Aux Bars en Trans, Okali a pris le temps de s’arrêter, de parler, d’écouter. Avant ou après la scène, le duo est revenu avec nous sur son histoire, son nom venu du Cameroun, sa manière instinctive de faire de la musique et cette attention à l’autre qui traverse tout leur projet.
Le nom Okali vient du Cameroun et signifie « faire attention à l’autre », et pour Gaëlle, ce mot n’est pas un concept mais une mémoire. « C’était mon nom de famille avant l’adoption. Je l’ai porté pendant douze ans au Cameroun, puis je l’ai perdu en arrivant en France. » Longtemps enfoui, ce nom a refait surface par la musique. « Il avait toujours été en moi. Le projet m’a permis de le faire revivre, avec toute la mémoire de mes racines et celle de mon présent. » Ce métissage n’est pas un entre-deux inconfortable mais une évidence intime : « Les deux me constituent. Je ne peux pas renier l’un pour faire disparaître l’autre. »
L’art de l’écoute
À l’origine, Okali était une identité intime, presque silencieuse. Puis le duo lui a donné un corps. Florent, présent dans la vie de Gaëlle depuis plus de vingt ans, a embrassé cette histoire sans réserve. « Il a pris le nom avec moi. Okali a repris vie par le duo. » Leur relation dépasse largement le cadre d’un projet musical : « J’ai quelqu’un à mes côtés qui m’aime de façon impalpable, sans qu’on ait besoin de mettre des mots. » À deux, ils avancent comme un seul mouvement, avec cette certitude tranquille que l’autre est là, quoi qu’il arrive. « On est deux cerveaux. C’est un avantage. C’est ma deuxième jambe », déclare Gaelle en fixant son regard.
Cette écoute mutuelle est le socle de leur manière de créer. Leur musique avance sans frontière, à l’image de cette double appartenance assumée. Influences africaines, afro trip hop, rock et dub s’y croisent naturellement, sans hiérarchie ni calcul. « On ne réfléchit pas trop. On fonctionne beaucoup au sensitif. » La composition se fait souvent à partir de presque rien : « Deux notes, une vibration, parfois une seule corde, et autour de ça on brode. » Ni partitions, ni démonstration technique : « On n’est pas des techniciens de la musique », intervient Florent.
Autour du duo gravite un véritable laboratoire. « On travaille avec plein d’autres artistes. » Musique, image, vêtements, clips : Okali se pense comme un archipel, un espace de création ouvert où chacun vient nourrir le projet sans jamais l’enfermer. Cette porosité nourrit une musique en mouvement, vivante, jamais figée. Ce refus des cadres est central dans leur démarche. « Créer sans codes, c’est une liberté. » Une position revendiquée face aux attentes souvent projetées sur eux. « Ce n’est pas parce que j’ai une souche africaine que je dois faire une musique attendue », lâche Gaelle. Le métissage, souvent plaqué de l’extérieur, est ici vécu de l’intérieur, avec élégance. « Je n’ai jamais épousé une culture pour oublier l’autre. » De là découle une musique difficile à nommer. « Quand on nous demande quel type de musique on fait, on ne sait pas répondre. »
Liberté de chanter
Cette liberté s’exprime pleinement sur scène. Aux Bars en Trans, à la Parcheminerie, Okali a offert une performance suspendue, presque rituelle. Gaëlle, habitée, chante en eton et en anglais, lutte parfois contre l’émotion, notamment sur Deep. « On est très attachés à la notion de spectacle, pas au sens démonstratif, mais comme un espace de rêve, presque comme un film. » Même dépouillée de sa mise en scène habituelle, la musique reste chargée, dense, à nu.
Le rapport au rythme y est essentiel. « J’ai toujours aimé les rythmiques où on se perd. » Une manière de s’opposer à une musique trop cadrée, trop droite. « La musique européenne peut être très militaire », pour Florent. Chez Okali, le groove est un rebond, un déséquilibre assumé, renforcé par un travail rythmique nourri d’influences venues d’ailleurs, du Brésil notamment. Le corps est toujours impliqué, même dans les morceaux les plus dépouillés.
Cette intensité se retrouve dans « Thylacine », leur dernier single sorti le 14 octobre. Inspiré par cet animal disparu d’Australie, le morceau naît d’une fascination pour le vivant et ses blessures. « J’aime beaucoup travailler par métaphores. Je ne suis jamais explicite, lance Gaelle en souriant. L’histoire de cette espèce déracinée, déplacée, maltraitée par la main de l’homme, résonne en filigrane avec des trajectoires humaines. « Quelque chose de vivant qui doit s’adapter à un autre milieu. » Sans batterie, sans basse, centré sur les cordes et la voix, le morceau assume sa fragilité comme une force.
Ascension
Malgré une trajectoire encore récente (leur premier concert remonte à 2023) tout s’est accéléré. Festivals, dispositifs de repérage, accompagnements : Okali avance sans plan de carrière, sans ambition projetée. « On n’a jamais su dire quel était notre objectif. » Leur seul moteur reste la justesse. « Le seul critère, c’est que ce qu’on sort nous plaise. » Une naïveté revendiquée, presque salvatrice. « On s’est lancé sans savoir comment brancher les câbles. Tout ce que vous entendez sur scène, on l’a fait au salon, à la cuisine. »
Aujourd’hui, le projet est entièrement autoproduit et fait vivre plusieurs personnes à plein temps. Une indépendance choisie, presque nécessaire, avoue Florent. « Sans ça, Gaëlle n’aurait pas pu être écoutée. » Mais cette autonomie n’exclut pas l’avenir : « Il y a un moment où avancer, c’est aussi s’entourer des bons partenaires. » Toujours sans précipitation.
Okali n’est pas dans la conquête, mais dans l’attention. Attention à l’autre, aux émotions, au vivant. « Je parle de mon histoire, très personnelle, mais qu’on peut transposer à beaucoup de monde. » Une posture profondément humaine, que l’auteur de ces lignes, lui aussi originaire du Cameroun, reçoit comme une évidence silencieuse. Avec seulement quatre singles disponibles (Traveler, Gathering, Deep et Thylacine), le groupe trace déjà un sillon singulier. Leur premier EP paraîtra le 20 février, précédé d’une date à La Boule Noire le 4 février. Mais l’essentiel reste ailleurs. « Créer, c’est le nerf de la guerre. » Le reste viendra, ou non. Sans forcer, attentif à l’autre, au vivant, à ce qui respire encore.
