Jeudi 30 septembre, Guillaume Poncelet présentait aux deux cents personnes que peuvent contenir la salle du centquatre son deuxième album, en avant-première, sa sortie étant prévue en mars 2022.
Le concert affiche complet depuis plusieurs semaines, le dernier de cet artiste joué dans ce lieu remontant au 13 février 2018, suite à la sortie de son premier album Quatre Vingt Huit, on imagine facilement l’impatience et l’enthousiasme de ces deux cents élus dont j’ai la chance de faire partie.
Guillaume Poncelet, jamais entendu parler ? Et pourtant : compositeur, arrangeur, pianiste et trompettiste, il évolue dans tous les genres musicaux, collabore avec les plus grands, un artiste aussi talentueux que modeste. La première fois que je l’ai vu sur scène, il accompagnait au piano et à la trompette Gaël Faye, pour qui il compose et arrange la majeure partie de ses chansons, ce fut un véritable coup de foudre artistique pour ces deux artistes si complémentaires et singuliers.
Ce soir, je suis là pour la musique intimiste et onirique de Guillaume Poncelet, une sortie que j’ai voulu solitaire parce que je sais combien cette musique parle à mon âme et quel plaisir égoïste je vais ressentir à une écoute pieuse et intacte. Lorsque je rentre dans la salle, en m’asseyant je m’aperçois que la crainte ressentie lors du visionnage d’une story insta était bien fondée : le piano droit fait totalement face au public, Guillaume Poncelet va donc jouer en nous tournant le dos !
J’essaie de me rappeler si j’ai déjà vu la même configuration un jour dans un concert…Non, c’est la première fois, d’habitude le ou les pianos sont posés quasi perpendiculairement à la scène, et je choisis toujours le « bon » côté pour voir s’aventurer les mains du pianiste sur le clavier en même temps qu’essayer de lire les émotions sur son visage. J’avoue être un peu déçue à cet instant mais également amusée : je trouve que cette disposition sied tellement bien à cet artiste qui cultive la discrétion et l’humilité en toutes circonstances. Et puis je me dis aussi qu’il n’y aura pas de privilégiés, de salle coupée en deux avec d’un côté ceux qui ont la chance de pouvoir tout observer et de l’autre ceux qui auront les yeux rivés sur l’arrière d’un piano droit.
Un poète face à son piano
Mais finie l’heure des réflexions stériles, l’artiste traverse les tentures fines et soyeuses telles du shantung ou de l’organza qui décorent si bien l’arrière scène, et s’assoit sous les applaudissements du public. Le piano ouvert nous laissera percevoir le mécanisme et les mouvements des marteaux entraînés par la dextérité du pianiste.

Guillaume Poncelet pose les mains sur le clavier et le public retient sa respiration à l’unisson. Le son qui envahit alors la salle s’avère d’une pureté et délicatesse si extrêmes que j’ai l’impression de découvrir un nouvel instrument, certes proche du piano joué en sourdine, mais je discerne quelque chose d’indéfinissable, d’inouï, pareil à un enveloppement cotonneux immaculé qui m’emporte et me bouleverse. Le morceau est mélancolique et même légèrement tourmentée à certains passages, mais ce que je ressens est un bonheur immense d’être là pour apprécier la première fois de ma vie la magie de ce son unique. Les applaudissements sont appuyés et la salle apparaît autant transportée que moi. Guillaume Poncelet enchaîne directement sur le second morceau que je reconnais alors, à l’instar des adeptes qui le suivent sur Instagram, comme la composition qu’il avait déposée sur son compte quelques mois auparavant en nous demandant de lui donner des idées de titres. Ici en live, elle prend une tout autre envergure, l’émotion est trop intense, je me laisse submerger…
A la fin de ce morceau les applaudissements sont longs, Guillaume se retourne, prend son micro et parle à son public, toujours avec finesse et humour : il nous remercie d’être là et d’y croire avec lui (là ce n’est plus le son du piano qui me fait pleurer…), il nous révèle ces deux titres : le premier « Nick Cave » (rires… and the bad seeds c’est pour bientôt ?) et le second « morceau insta piano 26 janvier » (rires… et déception pour celles et ceux qui avaient trouvé des titres… Follow the Angel, pourquoi ça ne lui a pas plu ? Moi je le perçois cet ange qui me tend la main et m’invite à le suivre :)) .
Il nous raconte alors que pendant le confinement il a regardé un documentaire Netflix sur les champignons et nous explique que le mycélium est un réseau que les champignons créent entre eux, ce qui a inspiré le prochain morceau éponyme. (A l’écoute de ce morceau je trouve pour la première fois un intérêt à Netflix). Après ces trois morceaux en solo, Guillaume Poncelet nous présente son nouveau projet, parti d’une envie de créer de nouvelles sonorités, rendu possible par les machines de Louxor qui le rejoint sur scène.
Quatre mains, un piano
Louxor et Guillaume Poncelet se connaissent depuis quatre ans puisqu’ils collaborent avec Gaël Faye et partagent avec lui la scène en accompagnant le poète rappeur. Le tube du premier album de Guillaume Poncelet est alors envoyé, on sent dans l’assistance un engouement et une satisfaction non dissimulés, ce « Morning Roots » semblait être attendu !
