Ceylon a sorti son premier album « Où ça en est » le 24 janvier dernier, un opus six titres pour un duo qui se transforme en quintet une fois sur scène. Louise et Tristan à l’origine du groupe, ont bien voulu répondre à nos questions depuis leur lieu de confinement.

Le rendez-vous était annoncé depuis bien longtemps maintenant, Ceylon devait se produire au Point Ephémère le vendredi 13 mars dernier en compagnie de Slift et Guedal Tejaz, mais au dernier moment, l’événement a été annulé suite aux mesures prises par le gouvernement pour faire face à la pandémie du Covid-19 cet après-midi-là. Une grande tristesse pour le groupe qui verra plusieurs de ces dates annulées, dans un contexte assez tendu pour l’industrie musicale.

Mais qu’à cela ne tienne et en attendant que cette crise sanitaire soit derrière nous, nous avons profité de cette période de confinement, pour poser quelques questions au groupe, comme nous l’avons fait avec d’autres artistes avant eux. A travers Louise et Tristan, nous savons enfin « Où ça en est » de leur premier opus pas “Ceylon” que ça, puisqu’il ne fait que 47 minutes, la durée idéale d’un bon album selon Nerlov.

Ceylon (c): Hellena Burchard
Ceylon (c): Hellena Burchard

Hello Louise et Tristan, on imagine que vous devez ravaler votre rage face au coronavirus qui vous a empêché d’être sur scène vendredi dernier au Point Éphémère où on avait prévu de se rendre ?

Louise : Grande déception, à quelques heures de monter sur scène, d’entendre le verdict tomber. Un concert annulé c’est triste, cela arrive mais 10 dates avortées c’est plus compliqué à gérer intérieurement. Je n’ai pas ressenti de rage, plutôt une grande tristesse. Instinctivement et en prévision d’un futur confinement, nous est venu le désir de jouer une dernière fois tous ensemble et de nous soutenir collectivement. Nous avons joué toute la nuit avec nos amis de Süeür et Princesse Napalm dans une ambiance très douce et rassurante. Au moment de nous séparer, il était difficile de ne pas ressentir une tristesse commune. Quand serait cette prochaine fois ensemble ?

Comment gérez-vous votre confinement ?

Louise : Nous sommes en banlieue parisienne près d’une forêt. Nous avons eu le temps de récupérer le matériel nécessaire à notre travail pendant l’isolement. Les autres membres de CEYLON nous manquent, ils sont dans le sud. C’est douloureux d’être ainsi éloignés durant une période indéterminée.  L’emploi du temps ne change pas vraiment, à part que nous disposons de plus de temps pour « décortiquer » nos pensées. C’est idiot mais je me suis rendue compte que j’avais enfin le temps de penser. Penser à plus tard et à hier, penser à mes morts, penser à la musique que j’entends et aux mots qui me viennent ; penser au fait que j’admire profondément les gens qui ont choisi de dédier leurs vies à en sauver d’autres. Ce courage que peuvent avoir ces personnes. Réfléchir par conséquent à ce que je suis capable de faire.

Tristan : Durant le confinement je fais du sport pour ne pas laisser ma santé vaciller. C’est bon pour le mental d’autant plus que nous nous étions préparés à un programme nomade. J’en profite pour aborder la musique de manière instinctive. En effet, les deadline étant suspendues cela me permets de revoir l’ordre de mes priorités. J’ai de nombreuses pensées autour de ce qui concerne la pandémie. Cela va des questions personnelles à un questionnement plus « universel » avec toutes les équations que cela englobe. S’il suffit de communiquer pour obtenir certaines réponses concrètes il persiste néanmoins de grandes zones d’ombre face auxquelles je me sens démuni. Elles concernent mes interrogations au sujet des difficultés que certaines populations et individus rencontrent, aux disparités sociales, à comment on pourrait empêcher la reproduction de telles inégalités. Pour vous épargner les milles et une pages que suscite en moi le sujet, je me permets de partager la citation suivante : « Ce que les Hommes veulent en fait, ce n’est pas la connaissance, c’est la certitude. » Bertrand Russell. (Elle est paradoxalement destinée à ceux qui ne veulent pas l’entendre.)

