Poète du quotidien et bâtisseur d’émotions brutes, Claude nous a accordé un moment suspendu, quelques heures avant son concert au Printemps de Bourges. Une rencontre marquée par la franchise, la dérision et une sincérité rare.

C’était le samedi 19 avril, à 23h40, au 22 Est & Ouest. Juste après la prestation de Victor Solf et juste avant que Saint Graal ne ferme la soirée, Claude montait sur scène avec ses musiciens Antoine et Max pour défendre In Extremis, son premier album. Un set tendu, complice, percutant, où l’on a chanté, ri, vacillé. Parmi les morceaux, « La Pression », « Addition », et l’inévitable « Baisodrome », moment de liesse collective.

Quelques heures plus tôt, en fin d’après-midi, il nous accordait un entretien à son image : sincère, réfléchi, drôle sans forcer. Il y parle de création comme d’un besoin vital, presque mathématique, d’un rapport désinhibé à l’écriture, et d’un album pensé comme un livret de confessions, où chaque morceau avance au bord de la rupture. Rencontre avec un esprit cartésien, inspiré tout autant par Pessoa que par Tyler, The Creator, pour qui l’art est d’abord une tentative de rester vrai.

On te suit depuis un moment, alors pour commencer, peux-tu te présenter un peu ? J’ai lu que tu décrivais ton enfance comme paisible, presque ennuyeuse. Est-ce que cette tranquillité a nourri ton besoin de création ?

Je dirais pas « ennuyeuse », je pense que ce mot-là a été ajouté par mon équipe. C’était une enfance très calme, très paisible. Ma famille m’a toujours encouragé à faire des choses artistiques : j’ai fait du solfège, de la guitare, de la danse… donc je ne m’ennuyais pas. Je ne pense pas que ce soit ça qui ait créé un besoin de création. Ce besoin vient plutôt d’un besoin de reconnaissance. Je voulais être un peu spécial, me démarquer, parce que je n’étais ni grand, ni particulièrement beau, ni doué en sport. Donc j’ai voulu trouver mon truc. L’envie de vraiment créer, elle est venue tard, vers mes 20 ans. Quand j’étais gosse, je voulais juste être intéressant.

Tu as eu une période où tu envisageais de devenir comptable. Tu pensais vraiment t’éloigner complètement de la musique ?

Oui, en fait, j’étais en école de commerce, et je sentais que la possibilité de faire quelque chose qui me ressemble m’échappait totalement. Ça m’a mis dans un gros stress, une sorte de déprime. Et puis, par hasard, j’avais posté des morceaux sur les réseaux, et quelqu’un d’un label m’a contacté. De fil en aiguille, j’ai commencé à rencontrer du monde. Ça a pris du temps, deux, trois ans, avant de vraiment former une équipe. Mais ça a commencé à ce moment-là, à un moment de panique où je me suis dit que j’étais à deux doigts de passer quarante ans dans un taf qui me parlerait jamais.

Ton album s’intitule In Extremis. C’est un terme fort, qui évoque une situation critique. Pourquoi ce choix ?

Ce titre résumait beaucoup de choses. Au départ, je ne voulais même pas mettre un titre tiré de l’album, mais mon équipe m’a poussé à le faire. In Extremis, ça symbolise déjà le fait que j’ai failli ne jamais faire de musique. Ensuite, j’ai travaillé sous pression, avec des délais très courts, notamment pour le dernier morceau, « Signes vitaux », qui a été terminé juste avant la deadline. Et puis dans chaque titre de l’album, il y a une tension, une urgence. Il n’y a jamais de résolution, juste des problématiques posées, sans réponse. Ce titre résume bien cet état de limite constante.

L’album a une structure un peu inhabituelle. Les morceaux ne suivent pas un fil linéaire, on sent un jeu sur la construction. Comment as-tu pensé cette architecture ?

C’est la première fois que je faisais une tracklist, donc j’étais un peu stressé. Mais on a voulu s’amuser avec la structure. Par exemple, que Addition et Soustraction soient opposés dans l’album, comme un clin d’œil. Il y a aussi « Changement de Mannheim » en plein milieu, qui sert d’interlude et de transition d’un état à un autre. Et « Contresens », qu’on a mis à la fin, qui résume un peu tout l’album, et donne envie de le réécouter différemment. Je pense que peu de gens feront attention à ces détails, mais moi ça m’amusait de les intégrer.

Il y a un morceau comme Baisodrome, très cru, très franc, sur la sexualité adolescente. Est-ce que c’est important pour toi d’exposer les failles, les zones grises ?

