On avait laissé leur nom s’égarer dans notre boîte mail. Et puis au Printemps de Bourges, la claque. Dalaïdrama, quatuor noise-pop venu de Lille, a retourné le Triangle avec un set tendu, politique et incroyablement vivant. Rencontre avec un groupe à l’engagement chevillé au corps. 

En fin d’année dernière, au milieu du flot quotidien de mails, leur nom était passé entre les mailles. Un lien de presse, un EP, quelques lignes, puis l’oubli. Jusqu’à ce concert au Triangle, où quatre silhouettes ont retourné la salle en vingt minutes, portés par une ironie mordante et une vitalité qui ne lâche jamais.

 C’était jour de fête pour le groupe : leur nouveau clip « Neat » venait tout juste de sortir, et ils ont livré un show d’une intensité remarquable. Sur scène, les quatre musiciens dégagent une rage à la fois désinvolte et maîtrisée, qui traduit parfaitement l’univers de leur premier EP, The ABCs of Newism, dévoilé en décembre 2024. Dalaïdrama, c’est un coup de massue avec un sourire en coin. Depuis, impossible de les ignorer.

The ABCs of Newism : le chaos comme matière

Dévoilé en décembre 2024, leur premier EP, The ABCs of Newism est composé de cinq titres abrasifs, écrits comme un abécédaire du malaise contemporain. Noise, sarcasme, poésie crue, tout s’y entrechoque, jusqu’à une reprise finale hypnotique et saturée du tube électro « Satisfaction » de Benny Benassi. Un clin d’œil à leurs racines musicales aussi éclectiques que frontales. « On a grandi avec l’électro, les teufs, les vinyles de Mister Oizo… Ça nous parle autant que la noise ou Bowie. »

Liberté chérie

Chez Dalaïdrama, tout part d’un besoin vital de parole. Pas d’un manifeste. « Moi, j’ai plutôt l’impression de devoir me taire tout le temps, dans la vie, au boulot », confie Marvin, chanteur. « La musique, c’est mon espace de liberté. » Sur scène, il parle de ce qu’on lui demande d’éviter ailleurs. « Dans certains établissements, on m’a déjà dit : “Pas de sujets comme la fraude, ça pourrait déranger les parents.” Moi, ça me gêne. »

Leurs textes parlent de ce qui dérange : coupes budgétaires, montée de l’extrême droite, hypocrisie politique. « On ne se revendique pas comme un groupe politique, mais on se positionne », précise Marvin. « On défend les minorités, ceux qui galèrent. Pas ceux qui détournent de l’argent et nous demandent des efforts. »

Quatre voix, une même colère

Ils sont quatre, ils viennent de Lille, et ils ne se ressemblent pas mais avancent comme un seul corps. Marvin chante, hurle parfois, parle souvent aussi, avec clarté, avec urgence. Le groupe est jeune (un peu plus d’un an), mais les musiciens se connaissaient d’avant. Avant, Hugues (guitare), Gauthier (batterie) et Nathan (basse) jouaient déjà ensemble. Puis Marvin est arrivé, avec son énergie, son regard. Ils se croisent dans un Auchan, discutent, et fondent un nouveau projet. « On a complètement changé de direction. C’est comme ça qu’est né Dalaïdrama », raconte Nathan.

Le nom, lui, claque comme une provocation. Il fait référence à une vidéo du Dalaï Lama et à ce moment glaçant où le religieux demande à un enfant de lui sucer la langue. « Ça nous a choqués, et la manière dont ça a été minimisé ensuite encore plus. On voulait pointer ce genre de dérapages publics », explique Marvin. Une ligne de conduite en creux : ne jamais détourner les yeux, même quand c’est dérangeant

Dalaïdrama au Printemps de Bourges le 16 avril 2025.

Une résistance à l’unisson

Le groupe fonctionne comme un tout. Pas de leader, mais une méthode collective, instinctive. « La plupart des morceaux naissent de jams. Si on les retravaille trop, ils perdent en énergie », explique Gauthier. « On ne cherche pas à lisser, juste à être cohérents ensemble », ajoute Nathan. Même les désaccords deviennent matière. « Il y a une vraie confiance. On a appris à s’écouter. »

L’enjeu du prochain disque, c’est l’intime. « Le premier EP était plus général. Maintenant, on veut que ça parle plus de nous, mais avec du recul. Parfois, ça part d’une blague ou d’un freestyle, et ça devient très profond », dit Marvin. Une lucidité qu’ils cultivent autant que leur rage : « On veut garder une forme de légèreté, même quand on parle de choses dures. On ne veut pas tomber dans le misérabilisme. »

L’après Bourges ?

Leur présence au Printemps de Bourges n’était pas prévue. Sélectionnés via leur maison d’édition Melec Publishing, ils se retrouvent dans la programmation French VIP. « On ne savait même pas qu’on y jouerait. Et c’est super de croiser des artistes qu’on connaît, surtout venant de Lille comme nous », raconte Nathan. Pour Marvin, c’était un retour. Pour les autres, une première.

Le futur s’accélère : un deuxième EP est en route, puis un album. L’enregistrement est prévu en novembre chez Amaury Sauvé à Laval. « Ce sera mon quatrième disque là-bas. Pour les gars, le deuxième. C’est un mec avec qui on adore bosser », dit Marvin.

Mais l’économie reste précaire. Trois sont intermittents. Marvin ne l’est pas. « On sent que notre cerveau bouillonne en permanence pour ça : faire des disques, repartir, refaire des disques… » Hugues résume, sobre : « En France, tu sens bien qu’on veut que tu restes troubadour. »

Une musique qui parle à tout le monde

Alors à quoi s’attendre en live ? « Si quelqu’un aime le rock, il ne devrait pas être déçu », glisse Marvin. « On ne prétend pas être géniaux, mais on ferait partie du public, on aimerait ce qu’on fait. » abonde un autre. Leur set à Bourges l’a prouvé. Court, intense, avec même un morceau plus poétique, « un petit pas de côté », comme ils disent.

Ils avancent sans prétention, mais avec une idée claire : rester sincères, engagés, à hauteur d’humain. Et ils veillent aussi à ce que leur entourage prolonge ce qu’ils portent sur scène. « Notre équipe, ce sont des femmes en management, en édition. On fait attention à ça. À la parité, à ce qu’on défend autour de nous. »

Une colère joyeuse

Ils ne crient pas plus fort que les autres. Mais ils crient juste. Dalaïdrama, c’est une colère lucide, canalisée, jamais gratuite. Un refus de détourner les yeux, et une invitation à faire front. « On ne va pas faire semblant de ne pas voir ce qui se passe », conclut Marvin. « Des gens qui fraudent, qui détournent, qui sont invités au 20h pour critiquer la justice… Ça me rend fou. Mais on veut dire : vous inquiétez pas, on est ensemble. »

Dalaïdrama est arrivé dans notre radar par accident. Il ne risque plus d’en sortir.

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