Le 23 avril dernier, on s’est posé avec Charles pour parler chaos, musique et renaissance. Juste après notre entretien, elle montait sur scène pour une performance sincère, subtilement électrique, portée par la tension de Sabotage. Entre cris contenus et éclats de douceur, elle a tenu la salle dans un équilibre aussi fragile que lumineux.
Venue de Belgique mais résolument inclassable, Charles navigue quelque part entre spleen post-adolescence, énergie punk et confessions en clair-obscur. Révélée par The Voice, mais très vite échappée des cases télé, elle s’affirme aujourd’hui avec Sabotage, un EP frontal, vulnérable, parfois brutal. Premier projet en français pour cette habituée de l’anglais, et un vrai tournant. Les mots claquent, les textures grincent, et la voix, elle, reste toujours au bord de la rupture.
Ce 23 avril au FGO-Barbara, c’est avec un live tendu, organique, qu’elle a défendu ses nouvelles chansons. Une tension rock, des montées intimes, un set qui alterne uppercuts et fragilité, de « Mon Ombre » à « Miroir », en passant par les brûlures de « Le Marbre ». Dans la salle, une écoute attentive, quelques têtes connues (Julia Jean-Baptiste notamment), et une sensation que Charles est en train de franchir un cap. On l’a rencontrée avant qu’elle monte sur scène, pour parler d’écriture, d’addictions douces et d’excès sous contrôle.
Tu peux te présenter rapidement pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore et nous expliquer pourquoi tu as choisi le nom Charles ?
Charles : Oui, Charles, c’est un nom de scène que j’ai choisi parce que je m’appelle Charlotte, donc il y a déjà une certaine cohérence. Mais surtout, c’était le prénom de mon grand-père maternel, qui a été la première personne très proche que j’ai perdue. Il comptait beaucoup pour moi, il m’écoutait chanter, il m’encourageait énormément. J’avais envie de lui rendre hommage et de l’emmener avec moi dans cette aventure.
Tu as évoqué avoir traversé une période chaotique entre 20 et 24 ans. Comment cette période est devenue musique ?
Depuis toujours, la musique est un peu comme mon journal intime. J’ai toujours eu du mal à mettre des mots sur ce qui n’allait pas, du moins avant, mais en écrivant des chansons, j’arrive à exprimer ce que je ressens, à poser mes émotions et passer à autre chose. Donc j’ai toujours écrit pour raconter mes péripéties de vie. Cet EP, c’est vraiment une photographie de mes débuts dans la vie adulte, qui ont été un peu chaotiques, notamment à cause du Covid.
Je commence même l’EP avec cette période, parce que je débutais dans la musique, puis on a été confinés. Je ne savais pas où j’allais, qui j’étais, quoi faire. Et comme je ne vivais rien, je ne savais même pas sur quoi écrire. Puis il y a eu le déconfinement, j’avais 20 ans, j’avais envie de vivre à fond, de sortir, et parfois je suis tombée dans des excès, la fête, tout ça. Et c’est de ça que parle globalement cet EP.
Dans ton titre Sabotage, la bulle est une image forte. Est-ce que tu t’en sens sortie aujourd’hui ?
Je dirais un peu des deux. Je suis quand même beaucoup plus sortie de cette bulle : je suis plus extravertie, je sais ce que je veux faire, mon projet est bien lancé, je suis beaucoup mieux entourée. Mais parfois, j’aime bien y retourner. Pour écrire des chansons, j’ai besoin d’être dans ce mindset introspectif, de me reconnecter à mes émotions. Et comme ce n’est pas toujours évident, parfois retourner dans cette bulle, ça m’aide.
Tu passes de l’anglais au français dans ce projet. Est-ce que certaines émotions s’exprimaient mieux dans une langue que dans l’autre ?
Complètement. À la base, je chantais uniquement en anglais. J’ai déjà sorti un EP et un album en anglais. Les chansons de cet EP ont d’abord été écrites en anglais avant d’être réécrites en français. J’avais envie de tester le français, surtout parce que dans mon entourage, beaucoup de musicien·nes s’y mettaient. Au début, c’était difficile, car je n’écoutais pas de chansons françaises, je n’avais jamais écrit en français. Tu ne peux pas t’improviser poète, même si tu parles la langue. Mais je me suis entraînée, j’ai été bien entourée et je pense avoir trouvé mon univers en français. Et je ne voulais pas non plus laisser l’anglais de côté, donc j’ai décidé de faire les deux.
Dans tes titres Miroir et Red light, tu parles de deux formes d’addiction avec des angles très différents. Pourquoi avoir abordé ces nuances en parallèle ?
J’avais sorti un titre en français qui s’appelait « Le Marbre », qui parlait vraiment d’addiction à la drogue. Et « Red Light », la version anglaise de « Miroir », traite aussi de ça, mais différemment. Comme « Le Marbre » a été beaucoup écouté et compris dans ce sens, je ne voulais pas répéter la même chose avec « Miroir ». Alors j’ai réécrit les paroles en français en abordant une autre forme d’addiction, celle à la fête. C’est lié, mais dans « Miroir » c’est plus un cheminement, une réflexion sur moi-même, mon corps, mes émotions, et moins frontal que « Red Light ».