Notre nom ne renvoie pas à la « négativité » de la durée.

Tristan

Le 24 janvier dernier sortait votre premier album « où ça en est », presque un an après votre EP éponyme « Ceylon », à l’image de votre nom de scène, est-ce que le travail a été long et semé d’embûches ?

Louise : Grande victoire et soulagement. Long travail et prise de conscience. La suite est notre présent et c’est très agréable de poursuivre.  

Tristan : Notre nom ne renvoie pas à la « négativité » de la durée. De manière un peu familière je dirais : « pourvu que ça dure ».

Les embuches que nous avons rencontrées pendant la réalisation de l’album sont plutôt d’ordre thermique. Après avoir enregistré les prises « live » dans le confort des studios Midilive, nous sommes parti(e)s faire les over dub et le mixage dans une ancienne usine à farine : la Minoterie. Nous n’avions qu’une seule prise mère pour faire tourner tout le studio et nous n’allumions pas le chauffage pour ne pas risquer de faire sauter le courant. Petit souci, comparé au plaisir de créer ensemble. J’en profite pour saluer Wilfried Icart avec qui nous avons réalisé notre album « Où ça en est ».

« Où le mal 1 » est plus instrumental, tandis que « Où le mal 2 » laisse beaucoup plus de place au texte. Le 1 n’est-il pas la suite du 2 ? Pourquoi n’avoir pas fait du 2 en 1 ?

Tristan : C’est officieusement du 2 en 1, seulement pour répondre aux multiples contingences que l’industrie de la musique peut demander aujourd’hui, nous avons dû scinder nos morceaux et les adapter aux moyens de diffusions ainsi qu’à leurs formats.

Nous avons pour habitude de faire évoluer nos morceaux au rythme du temps afin de leur conserver une fraicheur. J’approuve complètement votre réflexion au sujet d’une réorganisation. En revanche, à mon sens, l’instrumentale peut ouvrir la parole comme le ferait une ouverture en musique classique. Ce morceau est en pour partie empreint de cette culture. C’est une seule et unique pièce, segmentée en plusieurs mouvements.

« Hamlet Hollywood » se trouvait déjà sur l’EP si mes souvenirs sont exacts, et là on se retrouve avec « Hamlet Roi ». C’est un personnage qui vous obsède ou vous avez aussi voulu lui donner une suite comme pour « où est le mal » ?

Louise : J’aime toujours revenir à ce héros shakespearien, il incarne un état mental qui pourrait s’emparer de n’importe lequel d’entre nous. Dans la musique de CEYLON la notion de genre n’existe pas. Alors, Hamlet n’est, ni un homme, ni une femme mais plutôt un « adjectif » qui renvoie à une folie imaginaire. Le bourdon de la basse est la ligne directrice des deux tracks. Elle s’installe comme une transe progressive qui grossit pour extérioriser une douleur profonde. J’aime reprendre et transformer ce morceau, nous l’avons beaucoup fait évolué avec le temps, il était important de lui donner cette place dans l’album. Impossible de vous s’il est ici dans sa forme achevée et définitive. Peut-être qu’il réapparaîtra « métamorphosé » sur un futur support ?

Tristan : Musicalement nous sommes peut-être victimes de notre désir de réinterroger nos créations. Je sais qu’il faut arrêter une forme et donc la figer pour qu’elle existe sur l’album il en découle ensuite des déclinaisons possibles auxquelles nous avons répondu avec Hamlet Roi.

J’aimerais bien savoir comment s’est passé la composition du titre « le 5 » ?

Louise : La composition du 5 s’étend sur une large temporalité. C’est un morceau que j’ai trouvé à la guitare avant la création du groupe. À cette époque je n’osais pas encore chanter. Le morceau a eu le temps de voyager et de grandir avant de rencontrer CEYLON. Le texte est conjoint à la création du groupe car c’est à ce moment là que j’ai commencé le chant. Toutes les parties qu’on y entend ont été testées dans des ordres différents. Certaines ont été laissées de côté avant de réapparaitre comme, par exemple, la partie « I call the rain / nous amener la joie ».

