Le 6 au Crossroads, Bleu Berline a offert un set bleu électrique, tendre et puissant. Avant son passage sur scène, on a échangé avec elle autour de Verre d’amour et de son univers. L’interview est à découvrir ici 

Quelques heures avant son passage au festival, Bleu Berline nous parlait de Verre d’amour avec la même intensité qu’elle met dans ses chansons : une musique où l’on cherche refuge, où l’on se reconstruit, où l’amour, sous toutes ses formes, devient un moteur. Sur scène ensuite, cette énergie s’est révélée pleinement, entre douceur, tension et éclats pop. Retour sur une rencontre où l’artiste dévoile les fondations sensibles et contrastées de son univers.

Phenixwebtv.com :  On parlait tout à l’heure du bleu, ta couleur préférée, qui est aussi au cœur de ton identité visuelle et de ton dernier EP, Verre d’amour. Pourquoi avoir choisi le nom Bleu Berline ?

J’ai choisi Bleu Berline pour une raison totalement sentimentale. Le bleu, c’est la couleur préférée de ma grand-mère. Toute sa vie, elle n’a porté que ça. Le bleu en question ressemble au ciel quand le soleil se couche, ou au fond de l’océan. En faisant des recherches, j’ai découvert qu’il s’agissait du bleu de Prusse, aussi appelé « Blue Berlin« . J’ai simplement féminisé le nom : ça a donné Bleu Berline.

Pourquoi avoir appelé ton EP Verre d’amour ? Qu’est-ce qu’on mettrait dans un « cocktail du verre d’amour« ?

Très bonne question. J’ai appelé l’EP comme la dernière chanson, parce que l’objectif était de transmettre un message d’amour avec un grand A. L’amour entre les êtres humains, l’amour des choses, de la vie… mais aussi l’envie de se battre et de s’en sortir quand tout va mal. C’est ma solution, à moi, pour tenir. J’ai réuni cinq fragments dans cet EP : la fuite, la passion, le deuil, la résilience et la résistance. C’était important pour moi de finir sur « Verre d’amour » pour faire écho à mon premier EP Soleil perdu. On y retrouve l’idée qu’il faut continuer à se battre, coûte que coûte. L’amour traverse toutes les chansons, mais sous différentes formes.

Tu expliques que Verre d’amour est né d’un besoin de refuge. Quel a été le déclencheur de l’écriture de cet EP ?

J’avais besoin de mettre des mots sur des maux. Et aussi de m’adresser directement à une jeunesse (dont je fais partie ) qui ne se retrouve pas dans une société froide et très normée. Je voulais parler aux cœurs brisés, opprimés, déchirés… y compris au mien. L’écriture a été une manière de m’en sortir, et par extension de donner des « armes » à celles et ceux qui n’ont pas la musique pour s’exprimer.

Sur la pochette, on te voit avec des bonbons, des couleurs pop, beaucoup de bleu… Est-ce que cette direction artistique était pensée dès le départ ?

Oui. Je voulais des visuels très pop, très lumineux, presque naïfs, en contraste total avec ce que racontent les textes. Le projet est traversé par une double tension : d’un côté la froideur, la mort, le deuil, la société et ses exigences, et de l’autre la chaleur, la douceur, l’amour. Je voulais que ça se ressente partout : dans les visuels, mais aussi dans la musique, où je mêle organique et synthétique, douceur de la voix et prods plus brutales. C’est un vrai jeu d’équilibriste, déjà présent dans le premier EP, et que je continue à affiner.

Dans « Jeu vidéo« , tu évoques la fuite comme mode de survie. Tu te considères comme quelqu’un qui fuit, ou au contraire qui affronte les choses à travers la musique ?

La musique m’aide. Ce n’est pas vraiment une fuite : c’est plutôt un moyen de guérison. Quand j’écris, c’est que j’ai déjà fait une partie du chemin. Au fond du trou, je ferais sûrement de mauvaises chansons. Il faut toujours un peu de recul. La musique intervient comme une catharsis : elle me permet de tenir, puis de me reconstruire. Donc non, ce n’est pas une fuite. C’est un processus.

