Derrière leurs masques, Nord//Noir porte la voix d’une génération lucide, ancrée, rageuse. Rencontre au Crossroads Festival, là où la cold rencontre la gabber.

Masqués, puissants, poétiques : le duo calaisien Nord//Noir a transformé la fin du premier jour du Crossroads Festival en véritable déflagration. Leur « cold gabber » n’a rien de froid : c’est une tempête d’énergie brute, d’émotion et de révolte. Entre engagement, rage et dérision, Nico et Yann se confient sur leurs débuts, leur esthétique et ce qui anime leur musique.

On les a rencontrés juste avant leur concert pour parler de masques, de colère, d’ancrage territorial et de cette énergie singulière qui traverse NORD//NOIR.

Ça remonte à quand, votre rencontre ? Comment est né Nord // Noir ?

Nico : On s’est rencontrés il y a 7 ou 8 ans. À l’époque, j’écrivais de mon côté et Yann composait déjà un peu. On s’est retrouvés dans un lieu où la musique électronique tenait une grande place, et on a tout de suite accroché. Pendant le Covid, on a commencé à s’amuser avec nos machines. Yann a craqué à Ableton (rires), et c’est là que tout a commencé.

Yann : ça c’était il 4 ans 

Nico : Et puis on a sorti un premier morceau, qu’on a fini par supprimer, c’était juste un délire. Puis d’autres titres ont suivi. Pendant longtemps, c’était très confidentiel, on faisait de la musique pour nous, sans ambition particulière. Et puis il y a trois ans, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à creuser. Depuis un an environ, on s’y consacre vraiment à fond, avec une vraie vision du projet.

Qu’est-ce qui vous a poussés à franchir le pas, à vous professionnaliser ?

Yann : C’est venu naturellement. Les premières dates en ont amené d’autres, les retours du public ont été bons, et ça nous a donné confiance. À un moment, on s’est dit qu’il y avait moyen d’aller plus loin. On fait de la musique pour le plaisir, mais aussi parce qu’elle résonne chez les gens. C’est ce mélange qui nous a fait passer à la vitesse supérieure.

Nico : Oui, c’est vraiment la combinaison de deux choses : le plaisir qu’on y prenait et la réception du public. Ces deux moteurs-là nous ont poussés à aller plus loin.

Vous connaissiez le Crossroads avant d’y être programmé ?

Nico : Oui, on connaissait le nom, mais on n’avait jamais assisté au festival. C’est une date importante dans la région, et comme on vient du coin, c’est un peu une étape logique. Et puis c’est un festival pro, donc c’était aussi une belle occasion de rencontrer du monde.

Les masques sont devenus votre marque de fabrique. D’où vient cette idée ?

Nico : Le masque est arrivé avec le clip « Ma côte est pâle ». Au départ, on n’avait pas forcément envie de montrer nos visages. On voulait que ce soit le projet qui parle, pas nos têtes.

 Une façon de préserver votre anonymat ?

Nico : Oui, on fait de la musique pour le plaisir, mais aussi pour exprimer des idées. Certaines peuvent déranger, ou bousculer. Ce qu’on défend, ce ne sont pas nos visages, ce sont nos idées. On n’a pas envie d’être identifiés pour ça dans la vie de tous les jours.

Yann : Le masque, ça nous permet aussi de pousser l’imaginaire du projet, de devenir des personnages. Il y a une folie là-dedans, une énergie. Sur scène, on se démultiplie, on incarne quelque chose.

Donc ce soir, vous serez masqués sur scène ?

Yann : Ah, faut venir pour le voir (sourire).

Nico : Oui, ils seront là ! Par contre, on ne peut pas chanter avec : c’est impossible, le son ne passerait pas. Alors on joue avec les lumières, avec les ombres, pour ne pas montrer nos visages.

Yann : on joue des lumières 

Vous vous définissez comme un projet de « cold gabber ». C’est quoi exactement ?

Nico : On a inventé ce terme, parce qu’à un moment il faut bien rentrer dans une case. Notre son a plusieurs influences, donc on a fusionné deux univers.

Yann : Le côté « cold », c’est pour les synthés, les rythmes, les ambiances. Et le côté « gabber », c’est pour l’énergie, la radicalité.

