Après la sortie de Double Exposition, on a discuté avec Radio Polo de son parcours, de sa démarche DIY, de son lien à la photo, et de ce que ça signifie de faire du rock en français aujourd’hui. Un échange sincère, à découvrir ci-dessous.
Sorti le 4 avril dernier, Double Exposition a déjà attiré notre attention par sa singularité et son équilibre sensible entre rock francophone et sonorités électroniques. Derrière ce premier album dense et introspectif, se cache Radio Polo, un artiste autodidacte au parcours atypique, passé de la philosophie à la musique, de la Moselle à Bruxelles.
À travers cette interview, il revient sur la genèse de son projet, sa démarche résolument DIY, son attachement à la langue française, et les défis d’une scène indépendante en mutation. Une rencontre avec un musicien qui choisit d’avancer à contre-courant, sans jamais perdre de vue ce qui l’anime : la sincérité de l’expression artistique.
Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ? Quel est ton parcours ?
Radio Polo : Je suis né à Saint-Avold, en Moselle, où j’ai grandi. J’ai commencé la musique au lycée avec des groupes amateurs. Par la suite, j’ai étudié la philosophie à Nancy, puis le droit européen. Pendant mes études, j’avais un groupe, Stereocrown, avec lequel on a beaucoup joué et enregistré un album à l’Autre Canal à Nancy. Grâce au hasard des rencontres fortuites, il a été partiellement mixé par Antoine Poyeton, ancien assistant de Philippe Zdar (moitié de Cassius) au Motorbass Studio.
Ça m’a donné envie de m’investir plus dans la musique que dans le droit. J’ai donc fait une formation en production musicale à Metz. Juste avant le confinement, j’ai failli commencer un stage en tant que booker à Paris, mais avec le Covid, tout a été à l’arrêt pendant un long moment. J’ai ensuite déménagé à Bruxelles et le groupe s’est un peu dispersé avec le départ du batteur, le confinement, la distance entre les membres. On a donc mis le projet en pause après la sortie de l’album.
Pendant ce temps, j’ai commencé Radio Polo, mon projet solo, partant de la même base rock mais empruntant beaucoup plus aux musiques électroniques. Parallèlement, je travaille aussi à Bruxelles comme collecteur de droits voisins pour des artistes variés.
As-tu grandi dans un environnement musical ?
Oui, mes deux parents écoutaient beaucoup de musique. Ma mère aimait la variété française, comme Alain Souchon, et mon père, plutôt le rock. J’ai beaucoup de souvenirs de voyages avec lui, notamment en cure à La Bourboule, avec la musique à fond dans la voiture. Mon père était fan de Steely Dan, et il m’a transmis cette passion en me gravant des CD.
Ton premier album s’appelle Double Exposition. Pourquoi commencer directement par un album complet plutôt qu’un EP ?
Au départ, je voulais faire un EP, mais j’ai rapidement eu beaucoup de chansons. En les regroupant, je me suis rendu compte qu’elles formaient une trame cohérente. J’ai essayé d’en enlever, mais il manquait toujours quelque chose. Finalement, j’ai décidé d’assumer le projet d’un album DIY plutôt qu’un EP surproduit à la fois parce que l’album me plaisait comme tel mais aussi parce que je n’aime pas faire ce qu’on attend de moi ou trop suivre les conventions.
Ton regard de photographe a-t-il influencé cet album ?
C’est venu après coup. Quand je suis arrivé à Bruxelles, mon père m’a donné son appareil photo argentique, et j’ai repris la photo, une passion d’enfance. En réfléchissant à mon album, je me suis rendu compte que la photo et la musique se rejoignaient dans ma façon de penser.
Le titre Double Exposition est-il lié à la photographie ?
Oui, ça m’est venu après avoir fini l’album. J’ai d’abord pensé l’appeler Longue Exposition pour la référence aux photos nocturnes mais j’ai finalement préféré Double Exposition. C’est un procédé de photo argentique qui consiste à prendre deux photos sur la même partie de la pellicule pour créer un effet de fondu. La pochette de l’album, par exemple, en est une.
J’aime également le sens plus métaphorique que ce titre m’évoque : le fait que je sente ma personnalité exposée doublement via les paroles et la musique. Le titre reflète enfin la structure de l’album en deux parties : une première punk et énergique, et une deuxième plus douce et contemplative.
Composes-tu en partant d’une image ou plutôt de la musique ?
D’abord l’image. J’ai toujours une idée visuelle en tête quand je compose, ça m’aide à orienter la musique et les paroles. Ça explique le caractère très descriptif de mes textes : j’essaie de présenter à l’auditeur cette image de la façon la plus fidèle possible. Or, j’ai un vrai sens du détail, surtout pour les mots, ce qui peut compliquer l’écriture car il faut trouver le terme juste mais aussi celui qui rime.
Y a-t-il quelque chose qui te rend particulièrement fier dans cet album ?
Je dirais que je suis particulièrement content des structures de mes chansons. Aucune d’entre elles ne suit le traditionnel schéma pop (couplet/refrain/couplet/refrain/solo/refrain) et chacune a son propre modèle qui répond à ce qui me semblait nécessaire et naturel dans le cas présent.
« Café Serré » par exemple, n’a pas de refrain. Elle est composée d’un seul thème que je répète en changeant 4 fois la tonalité et en modifiant légèrement les paroles. La répétition donne un côté obsessionnel au titre alors que les changements de tonalité accentuent le sentiment d’urgence.
Pourquoi continues-tu à faire du rock en français, alors que beaucoup choisissent l’anglais ?
