Entre Iron Maiden en furie, Damso en fusion, DJ Snake en rouleau compresseur et les pépites comme Mado ou Theodora : on était aux Eurocks 2025, et on a tout vu. Bilan d’une édition électrique.
Après une édition 2024 en demi-teinte (élections obligent, souvenez-vous de cette drôle d’ambiance qui flottait sur la presqu’île), cette 35e édition des Eurockéennes sonnait comme une revanche. Et quelle revanche. Quatre jours complets, 130 000 festivaliers, du soleil (ou presque), des shows fous, des embouteillages émotionnels… et toujours ce décor unique au bord de l’eau. Retour sur une édition à haute intensité, marquée par un concert annulé, un record d’affluence, et des shows qui resteront longtemps dans les mémoires.
Jeudi : Grand Opening avec du lourd (dans tous les sens)
C’est le grand jour et le site grouille de monde habillé aux couleurs de Iron Maiden. On se croirait presque au Hellfest, mais nous sommes bien aux Eurocks.

The Raven Age : le cri du jeune rock
La soirée commence à 19h avec The Raven Age, formation montante au rock incisif. Devant une fosse bien remplie, sûrement en grande partie chauffée à blanc pour Iron Maiden, le groupe ne se démonte pas. La frontwoman électrise la foule dès les premières secondes : « My friends, make some noise ! Bonsoir my friends, comment ça va ? » L’énergie est là, le son est brut, et le groupe réussit à faire plus qu’assurer l’échauffement.
Malgré un public venu en masse pour la légende britannique, le groupe livre une performance solide, pêchue, pleine de promesses. Le set est efficace, rythmé, sans bavure, et le groupe joue avec une fougue contagieuse. Une belle entrée en matière pour ces Eurocks 2025.
Iron Maiden : la légende électrise le Malsaucy
À 21h45, la Grande Scène s’embrase. Iron Maiden entre en scène sous un tonnerre d’applaudissements. 50 ans de carrière, un public multi-générationnel et un show millimétré. Bruce Dickinson, impérial, harangue la foule et demande aux fans de lâcher leurs téléphones pour vivre pleinement l’instant. Le heavy metal rugit, les solos s’enchaînent, et les 30 000 personnes massées devant la scène hurlent chaque refrain.
Le groupe signe un concert d’anthologie, visuellement impressionnant, avec pyrotechnie et Eddie géant inclus. La communion est totale. Un feu d’artifice vient conclure ce show monumental, gravant à jamais cette soirée dans l’histoire des Eurockéennes. Un moment rare, presque sacré, pour les amateurs de métal comme les curieux venus découvrir.
Vendredi : Entre élégance soul, rock énervé et ovnis scéniques
Les métalleux de la veille ont laissé la place à un public plus cosmopolite.
Mado : douceur belge sous les pins
Vendredi débute en douceur avec Mado, jeune artiste belge repérée grâce à un tremplin. Sur la scène de la Loggia, elle se présente avec une simplicité désarmante, sourire timide mais voix assurée. Le public, encore en train de cuver la veille, se pose, écoute, et se laisse envelopper par ses histoires chantées à fleur de peau. C’est fragile, sincère, un peu comme si on partageait un moment volé, loin du tumulte des grosses scènes.
Entre deux morceaux, elle raconte son parcours, comment elle a débarqué ici, un peu surprise d’y être, mais pleinement dans sa musique. Les textes touchent juste, l’émotion passe sans forcer. Pas besoin de grosses prods ou de chorégraphies : Mado impose sa présence avec trois accords et beaucoup de cœur. Une très belle mise en bouche pour cette deuxième journée.

Dead Poet Society : la claque rock du jour
C’est à la Greenroom que les rockeurs américains de Dead Poet Society ouvrent le bal. Une heure de riffs variés, de chants habités, de sueur. Le chanteur impressionne par sa maîtrise vocale, allant chercher les aiguës sans trembler. La foule belfortaine adhère sans réserve. Leur rock moderne, à la fois brut et mélodique, fédère et frappe fort. Le groupe repart salué comme une révélation du jour, prêt à s’imposer plus encore sur les scènes européennes. Un groupe à suivre de près.
MRCY : Soul et douceur au soleil couchant
À 18h sur la scène de La Plage, le duo américain MRCY insuffle une dose bienvenue de soul feutrée. Le public, les pieds dans le sable, est immédiatement conquis par cette élégance rare. Les morceaux oscillent entre groove subtil et harmonies sophistiquées, le tout dans un écrin acoustique splendide.
Portés par une voix chaleureuse et une rythmique tout en retenue, MRCY propose une parenthèse de douceur dans l’agitation du festival. Un set impeccable, sensible, qui met en lumière une soul moderne, généreuse et sincère. Une très belle surprise.