Nico : On aurait pu dire “punk” aussi, mais ce n’est pas de la musique punk. C’est plus un esprit punk. “Cold gabber”, c’est le mot qui nous va le mieux.

Votre musique est très politique. Vous vous considérez comme un groupe militant ?

Nico : Je pense que beaucoup de projets sont politiques aujourd’hui. NORD//NOIR ne l’est pas plus qu’un autre, mais nos textes sont militants, c’est vrai. Ils parlent frontalement. Ce n’est pas une posture, c’est juste ce qu’on vit, ce qu’on voit.

Certains diraient que c’est paradoxal de défendre des idées fortes en restant masqués.

Yann : Pas du tout. On ne défend pas des personnes, on défend des idées. Ce qui compte, c’est la transmission. Peu importe qui parle, tant que le message passe.

Vous venez du Nord, et vos textes évoquent la précarité, la colère sociale… C’est une influence directe ?

Nico : Oui, forcément. On est influencés par ce qu’on vit, par les gens autour de nous. On vient de petites villes où la vie n’est pas toujours simple. Nos proches ne viennent pas de milieux favorisés. On parle de ce qu’on connaît.

Yann : Et ça résonne ailleurs. Le SMIC, les rapports de domination, la galère… ce n’est pas que dans le Nord. Mais notre ancrage, notre regard, oui, il vient d’ici.

Le clip « L’Averse » a été réalisé par toi, Nico. Quelle place prend l’image dans votre univers ?

Nico : Oui, le premier, L’Averse, c’est moi qui l’ai réalisé. Ce n’est pas juste un habillage, l’image prolonge vraiment ce qu’on raconte. On aime construire une direction artistique complète : les masques, les lumières, les clips, les visuels… tout fait partie du propos.

Yann : On a aussi la chance d’être bien entourés à Calais. Des amis talentueux nous aident sur la vidéo, le son, la lumière. Ce projet, c’est vraiment une aventure collective.

Vous êtes considérés comme artistes émergents. Est-ce que vous vivez aujourd’hui de votre musique ?

Yann : (sourire) Non, pas encore. Moi, je baisse mes salaires depuis trois ans. Je m’appauvris financièrement, mais je m’enrichis humainement. Ce n’est pas la richesse, mais on ne va pas se plaindre : il y a des gens qui se lèvent tous les matins pour aller à l’usine.

Nico : On n’attend pas des millions. On veut juste pouvoir vivre sereinement, sans trop se poser de questions. Pour le moment, on investit dans le projet. On espère qu’un jour, ça s’équilibrera.

Et la suite ?

Nico : On prépare notre premier EP pour début 2026, avec un premier single prévu en janvier.

Yann : On est en plein dedans !

Vous avez déjà eu envie d’arrêter ?

Yann : Oui, plusieurs fois. Ça arrive. Et puis, ça repart tout seul. C’est en nous. Et puis on ne va pas se plaindre : la professionnalisation est encore récente.

Nico : On a signé rapidement avec un tourneur, on est bien entourés. Tant qu’on avance, il n’y a pas de raison de lâcher. Et quand je pense à mes parents, à leurs vies, ça me suffit pour continuer.

Pour quelqu’un qui ne vous a jamais vus sur scène, comment décrire votre live ?

Yann : Une envie de fête, de rage, de partage. On est deux sur scène, comme d’habitude. Pas de VJ ce soir, pour des raisons pratiques, mais on garde notre setup habituel.

Nico : Et autour de nous, il y a toute une équipe : ingé son, light, vidéo. Ce sont nos amis, et sans eux, rien ne serait possible.

Si vous deviez vous décrire en trois mots ?

Nico : (rires) Difficile, ça.

Engagés ? Militants ?

Nico : Non… je dirais plutôt « pommes de terre, boue et teuf. »

Yann : (rires) Oui, et peut-être « briques« , aussi. Pour les gens qui nous dirigent parfois.

 Pourquoi le nom NORD//NOIR ?

Nico : « Noir » pour la noirceur des textes, pour les « gueules noires », pour le charbon, pour cette histoire industrielle qui nous traverse. Et « Nord » pour notre territoire, notre ancrage.

Yann : C’est nous, tout simplement.