On avait failli passer à côté. Levels, premier album de Léa Sen, est arrivé sans bruit mais s’est imposé en douceur. Un disque discret, dense, traversé par une étrangeté familière qui donne envie d’y revenir.

Les mails étaient là, les singles aussi, et pourtant, rien n’avait vraiment accroché. Jusqu’à cette ultime relance. Levels est arrivé dans notre boîte comme un disque de plus, et puis soudain, tout s’est arrêté. Cette voix. Cette douceur trouble. Et cette pochette sur laquelle on aperçoit Léa Sen dans un ascenseur, manteau blanc, lapin noir dans les bras, regard qui fixe sans chercher à convaincre. Une image étrange, hors du temps, comme l’album.

Un disque comme un labyrinthe

Pensé comme un hôtel mental, Levels déroule ses dix titres comme autant de chambres fermées à clé. « Home Alone », coécrit avec son frère, pose le décor : guitare embuée, rêveries piégeuses, et cette sensation d’être suspendu entre deux réalités. Léa Sen écrit sur sa capacité à s’évader loin, parfois trop loin. Entre rêve et ambition, entre solitude choisie et isolement subi. On glisse ensuite dans « Aliens », « Edge Of The Map », des morceaux brumeux, comme des souvenirs sans date.

Le très beau « Ghostwriter », accompagné d’un clip sorti quelques jours avant l’album, glisse lui aussi dans ces zones grises. Comme un dialogue avec l’ombre de soi, il creuse cette sensation étrange qu’on retrouve dans tout l’album, celle d’habiter plusieurs réalités en même temps, sans jamais trancher laquelle est la bonne.

Une trajectoire discrète

Française partie vivre à Londres en 2019, Léa Sen s’est lancée sans plan B. Elle chantait déjà sur better de Joy Orbison, écrivait pour d’autres, et sortait deux EPs remarqués dans la presse UK. Mais Levels marque un virage, tout est à elle, et tout semble en équilibre. Même ses silences.

On sent l’influence diffuse de FKA twigs, Tirzah, Sufjan Stevens ou Massive Attack. Mais ce n’est jamais cité, jamais plaqué. Léa a grandi dans un salon rempli de sons, entre studio de son père et disques des frères. Le mélange est instinctif.

Une voix à suivre, doucement

Il y a dans « Vidéo Games » une manière très juste de parler du passé, de ce qu’on garde et de ce qui s’efface. « Lazy Days », « How? » ou « More than happy » prolongent cette sensation, l’impression d’écouter quelqu’un qui ne cherche pas à séduire, mais à dire. À sa manière.

« Lobby boy » dernier morceau, referme l’album comme on quitte une chambre d’hôtel au petit matin, un peu changé, sans trop savoir pourquoi. On avait failli passer à côté de Léa Sen, Heureusement, l’ascenseur est revenu une dernière fois.