Avant d’embraser la scène pour son tout premier Bourges, Joanne nous a ouvert son cœur. Celui d’une artiste bouleversante, lumineuse, qui nous a parlé de Jélinne, cet EP intime dédié à sa grand-mère. Une conversation sensible, comme sa musique.
Trois heures avant de fouler la scène du Triangle pour son tout premier Printemps de Bourges, nous avons rencontré une artiste calme, posée, habitée. Quelques instants volés avant la tempête douce de son concert. Le soir venu, dans une lumière chaude, elle apparaît en veste rouge sans manches, entourée de ses deux musiciens, Kevin à la guitare, Charlie à la batterie, et emporte doucement le public avec elle.
Entre les battements du très entraînant « Magoya » et les teintes sensibles de « Mineraly », c’est un cœur qu’on sent battre sur scène, fort et fragile à la fois. Moment suspendu lorsque, seule au piano, elle livre « Jélinne » dans une version épurée, hommage vibrant à sa grand-mère à qui elle dédie son nouvel EP. Une émotion brute, retenue et belle, comme son regard lorsqu’elle parle de transmission, de deuil et de renaissance.
Phenixwebtv.com : Tu vas jouer tout à l’heure dans le cadre du Printemps de Bourges. Est-ce un festival que tu connaissais auparavant ?
Joanne : Oui, c’est un festival majeur français, un rêve pour moi d’y jouer. C’est ma première fois ici, c’est émouvant, et j’ai l’impression d’achever un chapitre
Tu étais déjà familière avec le dispositif des Inouïs ? Tu y as déjà postulé ?
Oui, je connaissais. Je ne sais plus si j’avais postulé, mais j’ai fait le Chantier des Francos l’an dernier, donc je suis déjà passée par un dispositif d’accompagnement important.
Tu viens de sortir un nouvel EP en hommage à ta grand-mère Jélinne. Qu’est-ce qui t’a motivée à transformer ce lien en œuvre musicale ?
C’est une bonne question. En fait, je pense que je n’ai pas eu l’occasion de lui dire au revoir de façon traditionnelle et d’aller à Madagascar l’enterrer. Ça, c’est la vérité. Et au moment où j’étais en pleine écriture de ce deuxième EP, je me suis dit que ma manière à moi de lui rendre hommage, c’était de pouvoir le faire en musique. J’avais cette capacité-là à faire de la musique. Donc pourquoi pas utiliser ce médium qui me permet de m’exprimer tous les jours aussi pour parler de ça.
Quel type de relation avais-tu avec ta grand-mère ?
C’est elle qui m’a élevée. Donc très, très proche. Et en même temps, très pudique aussi parce qu’elle était une femme. Une grande femme et une femme avec toute une famille à diriger, si je peux dire ça comme ça. Parce qu’en vrai, elle la dirigeait un peu quand même. Elle était à la fois discrète et à la fois très imposante. Je ne sais pas si les autres petites filles pourraient dire la même chose de leur relation, mais elle était spéciale à mes yeux.
Est-ce que cette démarche musicale t’a permis de faire ton deuil ? Est-ce que cela a eu un effet thérapeutique pour toi ?
Oui, je pense que c’était une manière aussi de tourner la page, c’est sûr. D’aller de l’avant, en tout cas.
Tu fais un parallèle entre vos prénoms, Jélinne et Joanne. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
Ce qui est drôle, c’est qu’on est liés par le sang, et en fait, on se retrouve aussi liés par des prénoms qui résonnent l’un à l’autre. Je fais cette analogie des premières lettres, parce que je me dis qu’on a aussi le même métissage, elle est franco-malgache, moi aussi. Il y a beaucoup de ressemblances entre nous, mine de rien, et aussi beaucoup de différences, et c’est ça dont je parle finalement dans le disque. C’est de dire qu’il y a des choses qu’on a envie de garder de notre histoire, et des choses qu’on a envie de laisser aussi, et ma relation avec ma grand-mère, c’est exactement ça. Il y a des choses que j’emporte avec moi d’elle. Il y a des choses que je veux bien aussi laisser, qui m’intéressent moins.
Comment choisis-tu les mots que tu utilises dans tes chansons ?
