Nous arrivons au troisième jour (report J2, report J1) d’un évènement avec lequel nous nous sentons en parfaite harmonie. La programmation aujourd’hui fait la part belle à la musique punk et nous balade entre des noms connus que nous voulions voir et d’autres que nous n’avions pas trouvé le temps de découvrir avant le festival, mais qui ont su nous happer par surprise.

En ce troisième jour et compte tenu du fait que nous savions que notre programme du lendemain serait bien chargé, nous décidons de faire la grasse matinée : notre journée commencera à 14h15 du matin avec Aggressive Agricultor. Hier soir, notre œil s’est porté vers ce nom que nous n’avions pas repéré dans la programmation jusqu’à présent. Allons-nous arriver devant une manifestation affichant des banderoles décorées de textes revendicatifs sur une scène dont l’accès sera obstrué par des tracteurs ? Notre curiosité est telle que nous décidons de renoncer aux corps musclés de All For Metal qui joue en même temps.

Le logo vert en fond de scène représentant une tête de cochon encerclée des inscriptions « farmcore country noise » nous laisse présager, tout comme le nom du groupe, un bon degré d’autodérision. Nos suppositions se trouvent rapidement étayées par l’accoutrement des musiciens : short à fleurs, chapeau de paille, tablier orné de tournesols et bottes en caoutchouc, chaque détail compte pour représenter le monde de l’agriculture. Ils nous servent un punk hardcore bien rodé chanté en français (nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’une formation basque née en 1986), le public part directement en pogos, slams et autres circle pits, la bonne humeur fait boomerang de la fosse à la scène et inversement. On s’éclate sur leur musique entraînante aux sonorités agréables à nos oreilles et on s’amuse des histoires qu’ils nous racontent : tonton Marcel l’as de la manivelle, leur beau tracteur, ou celui qui va à la ville et oublie le pain, pendant que volent dans le public des poireaux et des salades. On ne pouvait pas rêver mieux que ce set d’Aggressive Agricultor pour un début de journée vitaminé en ce samedi au réveil difficile.

Agressive Agricultor au Motocultor Festival 2025

Une pause en bonne compagnie à l’ombre des arbres se prolonge par un retour à la tente pour notre grignotage de milieu de journée (le milieu de journée de 16h30 tu connais), et nous mène jusqu’au au set de Poésie Zéro. On va la jouer à leur manière : c’était nul à chier ! En plus ils se croyaient aux Vielles Charrues, ils ne savent même pas où ils jouent, c’est abusé. Bien évidemment avec leur punk basique mais efficace et leur humour trash à contresens, ils répandent le chaos comme une trainée de poudre et offrent une continuité efficace à l’euphorie engagée un peu plus tôt par Aggressive Agricultor sur la même scène.

Poésie Zero au Motocultor Festival 2025 ©Pierre Sopor – Verdammnis Magazine

Puisque Forever Becoming de Pelican fait partie des rares albums de post-rock / post-hardcore instrumental à s’être fait une place sur nos étagères et dans notre cœur en tant que bande son de certains moments de notre année 2014, le groupe s’est directement imposés dans la liste des immanquable de cette édition du Motocultor bien que nous ne l’ayons pas écouté depuis une petite dizaine d’années. Sous le chapiteau de la Massey Ferguscène, le contraste est saisissant après l’euphorie de nos concerts de début de journée. Le temps d’assimiler l’idée qu’ils vont assurer le set en regardant leurs chaussures et qu’échanger avec le public est, pour eux, une notion secondaire, nous choisissons, nous aussi, de nous couper un peu du monde en fermant les yeux pour savourer leur musique dont nous aimons découvrir les histoires qu’elle raconte. Pelican nous fait voyager à travers des paysages poussiéreux, nous plonge dans des rivières poisseuses, nous recouvre de cendres tantôt froides, tantôt incandescentes. On se sent ballotté.e par les rebondissements au sein de leurs morceaux dont la longueur nous permet de les apprivoiser et d’y déposer notre propre interprétation. On ressort un peu sonné.e de ce voyage intérieur sans trop savoir où l’on se dirige pour la suite de la soirée.

