Alors qu’il a bouleversé le cinéma français et marqué toute une génération, La Haine revient trente ans plus tard dans un format inattendu : celui de la comédie musicale. Une adaptation dont la pertinence n’a jamais été aussi forte, tant les thèmes du film restent tristement actuels : violences policières, marginalisation des quartiers populaires, fracture sociale, misère et colère. Le renommage en La Haine – Jusqu’ici rien n’a changé n’a donc rien d’anodin.

Et pourtant, si le fond reste le même, la forme, elle, s’est métamorphosée.

Une claque visuelle et musicale

La scénographie, d’abord. Mathieu Kassovitz et Serge Denoncourt misent sur un dispositif immersif mêlant projections en réalité augmentée et plateau tournant. Le décor urbain se recompose sans cesse, suivant les déplacements des personnages. Par moments, le réalisme numérique prend un peu trop le dessus, mais la physicalité du théâtre ressurgit grâce aux performances des comédiens, danseurs et chanteurs.

La Haine Jusqu'ici rien n'a changé comédie musicale 2025

Dès le premier tableau, le choc visuel est là. Alors que Saïd appelle Vinz depuis la rue, le quartier s’anime : fenêtres qui s’ouvrent, silhouettes numériques, fragments de vie. Parmi elles, l’apparition virtuelle d’Angélique Kidjo, dont la voix enveloppe la Seine Musicale. Les habitants lancent une chorégraphie où se mêlent influences orientales, gitanes et afro, tandis que le refrain « Vivre ensemble / Ferme ta bouche » rappelle la contradiction fondatrice du récit : l’aspiration à la cohésion face au rejet des institutions.

La bande originale, elle, opte pour le décloisonnement. Médine, Benjamin Epps et Youssoupha apportent la touche rap attendue, mais The Blaze, Clara Luciani ou Sofiane Pamart élargissent nettement le spectre. Résultat : une mosaïque sonore qui universalise le spectacle au-delà d’un simple hommage au hip-hop des années 90.

Fidélité ou nouveauté : un choix cornélien

La comédie musicale déroule ensuite ses 14 tableaux en respectant la temporalité et une grande partie des dialogues du film. Une fidélité qui fait à la fois sa force et sa limite. Certaines scènes fonctionnent à merveille, comme le fameux « C’est à moi que tu parles ? », modernisé avec un smartphone, qui arrache un rire franc et une salve d’applaudissements au public. Mais cette loyauté stricte devient parfois un frein : La Haine version 2025 peine à se détacher de celle de 1995, malgré les références contemporaines tantôt comiques, tantôt tragiques (Naruto, IA, Les Marseillais, Dembélé, Nahel, ou la peur d’un pays basculant à l’extrême droite).

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La principale nouveauté scénaristique est l’ajout de la petite amie de Vinz. Une surprise, mais une bonne : sa chanson, au phrasé qui évoque immédiatement Diam’s, apporte un contrechamp féminin à un récit très masculin. Sa grande scène de danse, où elle s’élève littéralement, offre l’un des numéros les plus marquants du spectacle. Autre ajout intéressant : une séquence en garde à vue donnant un bref accès au point de vue d’un policier. Le numéro n’excuse rien, mais nuance, et signe l’un des rares moments où le spectacle propose une véritable relecture contemporaine du film.

Les passages chantés et dansés rythment la soirée, avec une pertinence et une intensité variables, mais toujours portés par une sincérité palpable. Certains tableaux manquent d’ampleur, d’autres débordent d’énergie, comme le moment où chaque danseur s’adonne à une performance solo sur un medley qui offre une belle rétrospective du rap de ces dernières décennies, de Joe Budden à Aya Nakamura.

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Pour autant, la comédie musicale n’atteint jamais la violence viscérale du film. Elle raconte la rage, mais ne la fait pas ressentir. On n’est ni secoué ni bouleversé ; on a plutôt l’impression d’une relecture plus accessible, plus lumineuse, moins brutale. Un choix assumé, qui ouvre l’œuvre à un public plus large, au risque d’émousser son impact émotionnel.

Mais là où le film restait inéluctablement sombre, le spectacle laisse entrevoir un doux espoir, une lumière. Cette lueur apparaît dans le morceau final, « L’4MOUR », interprété par Médine. Il rappelle qu’« on n’est pas l’pays des Lumières avec un taser électrique » et affirme qu’« on s’aimera jusqu’à c’que la prochaine polémique nous sépare ». Trente ans après, raconter La Haine n’est plus seulement raconter la chute : c’est affirmer qu’au milieu du chaos, l’amour peut être un acte politique, une forme de résistance.

Verdict

La Haine – Jusqu’ici rien n’a changé remporte son pari : actualiser le propos du film et élargir son impact grâce à une mise en scène hybride, des choix musicaux audacieux et quelques trouvailles scénaristiques pertinentes. Si la première partie traîne un peu les pieds, trop fidèle à son modèle, la seconde trouve enfin sa voix et son souffle. Et le final assène un message clair, puissant, presque radical : la seule façon de briser le cycle, ce n’est pas la violence, mais la solidarité, l’amour et la détermination, individuelle ou collective. Un geste artistique courageux qui transforme un monument du cinéma en appel vibrant d’espoir.