marie Limiñana, implacable à la batterie, tient la baraque avec une autorité discrète. Au chant, Thomas Gorman (Kill The Young) reprend « J’adore le monde », signé Bertrand Belin sur l’album.
Le public, un peu dispersé au début, entre dans la transe. C’est un crescendo hypnotique qui se termine dans un mur de fuzz, quelque part entre garage, shoegaze et spleen méditerranéen. The Limiñanas ont trouvé leur forme adulte, élégante, affirmée. Ils ne crient plus, ils imposent.
Last Train, fermeture en intensité
Il est tard, les corps sont fatigués, mais Last Train monte sur scène comme on monte au front. Guitares hurlantes, rythmique plombée, chant arraché. Dix ans après leur révélation aux iNOUïS, les Alsaciens jouent comme si leur vie en dépendait encore. Ce n’est plus du rock, c’est une déflagration. Le public, au bord de l’épuisement, se redresse. Le Palais d’Auron vibre une dernière fois. Une claque émotionnelle pour ceux qui sont restés jusqu’au bout.
Vendredi soir, c’est au Palais d’Auron que le cœur du Printemps battait vraiment. Le W, c’était peut-être la tendance, la hype, les vues. Mais ici, c’était la vérité : des guitares, du chaos, du vécu. Un son qui sent la route, la clope, les révoltes inachevées. Oui, le rock a déserté les têtes d’affiche, les playlists, les ondes. Mais il est encore là. Plus libre, plus sincère, moins formaté. Et s’il faut choisir entre un showcase parfaitement calé et une claque émotionnelle, le choix est vite fait.
