Dans le cadre de la deuxième édition du festival Radiance, qui s’est tenue du 9 au 11 septembre à la Boule Noire et à la Cigale, nous avons discuté avec Laure Togola et Constance Bidaut, les deux têtes pensantes qui se cachent derrière la programmation de l’événement.

Pour ceux qui ne connaissent pas Radiance, pouvez-vous présenter le festival et ses ambitions ?

Laure : Radiance est un festival qu’on a monté l’année dernière pour réussir à encapsuler l’essence de ce qu’on essaie de proposer comme direction artistique générale à la Boule Noire. C’est pas évident sur toute l’année parce qu’on a beaucoup de demandes, il y a beaucoup d’artistes français et internationaux qui viennent en concert. On voulait donc un moment privilégié pour proposer les artistes coups de coeur qu’on a vus, dont on a entendu parler et qu’on avait envie de faire passer pendant 3 jours d’affilée. C’est comme un précieux emballage que les gens peuvent prendre d’un coup. Il y a une quinzaine d’artistes : si vous voulez découvrir plein de choses excitantes sur la nouvelle scène, venez. Cela permet de se faire rencontrer les publics des différents artistes, mais aussi que les gens découvrent d’autres choses qu’ils ne connaissaient pas du tout.

Comment avez-vous sélectionné les artistes de cette édition ? Est-ce qu’il y a des critères en commun que vous prenez en compte ?

Laure : L’idée, c’est de proposer une programmation un peu pop, un peu rap, un peu rock, etc, mais avec un regard défricheur. Ce sont des projets musicaux qui sont un peu hors du commun. C’est comme ça qu’on choisit les artistes : en se disant que ce sont des projets qui ont quelque chose de spécial, soit dans le genre, soit dans la manière de travailler, ce côté DIY et cet aspect alternatif qui les font sortir du mainstream. On fait aussi attention que ce soit cool sur scène, parce qu’il y a des artistes qui n’ont pas encore sorti d’EP ou même de singles comme Tout le monde s’appelle clara. L’idée, c’est de découvrir les artistes sur scène.

Tout le monde s’appelle clara le premier soir du festival Radiance, le 9 septembre 2025
Tout le monde s’appelle clara, le coup de coeur du festival Radiance 2025

Quelles sont les leçons que vous avez retenues de la première édition et que vous avez prises en compte cette année ?

Laure : L’an dernier, on avait initié le côté deux salles/deux scènes, ce qui a très bien marché. On voulait le garder, mais c’était un peu plus compliqué cette année (ndlr : tous les concerts du mercredi se sont déroulés à la Boule Noire suite au concert de Dope Lemon à la Cigale).

On avait fait des talks l’année dernière qui n’avait pas très bien marché. On se demandait si c’était le format, parce qu’ils étaient avant les concerts, donc peut-être un peu tôt. On avait aussi proposé des DJ set à la Cantine et même s’il y avait des gens, ce n’était pas à la hauteur qu’on espérait.

L’an dernier on avait fait la première semaine de septembre, là on l’a décalé à la deuxième semaine pour que ce ne soit pas trop tôt dans la saison, mais on est pas sûr que ça ait changé la fréquentation.

Et que souhaitez-vous pour la troisième édition ?

Constance : Peut-être d’ajouter de scénographie et changer la disposition. On est pas sûr que ce soit idéal pour les artistes de jouer à la Fourmi par exemple, car on entend beaucoup les gens parler dans cette salle. Aussi, hier, on a accueilli un groupe de Gand (ndlr : Lézard) qui était incroyable. Mais la plupart des professionnels et du public étaient déjà partis. Ils avaient tellement d’énergie.

Lézard festival Radiance 2025 La Boule Noire
Lézard, autre coup de coeur du festival Radiance 2025

Laure : L’énergie était folle et l’idée c’était de faire crescendo dans la soirée. Mais les gens ne consomment pas forcément les cinq concerts, en général c’est plutôt autour de deux ou trois.

Constance : Et comme il n’y a pas beaucoup de temps entre les concerts, je pense que c’est un peu un marathon et les gens veulent se poser.

Laure : Je ne voulais pas que les concerts se superposent, mais je me demande si les gens n’ont pas tendance à faire des choix lorsque c’est le cas et donc à plus rester. C’est une question un peu ouverte. Mais si on laisse plus de temps entre les concerts, la soirée finit plus tard.

Constance : Exactement, c’est un problème de coût également.

Laure : Et peut-être qu’à 22h30, les gens ont envie de rentrer.

Constance : Surtout un mardi.