Je pars toujours de mes émotions. Ce sont des choses qui viennent du cœur, que je traduis en mots. Pas des idées abstraites. C’est vraiment ça, mettre des mots sur mes émotions tout le temps. Donc, c’est ça le résultat en fait. De dire, ce n’est pas des choses qui me passent par la tête, c’est des choses qui me passent par le cœur que je traduis en mots.
Y a-t-il un morceau sur cet EP qui a été particulièrement difficile à composer ?
Oui, « Le courage », c’était hyper dur à faire parce que j’ai mis du temps à trouver la direction musicale, parce qu’il y a un débit aussi de paroles et d’habitude, j’ai plutôt une métrique assez longue qui s’étire. J’aime beaucoup ça, les envolées vocales. Et là, pour une fois, j’étais quand même très rythmée, très timée, et c’est un autre exercice. Ça a pris plus de temps parce que j’ai moins l’habitude de le faire.
Dans « Mineraly », tu utilises l’image du bleu minéral pour évoquer l’amour. Pourquoi avoir choisi cette métaphore ?
Parce que la personne a les yeux bleus. C’est aussi simple que ça. Je pense que la poésie, c’est plus une affaire de sensations que de réflexion. C’est une manière romantique de parler d’amour.
Comment ton entourage et ton public ont-ils réagi à cet EP très personnel ? As-tu eu des retours marquants ?
C’est marrant parce que l’année dernière, quand je finissais un concert, on me disait : « Bravo, c’est cool, j’ai passé un bon moment, bravo, c’est top. » Et là, depuis qu’on a commencé les concerts cette année avec le nouveau show, c’est que des « merci ». Des remerciements pour avoir partagé ce message. Je ne peux pas rêver mieux en fait comme retour. Pour moi les retours sont hyper positifs et ça veut dire que j’ai bien fait mon travail sur quelque chose qui parle à d’autres.
Et comment ta famille a-t-elle reçu ce projet ?
Ils m’ont fait la surprise d’assister à un concert, sans savoir que l’EP portait le nom de ma grand-mère. C’était très touchant.
Tu ne t’attendais pas ?
Non, pas du tout. En fait, ils ont entendu. Ils ne savaient pas non plus que mon projet s’appelait Géline.
Tu ne leur en avais pas parlé ?
J’ai fait ça de mon côté. Donc, ça, c’était très touchant comme moment. Et à Madagascar, c’est pareil, en fait. Cette idée de transmission, c’est aussi le respect des anciens. La famille à Madagascar, c’est très, très important. Et je pense que c’est aussi une thématique qui leur a beaucoup parlé, qui leur parle beaucoup là-bas. Il y a beaucoup de médias qui ont relayé le projet. Et puis même là, à la release party, j’ai bossé avec une asso franco-malgache. Je pense que c’est des valeurs que je défends qui résonnent aussi sur le territoire malgache, forcément.
Te sens-tu aujourd’hui pleinement française ou partagée entre tes deux cultures ?
Ça dépend des jours. Il y a des jours où je suis 100% française et pas du tout malgache. Il y a des jours où je vais être 100% malgache et pas du tout française. Il y a des jours où je vais être à 30% malgache et 70% française.
Quand tu crées, est-ce que tu penses parfois à ce que pourrait en penser ta famille d’origine ?
En fait, je n’ai pas de crainte quand je compose parce que c’est vraiment un espace de liberté pour moi. J’ai eu besoin de ça dans ma vie, de faire de la musique. Ça m’a toujours débloqué beaucoup de choses. Ça m’a soigné de beaucoup de choses aussi. Et encore aujourd’hui, c’est un travail constant que je fais sur moi en pratiquant ce métier. Et donc s’il y a bien une chose que j’exige dans mon travail, c’est la vérité tout le temps. Et de ne pas avoir de filtre et de ne pas me prendre la tête avec ce que les gens pourraient penser de ce que je fais. Certainement pas. Et mon entourage est comme ça aussi. Et c’est génial parce que j’ai cet espace de liberté qui est la musique, ma création. J’ai un espace de liberté qui est mon équipe. Et donc avec tout ça, tu peux conquérir le monde en fait.
Comment se déroule ton processus de création ? Commences-tu par les textes ou par la musique ?