La petite « séquence pédagogique » prend le relais : notre artiste nous explique les différentes interventions de Louxor : jouer des basses sur un clavier, activer des touches sur un écran tactile ou en tournant des boutons pour déclencher des effets en harmonie avec ce que joue le pianiste, ou encore créer des loops en direct pour rendre possible un quatre mains pianistiques ! Munie de ces précieuses informations, l’audience est tout ouïe et apprécie l’Albatros, musique lente et mystérieuse (je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec le poème de Charles Baudelaire, mais cela est juste mon interprétation).
Ensuite vient le temps de la valse nocturne (le troisième ?), où notre virtuose s’excuserait presque de s’être essayé à cet exercice après la Valse de Maurice Ravel qu’il considère comme un chef d’œuvre absolu. Il nous offre une valse tout en retenue et émotions, pas de celle où l’on danse mais de celle qui nous invite à la nostalgie et la tendresse, en accord avec un jeu de lumières tamisées. C’est d’une beauté fascinante ! Puis l’auditoire se laisse emporter par une musique d’un apaisement et d’une sérénité célestes…
A cette envolée paradisiaque succède l’unique morceau piano / trompette de la soirée, rythmé à souhait, qui provoque l’ovation du public. « The girl beneath the lion » et « Juno » nous confirment la complicité saisissante des deux comparses, un simple regard, un signe de tête, ou une respiration suffisent à ces deux-là pour se comprendre. Le moment est venu d’interpréter son nouveau titre sorti le 2 juillet dernier, « Peyo » inspiré par le cheval éponyme qui possède le don de rentrer en contact avec des personnes malades et de les apaiser, voire de les faire progresser. Quel enchantement !
Pour finir (déjà ? j’ai l’impression que je suis là depuis moins d’une heure…), un de mes morceaux coup de cœur de la soirée « Souls » me fait ressentir l’espoir s’enraciner dans un paysage de désolation pour prendre de plus en plus d’espace. Voilà ce que j’appelle la magie de la musique instrumentale où chacun est libre de s’imaginer ce qu’il veut. Cela s’avère beaucoup plus ardue à réaliser dans une chanson où nous nous retrouvons en quelque sorte enfermés dans les paroles (et j’ai des tendances à la claustrophobie) !
La salle entière se lève et applaudit ce compositeur à la sensibilité artistique hors norme, qui vient de nous offrir avec son complice un concert exceptionnel, où beauté et perfection sont venus effleurer nos tympans. Devant un tel succès Guillaume Poncelet et Louxor ne s’éclipsent que quelques instants avant un retour sur scène pour jouer Esche, sublime morceau issu de la bande originale du (très beau) film « Razzia » de Nabil Ayouch (visible sur Netflix…ou pas ?).
Inoubliable !!!
Le concert s’achève, il est 23h20 : le défi de faire vibrer une salle pendant quasi deux heures, avec de la musique sans paroles, sans batterie, sur des titres pouvant durer plus de 8 minutes, est relevé haut la main (haut les quatre mains !). A cet instant je suis sous le choc, j’ai l’impression d’avoir vécu le plus beau concert de toute ma vie, et je pèse mes mots. J’essaie de rapprocher ce concert de celui qui pourrait lui ressembler le plus : ah oui ! Celui d’Ólafur Arnalds que j’ai eu la chance d’apprécier en mars 2019 à Six-Fours-Les-Plages.
Je préfère largement ce soir : ce concert est tellement plus intime, plus sincère, plus touchant, et d’une musicalité inégalée ! Cette alliance entre musique acoustique et électronique donne de la profondeur et du relief au piano, exalte les partitions, exhausse l’onirisme des auditeurs, mais elle opère toujours avec parcimonie et élégance, parce que la beauté dans la sobriété, ce qui me semble si difficile à obtenir, est la marque de fabrique de Guillaume Poncelet.
Ce concert n’est que le début d’une série (avec plusieurs saisons j’espère), qui ne sera pas diffusée sur Netflix, alors venez goûter aux instants suspendus qui font vibrer les âmes, à la poésie musicale qui nous apaise et nous élève, osez vivre cette expérience unique : écouter le piano de Monsieur Guillaume Poncelet « chuchoter » comme il l’écrit lui-même si justement. Il sera notamment au café de la danse à Paris les 12 et 13 mai prochain.
Alors que la salle se vide, je demande « qu’en penses-tu ? » à Gaël Faye, venu soutenir ses deux amis-musiciens, il me répond : « Je pense, ce que je me dis tous les jours, que j’ai une chance incroyable de pouvoir travailler avec ces deux personnes ! » Une phrase de Gaël Faye prononcé très récemment lors d’un entretien accordé pour un magazine me revient alors: « Il y a des gens (…) pour qui les mots sont des bouées. », ce soir j’ai envie d’ajouter : « Quand les bouées ne suffisent plus, la musique vient à la rescousse tel un navire de sauvetage ».
✍🏼 : Frédérique