Parcels : groove sous les spotlights
Changement d’ambiance radical quand Parcels prend le contrôle de la Grande Scène. Chemises ouvertes, cheveux mi-longs, allure de boys band disco-funk sous LSD. Leur groove est chirurgical, taillé pour faire onduler les hanches et déclencher les premiers déhanchés du soir. Les Australiens balancent leurs tubes avec la nonchalance de ceux qui maîtrisent leur truc. Et quand « Overnight » retentit, tout le Malsaucy se transforme en dancefloor à ciel ouvert.
Ce qui impressionne avec Parcels, c’est leur précision rythmique. Chaque break, chaque montée est millimétrée. Mais ce n’est jamais froid. Au contraire, il y a une chaleur dans leur funk sophistiqué, une vibe 70s revisitée avec intelligence. Le public répond présent, saute, danse, chante. Le soleil décline, les paillettes s’installent. L’heure dorée leur va comme un gant.
Philippe Katerine : le roi du non-sens assumé
Ovni parmi les ovnis, Katerine débarque en robe bleue gonflée… qu’il abandonne au bout d’un morceau pour se retrouver presque nu. Le ton est donné. Son titre « Nu » devient alors une évidence scénique. Il ose tout, rit de tout, et joue avec le public comme avec ses musiciens.
Il clôt son set avec l’inévitable « Louxor j’adore », qui déclenche une liesse immédiate. Le public danse, chante, saute. Katerine fait du bien, tout simplement. Une performance aussi absurde que joyeuse, à l’image de son auteur.
DJ Snake : frénésie XXL
Dès les premières notes, c’est la tempête devant la Grande Scène. DJ Snake balance tube sur tube (Turn Down for What, Taki Taki, Let Me Love You) dans un enchaînement frénétique. Les basses font vibrer le sol, les lights transforment la scène en club géant.
Mais l’ambiance est si électrique que la sécurité doit intervenir à plusieurs reprises pour évacuer des spectateurs écrasés. Malgré cela, le public reste chaud. Un feu d’artifice vient clôturer ce set XXL. DJ Snake aura mis tout le monde d’accord.
Samedi : Talents émergents et shows mémorables
Avant-dernier jour et la fatigue se fait déjà ressentir, mais il faut tenir bon et continuer cette aventure.
Mary Middlefield : grâce rouge sur fond vert
Elle arrive en robe rouge, rayonnante, et ouvre son cœur. À 17h à la Loggia, Mary Middlefield captive dès la première note. Elle partage sa vie, ses blessures, ses émotions à travers une pop délicate et sincère. La chanson « Sex Less » touche en plein cœur.
Un concert coup de cœur. Elle saute, interpelle, sourit. Une présence solaire pour un moment suspendu, entre lumière d’été et confidences musicales. Mention spéciale pour son concert solidaire donné à l’EHPAD de Bavilliers la veille. Grande classe.
Keziah Jones : la cool attitude incarnée
T-shirt simple, guitare vissée au corps, Keziah Jones débarque tranquille, mais toujours aussi stylé. Il emballe la foule avec ses grooves funky et sa voix veloutée. À un moment, il balance un « Si je dis passe le joint, tu passes le joint » qui fait sourire tout le monde.
Pas le set le plus explosif du jour, mais un moment suspendu, groovy à souhait. On est bien, tout simplement
Last Train : retour aux sources survolté
Les Alsaciens de Last Train, jouent à domicile et embrasent la Greenroom. Leur rock brut, rageur, trouve ici un écrin parfait. Dès le premier riff, la foule saute. Le groupe dévoile le maillot du FC Sochaux en hommage à la région. Le public, local ou non, apprécie le clin d’œil.
Ils jouent comme s’il s’agissait de leur dernier concert. Authentiques, généreux, habités. Chaque morceau est un uppercut sonore. Une prestation qui rappelle pourquoi Last Train est l’un des meilleurs groupes de rock français actuels.
Clara Luciani : un set en demi-teinte
Clara est de retour après l’annulation de 2022. L’émotion est là, mais la magie peine à opérer. Voix un peu fragile, lien avec le public difficile à établir. Elle doit presque supplier pour être suivie. Dommage, on l’a connue plus magnétique.
Pourtant, quelques moments touchent juste : l’hommage à Françoise Hardy, « La Grenade », « Respire »… mais globalement, le concert manque de souffle. Une performance mitigée pour une artiste habituellement plus transcendante.
Dynamite Shakers : le feu d’artifice rock
La Loggia vibre une dernière fois avec les Dynamite Shakers. Ils ont à peine 20 ans, mais une énergie folle. Ça joue vite, fort, bien. Le public adore. Un condensé d’énergie pure, de riffs survoltés et d’attitude rock’n’roll à l’ancienne.
Un vrai coup de poing sonore. En clôture de soirée, ce groupe vendéen a prouvé qu’il avait tout d’un grand. À surveiller sérieusement.