Justement, « Miroir » a une vibe plus pop. Est-ce que ce virage t’a surprise en studio ?
Carrément. Au début, je me suis demandé si c’était vraiment moi. Mais « Red Light », que j’ai écrite en anglais, a été une vraie bouffée d’air. J’étais dans une période de ma vie un peu folle, j’avais besoin de quelque chose de fun, de libérateur. Et c’est pour ça que la musique est pop. J’écoutais beaucoup Dua Lipa à ce moment-là, donc j’avais envie d’un truc frais, même si les paroles restent assez trash, parce que c’est important pour moi d’être fidèle à ce que je ressens. Je voulais un mélange de dansant et de dark, et c’est ce que ça a donné.
Tu as collaboré avec des artistes venus d’autres pays. Qu’est-ce que ça a changé dans ta manière de créer ?
Beaucoup d’artistes aiment tout faire seuls, mais ce n’est pas du tout mon délire. J’adore collaborer, surtout avec des gens d’horizons différents. Ça apporte toujours quelque chose de nouveau, plus de richesse, d’ouverture. Quand je compose seule, j’ai parfois tendance à tourner en rond. Alors qu’avec d’autres, il y a un échange, un autre cerveau, une autre couleur, et ça rend les choses plus intéressantes.
Y a-t-il un morceau de ton EP que tu redoutes d’interpréter sur scène ?
Oui, « Mon Ombre », le premier morceau de l’EP. Il parle de la période du Covid, où j’étais en pleine anxiété, perdue. Sur scène, je le joue au piano, donc c’est un stress en plus, car je ne suis pas une grande pianiste. C’est une chanson très chargée émotionnellement, c’est celle qui porte le plus d’histoire et de sensibilité.
Quelle est la chose la plus punk que tu aies faite récemment, hors musique ?
Franchement, ma vie est plutôt rangée maintenant. Chaque été, je vais au festival de Dour, et là, oui, je me lâche complètement, techno toute la nuit, un vrai moment de folie. Mais à part ça, je suis plutôt thé avec mon chat à la maison, et ça me va très bien !
Si Sabotage avait une suite, comment tu l’imaginerais ?
J’aimerais écrire des chansons plus positives, tout en gardant des sonorités sombres, rock et électro. Des textes un peu moins profonds mais toujours sincères. C’est difficile d’écrire des chansons heureuses, bien plus que les tristes. Mon objectif, c’est soit de faire pleurer, soit de donner la sensation d’être « slay », forte, mais toujours avec des paroles un peu mélancoliques. J’aimerais faire une chanson qui te fait te sentir libre et puissante, avec des paroles plus lumineuses.
Pour celles et ceux qui ne t’ont jamais vue sur scène, à quoi ressemble un concert de Charles ?
À un show très produit. On a beaucoup bossé la pré-prod, on a vraiment fait monter le niveau. C’est un show très rock, même s’il y a quelques morceaux plus pop comme « Miroir », ou des moments piano-voix. Mais globalement, c’est vraiment plus rock que ce qu’on pourrait attendre en écoutant juste l’EP.
Tu parlais tout à l’heure des difficultés de la période Covid. Aujourd’hui, est-ce que tu arrives à vivre de ta musique ?
Pour les petits artistes, c’est toujours galère. Mais j’ai la chance d’être signée en label, en contrat d’artiste. Ils prennent en charge plein de choses que je ne pourrais pas payer seule. Et j’ai aussi l’équivalent de l’intermittence, ce qui me permet d’avoir un revenu mensuel. Du coup, je peux investir dans le live, car c’est ma priorité. On est quatre sur scène, avec un ingénieur lumière. Je pourrais mieux me payer, mais je préfère investir. Sans ce statut, ce ne serait clairement pas possible de vivre de la musique.
Y a-t-il des artistes francophones que tu suis et avec qui tu aimerais collaborer ?
Oui, pas mal ! Avant, je n’écoutais pas de musique en français, donc ma culture est limitée. Mais récemment, j’ai découvert Iliona (belge), Pierre de Maere (belge aussi), Yoa (suisse, je crois), Mickey… J’adore Mickey. Et Simone aussi. Je suis très girl power en ce moment ! Mais oui, il y en a plein que j’aime beaucoup.
On a l’impression que la scène belge fait sensation en France. Tu le ressens aussi ?
C’est vrai, les Belges font bonne impression ici. Mais c’est aussi parce qu’en Belgique, on est un petit pays divisé en deux, donc pour vraiment exister en tant qu’artiste, il faut aller en France ou à l’international. Sinon, c’est très compliqué.
Est-ce que tu envisages de t’installer un jour en France ?
Oui, j’y ai pensé. Mais Paris, c’est cher ! Avec ce que j’ai aujourd’hui, ce n’est pas possible. Mais si Paris m’appelle, comme pour Pierre, Iliona, Angèle… pourquoi pas. J’adore Paris. Mes parents vont souvent dans le sud de la France, ils ont une maison là-bas. Donc oui, j’aime beaucoup la France. Peut-être qu’un jour j’y consacrerai une chanson !