Ça dépend aussi. Parfois, ça peut être une mélodie qui est entêtante, qui tourne dans mon cerveau et là, il faut que j’en fasse quelque chose. Parfois, c’est un mot, une phrase qui va tourner et il faut que j’en fasse quelque chose. C’est toujours ça, en fait. Parfois, c’est une émotion. Je vais voir une image, je vais avoir un choc et ça va me pousser à en faire une chanson. Mais en tout cas, je m’écoute. J’écoute ce qui se passe en moi, et puis après le reste, c’est juste être humain.
Qu’est-ce que ta grand-mère aurait dit si elle avait pu entendre cet EP ?
Elle dirait Falia, elle dirait : « Je suis contente, moi, c’est bien, c’est bien ma fille », elle me dirait : « C’est bien ma fille », je pense.
Elle avait conscience de ton parcours artistique ?
Elle est déjà venue me voir en concert, ça c’est ma plus grande fierté, c’était au tout début. Et déjà là, elle était comme une gosse. Elle me tirait le bas de la chemise, presque en mode bonjour madame. Et ça, c’est hyper émouvant. Ma grand-mère, elle a un côté enfantin. En plus, souvent quand tu vieillis, il y a toujours ce retour à l’enfance, aux souvenirs. C’est quelqu’un de très nostalgique aussi, qui a eu une vie dure. La voir avec des étoiles dans les yeux, me regarder, c’était la première fois qu’elle me regardait comme ça. C’était touchant. Et c’est aussi pour ça que j’ai envie de continuer ce métier, si ça remet de la vie dans l’œil de quelqu’un d’autre, tant mieux.
Tu te vois faire autre chose que la musique un jour ?
Pour l’instant, non. Après, on verra ce que l’avenir me réserve. Mais là, ne t’inquiète pas que je bosse pour. Je ne vais pas faire autre chose. Alors, c’est pas tout de suite.
Qu’as-tu prévu de proposer ce soir au Printemps de Bourges ? Est-ce une version différente de ton set habituel ?
Je déteste le copier-coller. Je déteste le réchauffer. J’espère que ma musique n’est pas comme ça. En tout cas, sur le live, j’aime bien faire des nouveaux arrangements. Aussi, pour nous, que ce soit agréable à jouer, que ce ne soit pas automatique comme des robots. Remettre encore plus de vivants dans des versions studio, c’est idéal pour moi. Je pense qu’on a réussi à le faire. Là, c’est la fête. Ça va être la danse. Ça va être beaucoup d’émotions aussi. Des versions plus vivantes, plus dynamiques, plus jouées aussi. Il y a des musiciens quand même avec moi, des excellents musiciens. Ils ont aussi la part belle dans tout ça parce qu’on a de la chance de pouvoir leur laisser de la place pour interpréter aussi.
Vous êtes combien sur scène ?
On est trois sur scène. Quatre en équipe avec notre ingénieur du son également en face, qui fait un travail extraordinaire aussi. Donc c’est une belle équipe. Et moi, je suis très, très fière de ce show, vraiment très fière.
Y a-t-il des artistes dans la programmation que tu as hâte de voir ?
J’espère, peut-être ce soir. J’aimerais bien voir Théodora. J’ai aimé son album et j’ai entendu beaucoup de bien de ses lives.
Et enfin, que contient ta playlist en ce moment ? Qu’est-ce que tu écoutes ?
Là, je n’arrête pas de le dire. C’est Saya Gray. Je l’adore. C’est une auteure-compositrice-bassiste aussi. Elle a bossé avec des Steve Lacy et autres de la côte ouest américaine. Elle est incroyable. Elle sort des sentiers battus. Moi, c’est ça qui m’intéresse. En fait, j’aime bien écouter des musiques un peu barrées. Toujours sensibles et toujours fines.
Et côté artistes malgaches, tu en côtoies ?
Oui. Oui, déjà Razir, il est venu jouer sur mes deux EP. Il fait de la valiha, qui est un instrument traditionnel. C’est une sorte de kora, si on veut essayer de trouver un instrument plus familier. Donc j’ai déjà eu de la chance d’avoir un géant qui est venu poser avec moi sur ma musique. Et puis après, il y a M. Beans qui est aussi un producteur, un DJ malgache, qui fait de la amapiano également. Il a remixé l’un de mes sons. J’aime bien avoir un lien toujours avec les artistes et les musiciens. Mon rêve ce serait de retourner là-bas et de faire un projet, une tournée et des disques, là-bas ce serait cool.
