« Je ne vois pas de psy, j’écris » : voilà comment Lancelot transforme ses fêlures en chansons. À travers son nouvel EP Pas assez, l’auteur-compositeur-interprète raconte ses doutes, ses désirs, et cette quête d’authenticité qu’il mène en toute pudeur. Rencontre avec un artiste qui fait rimer sincérité et sensibilité.
Ce n’est pas qu’un effet de style, chez lui, tout est contraste, nuance, et douceur en demi-teinte. Un prénom de légende, une silhouette androgyne, une voix qui touche sans forcer. Lancelot s’écrit à la première personne, au fil de ses doutes, de ses contradictions, de cette « flemme » devenue presque philosophie, de ses blessures qu’il transforme en chansons. Son nouvel EP, Pas assez, ne revendique rien mais dit beaucoup. Il y parle d’amour, de pression, de vérité et de ce sentiment d’insuffisance qui parfois colle à la peau. Il y avance sans armure, avec lucidité, pudeur et cette volonté rare : être sincère, simplement.
On a pris le temps de discuter avec lui par téléphone, quelques jours après la sortie de ce projet qu’il qualifie lui-même de « 100 % personnage », mais dans lequel il semble plus proche que jamais de lui-même.
Comment tu te sens, là, juste après la sortie de Pas Assez ?
Lancelot : Écoute, je me sens super bien. J’ai eu de très bons retours, j’ai reçu plein de messages, et c’est un bon démarrage. Toute l’équipe et moi, on est hyper contents de la sortie de cet EP. On a déjà hâte d’aller le défendre cet été en festival. On a fait une première date la semaine dernière, et là on attaque vraiment à partir du 27, avec six ou sept dates qui vont s’enchaîner sur le mois.
Tu ouvres d’ailleurs ton EP avec le morceau « Flemme », qui semble léger au premier abord, mais cache quelque chose de plus profond. Tu peux me parler de cette intention ?
Oui, pas du tout un morceau léger, en fait ! Il parle d’un vrai moment de down que j’ai vécu. J’étais dans une période où je ne faisais plus rien, je n’écrivais plus, je ne sortais plus. C’était de la fatigue mentale, émotionnelle. Le mot « flemme » semble anodin, mais dans le morceau, il prend un autre sens. C’est une forme de ras-le-bol, de déconnexion du monde. J’ai voulu capturer ce sentiment sans l’enrober.
Ce rapport à l’intime est très présent dans l’EP. Tu dis d’ailleurs qu’il est « 100 % personnage ». Qu’est-ce que ça change dans ta manière d’écrire ?
C’est un truc de ouf. Accepter d’être soi, sans filtre, sans se cacher. Cet EP est beaucoup plus introspectif : il parle de ma vie, de mes doutes, de mes relations. Il y a aussi une grosse place pour le love, surtout la manière dont on peut se percevoir à travers le regard de l’autre, que ce soit en amour, en amitié, ou peu importe. C’est vraiment cette idée-là : le regard qu’on porte sur nous à travers celui de l’autre.
Tu as l’impression qu’avant, tu te protégeais un peu plus ?
Je ne me cachais pas, parce que la musique est vraiment un espace de liberté totale pour moi. C’est d’ailleurs pour ça que j’en fais : je peux raconter ce que je veux, dire ce que je veux, être qui je veux, surtout quand j’écris tout seul chez moi, en caleçon, en train de faire mes chansons. C’est le seul moment où je pose tout autour de moi, et où je sors un maximum de choses. Parfois à travers des personnages.
C’était plus le cas sur mon premier EP. J’ai un rapport particulier avec ce projet, parce que c’était la première fois que je sortais des morceaux. C’était une petite épreuve de me dire : « OK, maintenant ils sortent, ils ne m’appartiennent plus. » J’aimais bien l’idée du personnage pour pouvoir faire dire des choses fortes, voire complètement folles. Mais là, c’était beaucoup plus introspectif.
Ce n’était donc pas le plus simple à écrire ?
Non, ce n’était pas le plus facile. Quand on accepte qu’il n’y ait plus vraiment de pudeur, qu’on parle de nous, ça devient forcément plus compliqué. Je m’en suis vraiment rendu compte à la sortie de l’EP. Tous ces morceaux étaient là, prêts, dans mon disque dur. On les a beaucoup retapés avant la sortie, mais au moment où ça sort, tu te dis : « OK, là, je dévoile une partie de moi, de ma vie, de qui je suis, du regard que je porte sur moi. » Et maintenant, tout le monde peut l’entendre. Il faut réussir à mettre la pudeur de côté. Et je pense que c’est un peu la base de l’art, en fait. L’art qui me touche le plus, c’est celui où je sens une vraie honnêteté.
Mais justement, tu sembles aussi très à l’aise avec les personnages. Ce n’est pas incompatible avec l’honnêteté, non ?
Non, pas du tout. Ce n’est pas parce qu’on se cache entre guillemets derrière des personnages qu’on est moins honnête. Je ne vois pas le personnage comme une façon de fuir. Les personnages que j’utilise sont souvent hyper caricaturaux, et je leur fais dire des folies. Souvent pour parler de l’inverse, d’ailleurs. J’aime bien ce rôle-là, des « méchants » dans les chansons. Enfin… pas vraiment des méchants, mais des personnages un peu clivants.