Je ne dirais pas que c’est important, mais c’est simplement plus facile pour moi d’écrire là-dessus. J’ai du mal à inventer des histoires qui ne me sont pas familières. Du coup, j’ai listé tous les sujets qui m’ont obsédé pendant des années. Même si ce n’est pas poétique, il y a toujours de la matière. Les failles sont faciles à aborder parce qu’on les porte en soi depuis longtemps.

Ton album oscille entre moments drôles et moments très mélancoliques. Comment tu trouves cet équilibre ?

C’est naturel, c’est ma façon de parler, d’être. Ce n’est pas calculé. L’humour vient de ma manière de m’exprimer. Quant à la mélancolie, c’est le moteur principal de la création musicale, je pense. Même les groupes qui font des choses très pop ont des morceaux empreints de tristesse. C’est quelque chose de très inspirant.

Tu dis que la langue française t’a longtemps freiné. Qu’est-ce qui a débloqué ça chez toi ?

Ce n’est pas que j’étais bloqué, c’est juste que je n’écrivais pas avant mes 20 ans. Sur mon premier EP, que je n’aime pas beaucoup, l’écriture était maladroite, pas très fluide. Pour l’album, j’ai changé de méthode. J’ai décidé d’écrire tous les jours sans pression, sans chercher à faire des rimes parfaites ou des tournures brillantes. Juste écrire ce qui me venait, chaque jour. Je notais une phrase dans la journée, et le soir, j’écrivais à partir de ça. C’était chaotique, mais il y avait toujours quelque chose d’intéressant à en tirer. J’ai appris à écrire de façon plus instinctive.

Et maintenant, comment se passe ton processus de création ? Tu pars d’un texte, d’une mélodie, d’un beat ?

Je commence souvent par écrire des textes dans mes notes. Ensuite, on crée la musique à part. Je fais des mélodies de voix, mais je ne m’éternise pas dessus parce que sinon ça devient stérile. Une fois que j’ai une base intéressante, je pioche dans mes textes. Soit le texte colle à la mélodie, soit je jette la mélodie et je garde le texte, en trouvant comment le caler dans l’instrumental. C’est un jeu de découpe, de rythme.

Tu joues au Printemps de Bourges, est-ce que c’est un festival que tu connaissais un peu avant ?

Oui, évidemment, c’est un des festivals iconiques en France. Mais je n’avais jamais fait de festival avant. Je ne suis pas très concert, même en tant que public. Les tremplins comme les Inouïs me stressaient, je n’en ai jamais tenté. C’est trop anxiogène pour moi. Mais le Printemps, je connaissais de nom depuis longtemps.

A quoi peut-on s’attendre ? Ce sera le même show que lors des premières parties d’Eddy de Pretto ?

Non, depuis la tournée avec Eddy de Pretto, on a bossé un vrai show. On a fait une trentaine de dates, travaillé avec des musiciens, des lumières, une scénographie. Donc ce soir, ce sera une version un peu festival du concert qu’on a présenté au Trianon ou à la Cigale. Plutôt dans l’esprit de la Cigale d’ailleurs.

Depuis la sortie de l’album, quels retours t’ont le plus touché ? Tu lis les critiques ?

Je lis tout, surtout le positif. Ça me fait plaisir. Le négatif me touche beaucoup, mais honnêtement j’en ai pas vu tant que ça. Il y en a eu un, j’ai collé la photo du journaliste dans ma chambre avec des cornes sur la tête ! Mais globalement, ça va. Ce qui me touche le plus, c’est quand des artistes que je respecte me disent qu’ils ont aimé l’album. Il y a une sorte de pincement au cœur, très agréable.

Et pour la suite, tu es déjà en train de préparer un nouveau projet ou tu savoures encore cet album ?

Je suis déjà en train d’écrire la suite. Ça fait quelques mois que j’ai repris l’écriture, entre deux concerts ou festivals. J’ai besoin de rester en mouvement. Je n’aime pas trop les pauses. Pour moi, la musique, c’est un travail. J’écris tous les jours, donc il y a toujours de la matière. Si je ne fais rien, je deviens léthargique.

Un dernier mot : est-ce qu’il y a un artiste que tu espères voir ce soir au festival ?

J’aimerais bien, mais j’ai des interviews jusqu’à 19h, puis on mange… donc pas sûr. Peut-être Saint Graal, qui passe après moi. Il y a aussi Victor Solf, qui joue sur la même scène que moi, donc je le verrai peut-être. J’aurais bien aimé voir Tiakola, mais on joue à peu près en même temps. On verra.