Dimanche : Entre polémiques, orages et claps de fin
On voit enfin la fin, malgré l’orage qui menace, on ne désespère pas, toute façon, on a tout prévu au cas où.
La conférence de presse : une liberté de ton
Dimanche midi, la conférence de presse bilan tourne au plaidoyer pour la liberté d’expression. Jean-Paul Roland et Mathieu Pigasse dénoncent fermement l’interdiction du concert de Freeze Corleone, validée par le tribunal de Besançon.
C’est un événement historique : jamais un concert n’avait été interdit aux Eurocks en 35 ans. Le festival annonce envisager de saisir le Conseil d’État. La question dépasse le simple cas du rappeur et pose celle de la programmation artistique en démocratie. Tendu.

Theodora : tempête en suspens
Pas évident de monter sur scène quand le ciel menace de s’ouvrir en deux. Theodora, elle, n’a pas hésité. Vêtue de rose, concentrée, elle débarque sous un vent chargé d’électricité pour ce qui devait être un moment suspendu. Sa pop électro sensuelle commence à monter doucement, portée par une voix magnétique… avant que tout ne soit brutalement coupé. Un responsable monte sur scène, annonce une interruption de sécurité : « Juste une pause, on reprend après. » Le public hue, frustré, à deux doigts de l’orage au sens propre comme au figuré.
Mais l’attente ne dure pas trop. Deux heures plus tard, Theodora revient, comme si de rien n’était, et balance un set à la hauteur du chaos. Sa voix flotte au-dessus des beats, l’émotion prend le pas sur les caprices du ciel. Ceux qui sont restés, cramponnés devant la scène, vivent un moment rare. Loin d’être abattue, l’artiste transforme ce contretemps en climax. Une belle leçon de calme et de classe sous pression, qui s’achève en « Kongolese sous bbl »
The Molotovs : le rock en héritage
Direction la scène Club Loggia pour une claque inattendue : The Molotovs. Un duo londonien frère-sœur à peine sorti de l’adolescence mais déjà blindé d’attitude. Guitares rugueuses, énergie garage, riffs old-school… leur rock sent la cave, les salles minuscules et les rêves plus grands que soi. Le public ne les connaît pas, mais au bout de deux morceaux, plus personne ne décroche.
C’est brut, frontal, sans esbroufe. Et c’est ça qui fonctionne. Entre deux morceaux, ils balancent un « Cheers, Belfort! » avec un accent qui tue, puis reprennent de plus belle, comme si leur vie en dépendait. On sent qu’ils ont été nourris au Clash et aux Arctic Monkeys. Une belle promesse qui, si elle tient la route, pourrait faire bien plus de bruit dans les années à venir. À noter dans son radar.
Lankum : la transe des brumes
Changement d’ambiance total avec les Irlandais de Lankum. Ils montent sur scène comme on entrerait dans une cérémonie. Pas un mot, pas un sourire. Juste des instruments traditionnels, des drones sonores, une ambiance pesante. Leur folk est sombre, profonde, quasi rituelle. Un truc qui t’attrape à la gorge ou te laisse complètement à la porte.
Il faut s’accrocher, mais ceux qui restent sont happés. Chaque morceau est une montée lente, hypnotique, presque suffocante. Pas vraiment festif, mais saisissant. Dans le silence religieux de la Greenroom, les quatre musiciens déroulent leur univers hanté, comme une incantation païenne à la nuit tombante. Une expérience à part, pas facile d’accès mais totalement singulière.
Damso : flow glacial et mise en scène habitée
Damso débarque sur la Grande Scène entouré de silhouettes masquées et d’une scénographie underground spectaculaire. Dès les premières mesures, le public scande ses textes. « 911 », « Alpha », « Mwaka Moon »… tout est repris en chœur.
La mise en scène est somptueuse : danseurs funambules, fumigènes, ambiance dystopique. Damso ne relâche jamais l’intensité. Un des meilleurs concerts de la journée. Magistral, glaçant, hypnotique. Du très grand art.
Justice : le final divin
Il fait froid, le vent souffle, mais Justice assure le final. Même à distance, leur show électro est une claque sonore et visuelle. Lumières stellaires, beats ciselés, le duo fait danser les courageux restés jusqu’au bout.
Mais nous, on n’a pas eu la force de s’attarder, la fatigue a eu raison de nous. Et si ce n’était pas que ça ?
Bilan : Une édition au top et une fréquentation record
Avec 130 000 festivaliers, les Eurockéennes 2025 signent leur deuxième meilleure fréquentation. 50 concerts, 11 000 campeurs, des têtes d’affiche mythiques et des découvertes puissantes. Le festival a confirmé son statut de géant culturel à l’Est. On retiendra autant Iron Maiden que MRCY, la folie de Katerine, l’énergie de Last Train, le show glaçant de Damso ou encore les instants suspendus de Mary Middlefield. Rendez-vous les 2, 3, 4 et 5 juillet 2026 pour écrire un nouveau chapitre.