Tu as longtemps accompagné d’autres artistes. Qu’est-ce que cette expérience a changé pour toi dans ta manière de créer ton propre projet ?

Ça m’a apporté énormément de professionnalisme. J’ai commencé à 18 ans, comme musicienne multi-instrumentiste et choriste, en tournée, en studio, en promo… J’ai exploré des styles auxquels je n’aurais jamais touché autrement, j’ai travaillé des instruments que je n’aurais pas pensé utiliser. Avec mes formations en parallèle, j’ai fini par faire une synthèse de tout ça dans mon projet. J’ai gardé ce qui me touchait le plus, les instruments que je préférais, et j’en ai fait une fusion personnelle.

Dans « Verre d’amour« , tu évoques une forme d’amour à la fois douce et dangereuse. Pour toi aujourd’hui, l’amour c’est plutôt un élixir… ou un poison ?

Pour moi, l’amour est clairement une solution pour s’en sortir. Mais c’est vrai que parfois, on peut sombrer à travers lui. Et dans l’EP, j’aborde des formes détournées d’amour, comme l’alcool dans « Verre d’amour « . Ce ne sont pas toujours des solutions saines, mais ce sont parfois celles qui nous permettent de ne pas tomber encore plus bas. Le but n’est pas de juger : juste d’accepter ce qui nous aide, à l’instant T, et d’avancer.

Tu cites souvent des inspirations éclectiques : Damso, Billie Eilish, Barbara, Kendrick Lamar… Qu’est-ce qui t’attire dans ces univers ?

C’est vrai que mes inspirations sont très diverses. Je viens de la musique classique, je suis guitariste classique et j’en joue tous les jours, donc harmoniquement, j’en suis très inspirée. J’écoute beaucoup de rap : chez Damso, j’adore le flow. Chez Billie Eilish, la douceur et la façon de poser sa voix. Chez Barbara, le sens de la chanson. Chez Kendrick Lamar, les prods et la richesse des beats. Chaque style m’apporte quelque chose de très spécifique.

Tu assumes ton hypersensibilité, alors que beaucoup la voient comme une faiblesse. Pour toi, c’est une force ou une fragilité ?

Au départ, ça ne semble pas être une force. On me l’a déjà reproché, en me disant « t’es trop fragile ». Mais en réalité, l’hypersensibilité, c’est juste une manière de percevoir les choses très intensément. Quand on arrive à canaliser ça, on peut le mettre au service de sa musique. C’est ce qui me permet de me connecter aux gens, en concert ou chez eux. Aujourd’hui, mon équipe m’aide à protéger cette part de moi, au lieu de vouloir la lisser. Pour moi, c’est devenu une force.

Tu travailles déjà sur la suite de Verre d’amour. On pourra en entendre les prémices en concert ?

Oui ! Dans le concert du Crossroads, il y a un aperçu de ce qui arrive, sur la dernière chanson du set. Ça ouvre une nouvelle direction. Je travaille déjà sur les prochaines chansons et il y aura du nouveau courant 2026.

Que penses-tu des festivals comme le Crossroads, qui mettent en avant des artistes émergents ?

Pour moi, c’est essentiel. Je travaille beaucoup sur les réseaux, donc j’ai une communauté forte, mais peu de visibilité auprès des professionnels. Les festivals comme Crossroads arrivent au bon moment : ils me donnent l’occasion d’être vue par des gens du milieu. J’ai sorti deux EP, la suite arrive, et ça m’aide aussi à rencontrer de nouveaux partenaires. Cette année, par exemple, j’ai rencontré une productrice de spectacle avec qui j’ai eu un vrai coup de cœur humain et musical.

Dernière question : arrives-tu aujourd’hui à vivre de ton art ?

Vivre de son art, c’est très difficile. Je pense qu’il ne faut pas se mentir : les gens ont une vision très faussée du quotidien des artistes. On fait beaucoup de choses qui ne sont pas notre métier. Les concerts nous font vivre, mais on n’en a pas 80 par an. Aujourd’hui, je me bats pour y arriver : je suis soutenue par ma famille, mes proches et ma communauté. Mais en tant qu’artiste en développement, ce n’est pas évident tous les jours.