Toutes les bonnes choses ont une fin, il s’agit de profiter de chaque seconde de cette dernière journée tout en gérant la chaleur de plus en plus écrasante et la poussière de plus en plus collante. Entre les groupes que nous ne voulions pas manquer, les découvertes aux balances du matin (toujours bien placé.e.s au camping) et les expériences curieuses qui se sont révélées sublimes, voici une journée pleine de rebondissements au cours de laquelle les meilleurs moments n’étaient pas toujours ceux que nous avions prévus.

Ce dimanche commence avec les balances de Lunar Tombfields pendant notre petit déjeuner, faisant d’emblée passer le groupe de la catégorie « par curiosité » à la catégorie « immanquable ». Nous prévoyons notre premier rang pour leur ouverture de la Suppositor Stage mais avant cela, Solitaris assure la première prestation de la journée sur la Dave Mustage. Les parisiens dans leurs combinaisons intégrales noires en plein soleil, à l’heure où ce dernier est le plus haut dans le ciel, n’en perdent pas pour autant un centième de l’énergie qu’ils dispensent au public. Les quatre musiciens assènent leur metalcore en mode rouleau compresseur sans la moindre baisse de tension sur une assemblée réceptive qui voit sa température corporelle monter de quelques degrés. On salue leur prestation sans faille dans des conditions extrêmes compte tenu de leurs costumes de scène.

Solitaris au Motocultor Festival 2025

Accroché.e.s à la barrière de la Suppositor Stage, nous voulions découvrir le visage de ceux qui, une bonne heure plus tôt, nous avaient happé.e.s par leur son. Le charisme des personnages qu’ils incarnent nous semble en accord parfait avec ce que nous avions perçu de leur univers musical au réveil. Le soleil, l’intrus dans ce set, n’empêche pas les Nantais de nous envelopper de leurs ténèbres pesantes. M. nous écorche de son chant éraillé sorti du fond d’un gouffre jusqu’à nous en faire oublier la chaleur ambiante. Hormis nos récents coups de cœur pour Versatile et Houle qui mélangent d’autres styles de musique au black metal, nous éprouvons certaines difficultés à apprécier le genre qui nous paraît généralement assez monotone et répétitif. Nous trouvons en la musique de Lunar Tombfields les reliefs et changements de rythme offrant à notre imaginaire l’appui nécessaire pour basculer dans une autre monde, obscur, poisseux, ténébreux dans lequel on accepte de se perdre en toute quiétude.

Lunar Tombfields au Motocultor Festival 2025

On se dirige vers la Massey Ferguscène où l’on retrouve une petite foule déjà en place sous le chapiteau en vue du concert de Doodseskader, actuellement le projet principal de Tim de Gieter (ancien bassiste d’Amenra) en duo avec Sigfried Burroughs. Nous, on ne connaît pas bien Amenra, on vient ici parce qu’on a entendu parler d’une expérience à part sans étiquette de style, sans mots pour le définir : Doodseskader ne se décrit pas, il se vit. Alors on est là sans éprouver aucune attente, bien loin d’imaginer ce qui nous attend.

Effectivement, il est bien difficile d’expliquer ce qui s’empare de nous dès les premières minutes de la prestation et grandit en nous, avec force, tout au long du set. Ces deux esprits torturés déversent leurs tourments sans filtre à tel point que l’expression « y mettre ses tripes » semble bien trop légère. Ce qu’ils remuent est bien plus profond, cela vient du fond de l’âme, au-delà de la chair et du palpable. Recevoir des émotions aussi pures entraîne une résonance au plus profond de notre être, elles se frayent un chemin avec une empathie et une bienveillance que l’on a rarement reçu de manière aussi puissante. On se sent compris.e.s dans nos douleurs, celles qu’on essaie d’enfouir pourtant, mais, en cet instant, on n’est plus seul.e, on a le droit de laisser sortir nos tourments intérieurs nous aussi, de les sentir glisser hors de nous. Nous ne pourrions pas citer un seul mot exprimé par Tim entre les morceaux, mais nous pouvons parler de la connexion ouverte par l’intention de ses paroles, de la difficulté de se sentir apaisé quand on a l’impression de ressentir la douleur du monde à chaque seconde. Doodseskader est, sans aucun doute, l’expérience humaine la plus intense du Motocultor Festival 2025. Un moment de pause nous est nécessaire pour reprendre nos esprit avant de nous exposer à de nouvelles émotions portée par la musique.

