On l’avait découverte sur scène à Marseille lors du festival Avec le Temps, un soir de mars. Elle a joué pour les autres, longtemps. Aujourd’hui, elle chante pour elle. Avec Trop tôt ou trop tard, Liquid Jane signe un premier EP qui lui ressemble, entre groove lumineux et confidences nocturnes.
Au bout du fil, la voix de Jeanne est claire, posée, pleine d’une douceur qui n’efface rien de la détermination. Ce 8 avril, Liquid Jane nous parle de son tout premier EP, Trop tôt ou trop tard, un projet très personnel, né d’un besoin simple : celui de se recentrer, enfin, sur elle-même.
« Avant, j’ai beaucoup fait de musique pour les autres. J’écrivais parfois, mais c’était toujours au service d’un projet de groupe. Là, pour la première fois en dix ans de musique, j’ai fait quelque chose qui me ressemble à 100%. »

Trouver sa voix (et sa voie)
Pour comprendre Liquid Jane, il faut revenir un peu en arrière. Jeanne, originaire du sud de la France, a longtemps exploré des chemins très différents avant de créer ce projet solo. Elle a chanté dans des groupes de rock psyché, comme Sirius Void, elle a tenu la batterie dans un duo très engagé, Claude Fernand, et s’est aussi essayé au punk-rap avec Tramp Queen. Des expériences intenses, mais dans lesquelles elle ne se reconnaissait pas totalement.
« Je me suis demandé : si je faisais quelque chose juste pour moi, qu’est-ce que ce serait ? Et ce serait quoi, mon histoire, mon langage ? »
La réponse s’est imposée petit à petit. Au départ, elle écrit en anglais, « C’était une manière de me cacher un peu », puis elle ose le français. Elle raconte qu’au fil de la scène, des retours, des envies, c’est devenu évident. « J’ai découvert que j’aimais beaucoup écrire en français. C’était plus pertinent, plus moi. »
Un EP comme un journal de bord
Son EP, Trop tôt ou trop tard, sorti ce 16 mai (Ludimuse / Wiseband), rassemble cinq titres qui dessinent un paysage intime, oscillant entre lumière et ombre, entre groove et douceur. Ce sont des chansons qui parlent d’elle, mais qui cherchent aussi à dire quelque chose de plus vaste sur le temps, le désir, la solitude, le lien aux autres.
Le morceau-titre, « Trop tôt ou trop tard », ouvre le bal avec élégance et évoque cette hyperactivité sociale qui masque souvent un vide intérieur. Une pop faussement légère qui dit beaucoup des injonctions à aller bien. « Je suis fascinée par cette question : est-ce qu’on fait les choses au bon moment ? Est-ce que c’est déjà trop tard ? Est-ce qu’on est en retard sur nos vies ? J’avais envie d’explorer cette tension-là. »
Dans le clip signé Jade Garnier, Liquid Jane erre dans la ville, rose à la main, oscillant entre solitude et don de soi. « J’avais envie de parler de cette sensation : être seule au milieu de tout le monde. »
Un Groove entre deux mondes
Tous les morceaux ont été écrits guitare-voix, souvent chez elle, de nuit, puis arrangés avec soin en studio par une petite équipe fidèle : Théo Panchèvre (basse), Félix Viledon (ingé son), Marine Garcia (claviers) ou encore Rémi Bernard (chœurs). « On est une vraie petite famille. Ce projet, c’est aussi le leur. Je voulais que ça sonne vrai. Pas dans le sens brut, mais sincère. Je ne cherchais pas à impressionner. Juste à partager ce que j’avais besoin de dire. »
Dans « L’inconnue », elle raconte des rencontres charnelles éphémères, à la première personne. Une chanson sur elle, mais surtout pour celles et ceux qui s’y reconnaîtront, « ce qu’on projette, ce qu’on comprend de travers ». On y entend aussi les souvenirs d’une nuit trouble « Such a Night » ou encore des pulsions plus profondes dans le très sensuel « Scorpio’s Swim ». Le cinquième morceau, « Les mots », se découvre dans une session live sur YouTube, plus brute, plus nue.
Une soul à la française, sans complexes
Ce qui frappe dans l’univers de Liquid Jane, c’est cette aisance à passer du français à l’anglais, sans jamais perdre en cohérence. Un mélange qui pourrait sembler risqué, mais qui s’impose ici avec évidence. « Je n’ai pas cherché à me forcer. Certaines chansons venaient naturellement en anglais, d’autres en français. J’ai décidé de me faire confiance. »
Elle cite pêle-mêle Arlo Parks, Erykah Badu, King Krule ou encore Lola Young comme influences, mais sa musique ne cherche pas l’imitation. Elle trace une voie singulière, dans une veine soul-pop subtile, raffinée, résolument actuelle mais jamais formatée.
Ni trop tôt, ni trop tard
Si Liquid Jane impressionne en studio, c’est sur scène qu’elle vit le plus fort. Lorsqu’on lui demande ce qui la fait rêver, elle ne cite pas un festival précis. Elle répond simplement : « Moi, tant que je fais ma musique avec les personnes que j’aime, pour des personnes qui savent l’apprécier, c’est génial. »
Et ça tombe bien : après un premier concert marseillais remarqué, elle était à Paris le 23 avril dernier en première partie de Jon Onj, avec un show retravaillé, fluide, pensé pour vivre une nouvelle fois ces chansons autrement. « Je ne veux pas courir après quelque chose. Je veux construire. Ce projet m’a permis de comprendre ce que je voulais vraiment faire, et surtout, qui j’étais dans la musique. »
Liquid Jane Une artiste qui avance, à son rythme. Jamais trop tôt, jamais trop tard. Elle nous prouve avec ce premier EP, que la chanson française n’a pas de limite. Elle peut se nourrir de soul anglaise, de groove américain, de rock alternatif et d’expériences personnelles profondes. Et surtout, elle peut être le miroir d’une génération en mouvement, entre lucidité et lumière.