Pour moi, c’est un non-sens de faire du rock en anglais quand on est francophone. C’est un peu accepter l’hégémonie culturelle américaine et anglaise. Beaucoup le font pour avoir plus de portée internationale ou parce que ça paraît plus simple.
De mon côté, j’ai longtemps été complexé par le sentiment de dévoilement brut que le fait d’écrire dans sa langue maternelle implique : on sait que nos proches et des inconnus vont être exposés frontalement au sens de ce qu’on exprime. Ce complexe désormais dépassé, je trouve beaucoup plus naturel d’écrire dans cette langue qui me permet des nuances bien plus fines.
Est-ce que tu ressens le besoin de t’entourer ou préfères-tu ta solitude créative ?
Concernant la phase de création, je préfère la solitude. J’ai énormément d’idées et j’ai en général rapidement une vision assez précise de la direction que le morceau doit prendre. Le fait de n’avoir personne à consulter ou convaincre me permet donc de pousser ma créativité au maximum en prenant des décisions sans compromis. J’ai l’impression que c’est ce qui explique la singularité de mon projet.
Concernant l’entourage professionnel, j’adore la façon dont la solitude me pousse à apprendre toujours plus pour répondre aux besoins du moment. Cependant, j’aimerais forcément déléguer plus, et notamment le booking. C’est un travail qui devient vite chronophage et frustrant si l’on ne dispose pas d’un réseau très développé.
Sinon, je travaille déjà avec une super attachée de presse et son soutien m’aide énormément. Pour le reste, ça viendra en temps et en heure. En attendant, je continue mon chemin sans spécialement focaliser sur la question.
Maintenant que ton projet est sorti, quelles sont tes prochaines étapes ?
Je focalise désormais sur les concerts. À ce jour, j’ai confirmé deux dates : une au PopUp à Paris le mercredi 16 juillet (https://www.facebook.com/events/1806358573637713) et une seconde dans ma ville natale de Saint-Avold en Moselle le samedi 20 septembre. Mais je travaille également sur la confirmation d’autres concerts un peu partout !
Parallèlement, je suis en mode « répète intensive » pour que mes prestations soient les plus réussies possible. Ce nouveau projet a été pour moi l’occasion de sortir de ma zone de confort et de créer un modèle live à l’image de mes besoins. Alors que j’ai toujours joué au format groupe, je serai désormais seul sur scène avec ma guitare pour recréer mes chansons à l’aide de loops et de backing tracks. Mon live, c’est un peu le rock qui rencontre le schéma de nappes de la musique électronique.
Comment est la scène à Bruxelles ?
La scène bruxelloise est très éclectique et florissante. J’écoute beaucoup de projets bruxellois et belges depuis mon arrivée ! Cependant, la scène la plus typique de la ville et qui s’exporte le plus me semble être la niche jazz électro/organique.
En tant qu’artiste émergent, je trouve très dur de se faire une place ici parce qu’en plus du nombre incalculable de projets, les programmateurs privilégient souvent les locaux. Or, même si j’habite désormais ici, je n’ai pas l’impression d’être pleinement considéré comme un artiste local. Je pense sincèrement que ça me coûte des concerts, alors que si j’étais en Lorraine par exemple, ça serait peut-être plus simple. Le fait que mes premiers concerts soient en France n’est malheureusement pas anodin…
Est-ce que tu arrives à vivre de ta musique aujourd’hui ?
Pas vraiment. Les subventions dans la culture vont surtout aux gros projets, ce qui complique la vie des artistes émergents. C’est aussi un secteur qui fonctionne beaucoup à l’effet boule de neige : il suffit qu’une personne te fasse confiance et tout s’emballe très vite. Pour moi, ça pourrait devenir compliqué à moyen terme de tout autofinancer. Pour éviter ça, il faut vraiment que je puisse lancer la machine à concert et tout ira mieux !
Tu n’es pas découragé ?
Non, jamais. Je pense que quand on fait de la musique par passion, on est infatigable car on est déjà satisfait de pouvoir exploiter cette vocation, de la vivre à fond et de pouvoir se dire qu’on va au bout des choses. En revanche, si on est en pure quête d’attention ou de validation, ça peut être très difficile.
Il y a aussi une présence très forte du syndrome de l’imposteur dans la musique : on se demande toujours si ce qu’on fait plaît vraiment. Si ce n’est pas vain ou inutile. Si on ne devrait pas laisser la place à d’autres.
Je pense que ça vient beaucoup de la subjectivité du jugement artistique : vu qu’il n’y a jamais de vrai, on n’est jamais vraiment dans le faux non plus. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un gros programmateur n’aime pas ce que je fais que c’est forcément nul. Il faut savoir gérer ce flou artistique.
Comment tu gères ce doute permanent ?
C’est un ascenseur émotionnel. Parfois, je me demande si je n’ai pas poussé le DIY trop loin, puis un bon retour trois heures plus tard me rassure. Quand je me mets à douter, je me recentre sur le fait que j’aime mon album, que je suis fier de l’avoir produit quasiment tout seul et que s’il plaît ne serait-ce qu’à quelques autres personnes, c’est qu’il y a le potentiel pour plus. Je me rappelle aussi que c’était un peu mon plan de départ : assumer de construire une notoriété au fil des albums, en prenant le temps de séduire un public qui aime vraiment ce que je suis et pas une image marketing que je me donne pour plaire facilement. C’est un peu ma boussole anti-doute. Ça me donne de la force pour continuer.