Doodseskader au Motocultor Festival 2025

LocoMuerte, annoncé début juillet en remplacement de Dropout Kings, faisait partie de nos immanquables de cette édition du Motocultor. Nous les avions découverts sur scène, également en tant que remplaçants (de Rise of the Northstar), à l’Apocalypse Metal Fest en décembre 2023, il avaient alors retourné complètement le public du Havre, si bien que la file ne désemplissait pas au merch après leur prestation. Aujourd’hui, très enthousiastes d’avoir l’opportunité de se produire sur une des scène principales (notre si chère Suppositor Stage), les quatre musiciens transforment immédiatement le pit en zone chaotique dans un nuage de poussière qui ne retombera qu’après la fin du set.

On aime toujours autant les sauts élastiques et le look pirate du chanteur El Termito, avec son pied de micro amovible en forme de sabre, et les interventions chaleureuses du bassiste Nico Loco. Leur recette thrash punk crossover chicano prend toujours aussi bien et leur jeu de scène nous incite à extérioriser notre enthousiasme dans la plus pure forme du lâcher prise. On apprend vite les refrains grâce aux panneaux brandis par El Termito aux moments adéquats « a huevo », « booster », « barrio » on hurle en même temps qu’on avale la poussière. Qu’importe on respirera plus tard, après la course en slam à dos de crocodile gonflable. On s’aventure même dans un wall of death, le premier et le dernier auquel nous participerons pour cette édition (et probablement pour celles à venir). LocoMuerte va jusqu’à nous faire oublier notre âge et nos appréhensions. Lorsque le set s’achève, nous sommes surpris.e.s de constater qu’en réalité, nous n’avons plus 20 ans. Nous avions cru les avoir retrouvés pourtant, le temps de ce concert qui nous a même fait oublier nos petites courbatures accumulées depuis 3 jours et demi.

Très proches de leur public, les quatre membres de LocoMuerte étaient d’ailleurs présents au stand Crève Clothing, à des plages horaires définies, chaque jour du festival pour rencontrer ceux qui le souhaitaient à l’occasion d’apéro dédicaces. Nous n’avons pas eu l’occasion de nous y rendre, mais quelque chose nous dit que l’ambiance y était conviviale !

On revient sous le chapiteau de la Massey Ferguscène, jeter une oreille curieuse à la synthwave de l’artiste Gost venu du Michigan. Déjà bien ébranlé.e.s par notre début de journée, nous nous imaginons apprécier la prestation de loin sans vraiment nous impliquer émotionnellement. C’est sans compter sur la sensation de cohésion qui s’empare de nous, nous attirant vers un public qui semble particulièrement uni devant la scène. L’ambiance sonore froide et glauque contraste avec un public chaleureux dont certains s’amuse et élever les autres dans les airs. Ça slame tout gentiment dans la douceur et la bienveillance, un grand nombre d’enfants s’y amusent sous le regard complice de leurs parents. Nous cédons à cet esprit de légèreté et nous laissons porter pour notre premier slam du festival (et deuxième de toute la vie) sous les encouragements des gens qui nous portent tour à tour « vas y envole toi », « sois libre, plus rien ne te retient », « vis, la vie est trop courte ». Décidément, les expériences humaines s’enchaînent en cette dernière journée de festival.