Laure : Voilà. Hier, ça a fini à 23h10, ce qui n’est pas tard, mais peut-être qu’ils veulent rentrer. Donc il y a toutes ces questions. C’est très difficile de faire un festival d’émergence car le modèle est forcément à perte. En interne, il faut donc le défendre. Il faut trouver des partenaires long-termes qui nous permettent de construire un budget solide. L’objectif de l’année prochaine, c’est clairement de trouver des partenaires financiers qui voient le potentiel du festival pour nous permettre d’être à la hauteur de nos ambitions. Par exemple au niveau de la scénographie, on voulait ajouter des panneaux, des drapeaux, des choses qui rendent l’ambiance un peu spéciale et qui transforment le festival en un moment qui sort du quotidien. Mais pour tout ça, on a besoin d’aide. C’est impossible de combler les coûts par la billetterie parce qu’on ne peut pas faire des billets chers, car c’est de la découverte. Et des fois, les artistes sont 5 sur scène. C’est un enjeu compliqué à tenir, donc j’espère qu’on continuera de nous faire confiance l’année prochaine.

Constance : C’est aussi triste de devoir se limiter à un nombre d’artistes sur scène.

Laure : C’est ça, il y a beaucoup de gens qui nous auraient pas forcément bookés parce qu’avoir 5 ou 6 artistes sur scène coûte cher. C’est dur pour les grands groupes comme ça de passer, pourtant c’est tellement précieux.

Maintenant qu’on a parlé du festival, j’aimerais en savoir un peu plus sur vous. Laure, tu as été programmatrice à la Philharmonie avant la Boule Noire et toi Constance, au Mazette. Comment êtes-vous arrivées à travailler dans la programmation ?

Constance : J’ai travaillé dans la musique assez tardivement avec un stage de fin d’étude en direction artistique côté label. Ce premier stage chez In Fine était incroyable. Après, j’ai fait un stage chez Wagram qui ne pas m’a du tout plu car c’était axé sur la distribution physique. En fait, je savais que la programmation m’animait énormément parce que j’organisais déjà beaucoup de soirées dans des bars, j’avais un collectif. J’ai vu une offre au Mazette et j’y ai répondu. Et c’était trop cool parce que la mission était de développer la partie concerts et live au Mazette, qui était plutôt un bar guinguette avant que j’arrive. J’ai adoré ce défi de partir de zéro et d’essayer de développer un projet et attirer un public. J’y suis restée 2 ans et demi avant d’arriver ici. C’est cool d’arriver dans une salle de concert avec des moyens techniques à la hauteur des artistes que t’accueilles.

Laure : J’ai énormément travaillé en production dans la musique, notamment dans 3 grands festivals. Après, j’ai beaucoup bossé dans l’art contemporain dans la production d’expositions et les projets de captation photo dans 35 pays. Au bout d’un moment, je sentais que j’avais besoin de donner mon avis sur la partie artistique. La musique, c’est ma passion de toujours, mais j’avais l’impression que c’était inatteignable. Je suis arrivée à la Philharmonie pour travailler sur une exposition hip-hop, car le hip-hop était mon domaine d’expertise à l’époque. Le côté éditorial et la réflexion sur l’histoire de la musique et la passion ont fait que j’étais un bon profil. Le côté coordination rentre en compte aussi. Et quand la Philharmonie organise des expositions, il y a aussi des concerts liés au thème ou au genre. Donc je devais beaucoup parler avec l’équipe de programmation. Peu après que je parte, l’assistante du programmateur m’a dit qu’elle partait et m’a encouragé à postuler pour la remplacer. Le programmateur était là depuis 20 ans et c’est quelqu’un d’assez iconique. Quand ça s’est terminé, Nicolas (ndlr : Nicolas Chiacchierini, ancien programmateur de la Boule Noire) partait de la Boule Noire et m’a proposé de rencontrer les équipes. Ici, ça correspond beaucoup aux styles de musique que j’ai envie de défendre, mais il y a un autre challenge : l’émergence. C’est dur de rester à la page. Je suis restée 2 ans ici et maintenant je suis passée en indé dans la direction artistique.

Pour finir, selon vous, quelles sont les qualités qu’il faut pour être programmatrice ?

Constance : La curiosité. Il faut t’ouvrir à tous les styles, même si tu ne les aimes pas forcément. J’ai découvert tellement de styles à la Boule Noire ces quatre premiers mois !

Laure : Je suis d’accord. Pour le côté plus chiant, il faut être organisé. T’engranges énormément d’informations sur des sujets divers : la musique, les artistes, les labels… Il faut avoir une mémoire incroyable sur les deals, l’argent, le prix de chaque chose, qui nous a contacté… Ça peut vite être écrasant si tu n’es pas organisé. Et je rajoute la sociabilité. Le job de programmation fonctionne surtout parce que tu connais tout le monde et que tu es accessible.

Constance : Pour les programmatrices qui sont jeunes comme nous, il faut aussi être courageuse. Tu es face à beaucoup d’hommes dans l’industrie qui ne te prennent pas forcément au sérieux.

Laure : C’est ça, il faut de l’aplomb et de l’assurance. Surtout quand des gens te parlent trop mal. Donc la diplomatie est aussi nécessaire !

On remercie Laure et Constance de nous avoir accordé du temps pour cette discussion et surtout pour leur travail titanesque sur la programmation. Si vous voulez découvrir nos coups de coeur de l’édition 2025 du festival Radiance, alors c’est par ici !