C’est quelque chose qui me parle, et je vois la musique comme un terrain de jeu. C’est mon plus grand espace de liberté. Là, je sais que j’ai la main sur tout ce que je fais. Et c’est super agréable de se sentir vraiment libre, quelque part.
Tu évoques souvent dans tes textes des notions comme la pression, le doute, ou encore ce sentiment d’insuffisance. Ce sont des choses que tu ressens encore ?
Je pense qu’on le vit un peu en permanence quand on fait ce métier-là, surtout quand on est très exposé et qu’on cherche toujours à être au plus près de soi-même. Je suis quelqu’un d’assez angoissé de base, donc ces sentiments, je les ressens souvent. Cet EP, ça m’a permis de poser des choses, de comprendre d’où venaient certains blocages, certaines douleurs. Mais ce n’est pas parce qu’on les a écrites qu’elles disparaissent, malheureusement.
Et ce sentiment de ne jamais être « assez », tu arrives à identifier d’où il vient ?
L’insuffisance, pour le coup, ça me suit depuis très longtemps. Je pense que ça vient en partie de l’école, où on m’a souvent fait sentir que je n’étais pas au niveau, pas assez bon, pas assez concentré. C’est quelque chose qui s’ancre, surtout quand t’es jeune. Et puis dans ce métier, tu remets tout le temps ton travail en question, alors ce sentiment-là peut vite revenir.
Et dans ce contexte-là, écrire devient presque thérapeutique, non ?
Je vois pas de psy, pour le coup, mais j’écris énormément. Dès que je sens que quelque chose bloque, je vais l’écrire. Même si ça ne devient pas une chanson, ça me permet de sortir ce que j’ai sur le cœur. La musique, c’est un exutoire. Ça m’aide à mettre de la distance avec mes émotions, à mieux les comprendre aussi.
Tu le dis d’ailleurs à propos du morceau « Vérité« , que tu as écrit en 30 minutes. C’est rare pour toi ?
Et pour le coup, le morceau « Vérité« , je crois que c’est celui qui est sorti le plus naturellement. Je l’ai écrit d’une traite, sans réfléchir. C’est rare que ça arrive. En général, je passe beaucoup de temps à chercher les mots justes, à douter. Mais là, c’est sorti comme un cri. C’est peut-être pour ça qu’il me touche autant.
Et dans « Guéri« , tu dis : « Aujourd’hui, je n’ai pas pensé une seule fois à toi ». Tu penses qu’on guérit vraiment, ou qu’on apprend juste à vivre avec ?
Non, je ne suis pas sûr qu’on guérisse vraiment de tout. Il y a des blessures qui restent là, en nous, mais on apprend à vivre avec, à leur laisser moins de place. « Guérir« , c’est une tentative de dire : « je vais mieux »? même si c’est pas totalement vrai. C’est un mantra, presque. Parfois on dit les choses avant d’y croire, pour essayer de s’en convaincre.
À l’inverse, « Mercure Rétrograde » semble plus léger, plus ironique. Tu étais dans quel état d’esprit quand tu l’as écrite ?
Celle-là, c’est assez drôle parce qu’en fait, je l’ai écrite dans une période où tout allait de travers. Je me suis dit « c’est pas possible, y’a une mauvaise énergie dans l’air », et on m’a parlé de Mercure rétrograde. J’ai trouvé ça marrant, j’ai voulu en faire un morceau qui parle de ça, mais avec du recul et de l’humour. C’est sûrement le morceau le plus second degré de l’EP.
Tu as fait pas mal de premières parties, et bientôt tu seras à La Cigale. C’est un cap pour toi ?
Moi, la scène, pour le coup, c’est quelque chose que j’aime vraiment trop. C’est le moment où tout ce que j’ai écrit seul chez moi prend vie. Il y a une adrénaline particulière, une connexion avec les gens que je ressens nulle part ailleurs. Et puis j’aime raconter les chansons en live, leur donner un autre souffle. La Cigale, c’est un vrai cap pour moi.
Tu livres beaucoup de toi dans tes textes. Est-ce qu’il t’arrive d’avoir besoin de couper un peu ?
Ouais, en fait, je me sers un peu des textes aussi comme un exutoire, donc parfois ça peut être lourd. Quand je sens que ça devient trop, je coupe un peu. Je me protège. Parce que même si c’est thérapeutique d’écrire, c’est aussi remuer pas mal de trucs. Donc j’essaie de trouver un équilibre, de ne pas me perdre dans ce que je raconte
Pour la suite, tu te vois continuer dans cette veine introspective, ou explorer autre chose ?
Non, pour l’instant, je commence un peu à bosser sur le prochain projet, et je sens que j’ai envie d’ouvrir un peu. De parler des autres, de ce qui se passe autour de moi, pas seulement de mon monde intérieur. Il y aura toujours de l’intime, parce que c’est comme ça que j’écris, mais je veux que ce soit un peu plus large.
Et artistiquement, tu te sens où aujourd’hui ?
C’est une question qui revient assez souvent, et j’ai l’impression que je suis en perpétuelle construction. J’apprends encore tous les jours, je découvre des choses sur moi, sur ma manière d’écrire, sur la scène. J’ai pas envie de me dire que je suis « arrivé » quelque part. J’espère que je serai toujours en mouvement.