Pelican au Motocultor Festival 2025 ©Pierre Sopor – Verdammnis Magazine

Direction le camping, on réfléchira plus tard. Mais nous voilà soudain happé.e.s par l’énergie qui émane de la Bruce Dickinscène. À l’image de Tribulation la veille (report), nous aimons par-dessus tout ce genre d’imprévu en festival. L’énergie bondissante de Slope ne nous laisse pas d’autre choix que de nous joindre à eux, le mélange de rap, de funk et de hardcore proposé par les Allemands nous entraine irrésistiblement dans leur univers. Le contraste avec l’ambiance du concert précédent accentue l’intensité du moment et la prestation de Slope semble soudain être parfaitement appropriée pour rester dans le lâcher prise et ne pas avoir à se demander s’il est l’heure de manger ou de se reposer. Alors on fusionne avec le public euphorique pour sauter ardemment avec Simon et Fabio, les deux voix du projet, qui mettent un point d’honneur à nous communiquer leur enthousiasme.

Après cet épisode bien cardio, plus d’hésitation possible, notre corps réclame un peu de repos et la prestation de Møl tombe à point nommé. Le chapiteau de la Bruce Dickinscène accueille habituellement, en son pourtour, son lot d’adeptes de la sieste immersive, cette limite de la bâche où sont tendues des sangles vers les piquets qui permettent le maintien de l’ensemble offrent une protection aux personnes qui choisissent de vivre le concert à l’horizontale. En mélangeant le shoegaze au black metal, les danois proposent un voyage contrasté au cours duquel la musique tour à tour enveloppe ou se déchaîne, et le chant, sombre, agrippe. On se laisse captiver tout en rechargeant les batteries.

Après cette pause introspective, nous traversons le site pour rejoindre Extreme sur la Dave Mustage. Nous n’attendions pas grand chose de ce set, tout au plus une certaine nostalgie ou un bref retour à l’adolescence. Finalement les quatre musiciens nous ont offert bien plus que ça : quelle belle surprise, alors que nous nous attendions à voir des artistes blasés assurer le service minimum, voilà qu’ils nous offrent un superbe moment de partage. Le groupe a su préserver la ferveur de ses prestations pour notre plus grand bonheur et n’est pas avare de communication avec le public. Nuno Bettencour, guitariste hors pair, s’offre une pause assise pour jouer More than words (le morceau qui les a fait connaître) et plaisante sur le fait qu’à bientôt 60 ans il s’agit de son moment préféré du concert. Malgré notre douzaine d’années de moins que lui, on ne peut qu’acquiescer, puisque nous sortons nous même tout juste d’une sieste immersive. Pas le choix, il faut bien vieillir, mais le plus important reste de conserver l’envie et d’économiser nos corps pour profiter encore longtemps de ces moments qui nous tiennent tant à cœur.

Extreme au Motocultor Festival 2025

Notre dernier concert de ce samedi sera Cult of Luna ou l’événement de tous les paradoxes, l’illustration parfaite de l’équilibre instable. Leur set nous agrippe aux tripes autant qu’il nous maintient dans un certain inconfort. L’étonnant retour à la terre que le groupe suédois suscite, en contradiction avec leur adoration pour le satellite de celle-ci, nous absorbe dans un tourbillon d’énergies magnétiques nous clouant au sol. On n’arrive pas à définir si cette ambiance nous libère ou nous oppresse, le chant crié semble empli de douleur et nous déchire le bide, mais on reste, asservis, dominés par la puissance de ce qui se déverse sur nous. Un gigantesque croissant de lune lumineux (gonflable ?) traverse le public à plusieurs reprises, porté (selon notre souvenir peut-être altéré par la brume invitée dans notre cerveau pour l’occasion) par une personne en tenue de gym colorée, ça n’a rien à faire là. Ce contraste ajoute à l’incohérence des émotions qui nous habitent. On espère que ce n’est pas une idée de la production tellement cela nous semble insensé. Quand le set s’achève, on reste là planté.e, brumeux.se incohérent.e pendant plusieurs minutes. Alors que le chapiteau se vide, des personnages maquillés comme des arcs-en-ciel s’adressent à nous « vous ne trouvez pas qu’il manque des couleurs dans le public métal ? ». Alors d’habitude oui, nous militons pour plus de couleurs chez les métalleux, mais là tout de suite, non c’est plutôt un maelstrom sombre comme les fonds marins qui nous envahit. Mais demain pourquoi pas, oui des couleurs. Ainsi se conclut notre moment le plus incohérent du Motocultor festival 2025.

On s’endort dans notre tente au son de Kap Bambino sans vraiment rentrer dans le délire. Demain s’annonce une de nos journées les plus denses de cette édition, il faut reprendre des forces.

Nous remercions très sincèrement Pierre Sopor de Verdammnis Magazine pour ses photos de Poésie Zéro et de Pelican en illustration de cet article, ainsi que Marguerite pour nous avoir fait part de ses impressions à propos des concerts de Poésie Zéro et d’Extreme.