Peu de temps avant le début de leur prestation, nous réalisons que Fear Factory est un des rares groupes d’indus de cette programmation 2025. Il est vrai que nous l’avions écouté succinctement pendant notre adolescence mais, soyons honnêtes, ce groupe originaire des États-Unis avait bien disparu de nos mémoires. Le chanteur nous paraît bien jeune pour faire partie d’un groupe né au tout début des 90’s mais quel charisme, quel enthousiasme, quelle performance ! L’artiste crée d’emblée un magnifique lien avec le public et son énergie solaire nous incite à gagner les premiers rangs de la Dave Mustage et à ne plus en bouger. Nous reconnaissons un des musiciens : Dino Cazares à la guitare. Et pour cause, il est le seul membre fondateur de Fear Factory encore actif au sein du groupe aujourd’hui.

La complicité entre les musiciens saute aux yeux, le set est efficace, la musique garde notre attention et nous garde en tension sans jamais faiblir une seconde et nous laisse dans un état de béatitude quand elle s’arrête. Décidément, cette dernière journée de festival semble être placée sous le thème des coups de cœur humains. Nous apprendrons par la suite que le nouveau chanteur Milo Silvestro, un fan de longue date de Fear Factory, a rejoint le projet en 2022 après une audition ayant compté 300 personnes. On comprend donc aisément l’enthousiasme dont il faut preuve et son air heureux, digne de celui d’Aldebert alors qu’il invitait Max Cavalera à le rejoindre sur scène quelques jours plus tôt lors de la première journée du Motocultor Festival.

Fear Factory au Motocultor Festival 2025

Nous gardons la même place devant la même scène dans l’espoir d’être bien placé.e.s pour le concert de Landmvrks que nous attendions avec une grande impatience tant leur dernier disque The Darkest Place I’ve Ever Been tourne en boucle à la maison. Cet album nous invite à l’introspection autant qu’à l’explosion, nous aide à comprendre nos monstres autant qu’à déjouer les pièges que l’on se tend à soi-même. Le public s’amasse en nombre, et nous sommes déjà un peu submergé.e.s par la foule avant même la première note. Dès le début du set, nous nous sentons oppressé.e.s, il nous est difficile de profiter, une drôle de sensation nous envahit : le groupe semble lui-même dépassé par l’énergie de l’assemblée.

En tout cas, depuis notre place – finalement plus loin de la scène qu’espéré – nous ressentons fortement l’engouement du public, mais les émotions des musiciens ont du mal à se frayer un chemin jusqu’à nous. Notre choix de rester relativement proche de la scène ne fût peut être pas le plus judicieux. Nous aurions probablement gagné à apprécier le spectacle de là-haut, au fond, puisque le terrain est en pente, à nous éloigner de la foule pour nous offrir une petite bulle semblable à celle qui nous enveloppe lorsque nous écoutons l’album. Ce n’est pas souvent qu’on dit ça, mais revoir Landmvrks en salle en gradin pourrait être plus adapté à nos attentes.

Landmvrks au Motocultor Festival 2025

La tête d’affiche du dimanche, Machine Head nous avait été décrite comme immanquable. Nous nous attendons donc à clôturer cette journée, humainement très riche, en apothéose. Cette fois nous nous plaçons loin de la scène, à l’écart de la foule pour éviter les sensations d’oppression, mais la magie n’opère pas en raison de l’attitude de Robb Flynn qui nous éloigne des précieuses connexions si particulières à cette quatrième journée de festival et nous laisse un petit goût désagréable en guise de note finale.

Machine Head au Motocultor Festival 2025

Cette quatrième journée s’impose comme étant la plus dense en termes de découvertes, de variétés d’émotions et de diversité des sensations. Nos corps sont épuisés, mais nos esprits se sentent libres comme jamais et nous n’avons qu’une envie : revenir l’année prochaine. Merci Marguerite, d’avoir partagé avec moi cette première immersion au Festival Motocultor.