On ne présente plus le MaMa Music & Convention, tant il s’est imposé comme le rendez-vous incontournable des curieux de musique émergente et des professionnels à l’affût des futurs diamants de la scène. Du mercredi 15 au vendredi 17 octobre 2025, le quartier de Pigalle a vibré sous les kicks du rap, les guitares du rock, les nappes de shoegaze et les élans pop, mais aussi sous les applaudissements et les exclamations d’un public curieux et conquis.
Retour sur nos coups de cœur de cette 16e édition.
Juste Shani
Notre premier soir démarre fort avec Juste Shani, une révélation rap qu’il est difficile de qualifier encore d’émergente. Après avoir foulé les scènes de Solidays, Lollapalooza et Les Ardentes, et assuré la première partie d’IAM à l’Olympia, la rappeuse de l’Essonne confirme tout son potentiel à la Cigale.
Sur scène, Shani navigue avec aisance entre des morceaux introspectifs, comme « Autre Chose », qu’elle dédie à tous les rêveurs, et des titres plus tranchants comme « Got U », où la trap fait vibrer le sol et les corps. Son flow, précis et percutant, s’adapte à tout, même à l’instru de “Praise The Lord (Da Shine)” d’A$AP Rocky et Skepta, sur laquelle elle livre un freestyle chirurgical.
Elle clôt son set sur une note intime, évoquant son parcours et le courage de croire en soi malgré les doutes. Ce soir-là, on ne découvre pas Juste Shani : on assiste à la naissance d’une nouvelle grande voix du rap français.

Maël Isaac
Entouré d’un batteur et d’un claviériste, Maël Isaac trône au centre de la scène, sa grande harpe appuyée sur l’épaule, le regard concentré, presque habité.
Les trois musiciens sont excellents. Depuis notre angle, on distingue surtout le batteur, impressionnant de maîtrise, donnant aussi de la voix dans le micro placé devant lui, et Maël, derrière sa harpe. Le claviériste, un peu dissimulé derrière l’instrument, se devine plus qu’il ne se voit, sans doute les spectateurs de l’autre côté bénéficiaient-ils d’une autre perspective.
Le moment le plus fort restera sans doute sa reprise de « Running Up That Hill » de Kate Bush, interprétée à la harpe, une version délicate et bouleversante, qui a failli tirer quelques larmes au public. Une performance pleine de grâce et de douceur, comme un rappel que la sensibilité reste la plus belle des forces. Il quittera la scène en laissant ses deux musiciens conclure seuls, toujours en rythme, toujours dans le chant, ils prolongent l’émotion quelques secondes avant de saluer à leur tour.


Exotica Lunatica
Eléanna (chant, guitare) et Daphné (tambour, piano) forment un binôme hypnotique. Tout de noir vêtues, elles instaurent une atmosphère magnétique, presque rituelle. Par moments, les deux se font face (Daphné au piano, Eléanna à la guitare) avant de fusionner leurs voix dans une symbiose envoûtante. La lumière baigne la salle de mauve, de vert, de jaune ou de bleu, amplifiant le caractère mystique du moment. Comme à Bourges, Eléanna descend dans la fosse pour chanter au milieu du public, dans une communion sincère et intense.



Parmi les morceaux joués, « Luxuria » retient particulièrement l’attention, une chanson en latin dédiée à une déesse de la passion, nouvel extrait d’un univers où la transe et la spiritualité ne font qu’un.
Et nous, on a désormais hâte de vous livrer l’interview que les deux artistes nous ont accordée.
Pierre et la Rose
Des ailes d’ange, une afro aux mèches blanches, un corset glamour : Pierre et la Rose attire le regard avant même de prononcer une note. Mais dès que sa voix grave s’élève, c’est le cœur qu’iel capte.
Pendant près d’une heure, l’artiste nous invite dans son univers, un espace où la vulnérabilité devient force. À travers ses textes, iel aborde le coming out, le grooming ou encore la recherche d’amour dans ce qu’il a de plus doux comme de plus douloureux. Quand les notes de “Glory” résonnent à la Cigale, difficile de ne pas être ému face à l’amour que Pierre et la Rose se porte : « Quand je regarde le miroir, je ne vois plus de double vie, je vois de la fierté, de la force, du courage, alors je chante ».
Sa sincérité, sans fard ni pathos, crée un moment suspendu. Dans la salle, on écoute, on retient son souffle. Pierre et la Rose ne chante pas pour plaire, mais pour guérir.




Bia Ferreira
Jeudi soir, Bia Ferreira, découverte lors de la Fiesta des Suds, transforme les Trois Baudets en véritable manifeste.
Seule sur scène, guitare en main (qu’elle manie aussi comme percussion), elle impose une présence magnétique. Sa musique, qui oscille entre rap, soul et reggae, dénonce les génocides, le racisme, le colonialisme et les violences faites aux femmes au Brésil. Elle nous rappelle que le silence tue, chaque jour, alors quoi de mieux que de chanter pour vivre et faire vivre ?
On crie « non » pendant “Giga Não”, puis on répète avec le sourire “Shalamanaias”, un mot inventé devenu incantation : “What’s good stays here, what’s bad goes away.” Et quand Bia Ferreira lève sa guitare une dernière fois, la salle entière est debout, galvanisée.

Alma Rechtman
La soirée se poursuit avec Alma Rechtman, une voix grave et singulière, entre fragilité et intensité. Véritable boîte à musique à elle seule, elle joue de la guitare, tandis qu’elle accompagne sa guitare de percussions légères, frappées du pied sur la scène, et trafique sa voix pour créer des harmonies qui rappellent Bon Iver comme sur le titre « dans ma maison ». Sa douceur nous désarme et toute la Cigale semble hypnotisée lorsqu’elle chante« mes nuits à toi » ou « et je t’oublierai ».
« J’ai peur des loups et des fascistes », confie-t-elle avant la fin du concert. « Alors, la meilleure solution, c’est de faire famille ensemble. » Et c’est bien ce que nous avons fait, le temps d’un concert intimiste.

Ruthee
On conclut cette 16e édition du MaMa avec Ruthee, qui apporte une touche r&b bienvenue pour apaiser l’ébullition de ces derniers jours. Mais au lieu d’un simple moment de détente, c’est une véritable montée d’énergie qui s’empare de la salle.
“LE MAL DE TOI” séduit avec son groove doux, sa rythmique compas qui balance les hanches alors que ses paroles sont empreintes de mélancolie. Puis vient “IDIU SU SUMA”, repris à pleins poumons par le public, qui connait visiblement bien Ruthee. Même nous, qui venons à peine de la découvrir, dansons et répétons le refrain, “apaise ton cœur”, comme un mantra.
Sa voix, à la fois puissante et veloutée, touche autant qu’elle fait danser. Une fin parfaite, entre émotion et rassemblement.




Conclusion
Cette 16e édition du MaMa Music & Convention nous rappelle pourquoi on aime tant ce festival : trois jours de découvertes, de frissons, de partage et d’humanité. De la ferveur de Juste Shani à la poésie d’Alma Rechtman, en passant par la transe mystique d’Exotica Lunatica et le groove de Ruthee, chaque artiste a offert bien plus qu’un concert : un moment hors du temps, où nous avons vibré de tout notre cœur et de tout notre corps.