La partie instrumentale est née d’une improvisation qui s’est organisée autour d’un motif récurrent tout en conservant cette liberté. Les trois influences majeures du morceau sont le blues du désert, le jazz et la deep wave.

La danse est l’instrument qui accompagne ma voix.

Louise

Le live enregistré au Beat and Beer festival, avec cette danse de la transe est tout simplement magnifique. Tu es la seule à l’exécuter parfaitement sur scène, tu as pris tes cours ?

Louise : J’aime danser. J’ai pris des cours de danse au conservatoire mais contrairement à la pratique théâtrale ou à la musique, je n’ai jamais « discipliné » ma danse, je veux dire par là, qu’elle m’accompagne librement, que je grandis avec elle et par elle. J’apprends beaucoup seule. Je vais aussi voire énormément de concerts de styles très éclectiques et je m’en nourris. Je relie me à ce que j’entends. C’est le moyen le plus doux et le plus juste que j’aie trouvé pour me connecter à moi même et rentrer dans la transe. La danse est l’instrument qui accompagne ma voix.

Bien qu’étant un personnage abstrait, qui se cache derrière les lamentations de « Mon ami » ? Du vécu ou juste des brides d’histoires glanées ça et là ?

Louise : Mon Ami, personnage abstrait confronté à ses lamentations solitaires. Ô ! Ce serait un mensonge de dire que cette histoire n’est que pur onirisme. Mon ami est une sorte de légende inventée et racontée de façon à ce que chacun puisse s’y reconnaître. Mon ami conserve aussi sa part de secret.

On a du mal à trouver des inspirations à votre rock psychédélique, pour ne pas commettre d’impair, quelles sont les groupes ou artistes qui vous inspirent ?

Louise : Il y en a tellement ! Cet éclectisme me caractérise je me nourris grâce à différentes familles musicales, littéraires, cinématographiques ou venant des arts plastiques. Les premières références qui me viennent sont : Connan Mockassin pour sa légèreté, Dakhabrakha pour rêver, Pina Baush pour voler, Tshegue pour sa sensualité, King gizzard pour sa richesse et la Needcompany pour sa créativité qui me fait toujours un bien fou. Je vous conseille aussi de re-regarder Le Roi et L’oiseau : bijou solitaire merveilleusement raconté par la poésie de Jacques Prévert.

Tristan : Le coté positif d’internet, est que nous avons à disposition toute la musique enregistrée. Nos influences pourraient paraitre divergentes mais j’ai l’impression que la source est là même : Moondog, Khruangbin, Debussy, Fela Kuti, Nina Simone, Radiohead, Milles Davis… je livre ici le début d’une liste qui pourrait évidemment être beaucoup plus longue. Je crois qu’il y a quelque chose à apprendre de tout.

Vous êtes les deux têtes pensantes du groupe, mais vous formez une joyeuse bande de 5 sur scène. C’est évident à gérer pour les tournées ? Tous dans la camping car ?

Tristan : Je dirais plutôt que nous sommes des portes paroles. Ce sont nos forces et aussi nos faiblesses qui dessinent les contours de CEYLON. Il faut du son et du silence pour obtenir de la musique. Notre équipe de 5 existe bien au delà des tournées : il y a des résidences de création, des répétitions, des enregistrements et l’apprentissage de la vie en communauté. En toute sincérité, les tournées sont les moments les plus évidents à gérer. C’est l’essence même de ce qui justifie tout notre travail.

On a l’impression qu’avec vous, plus Ceylon, plus Ceylon ? C’est quoi le secret de cette longévité pour ne pas dire de cette longueur de vos morceaux ?

Louise : Nul besoin de justifier notre nom, CEYLON = CEYLON !  Pour tout vous dire la durée des morceaux n’est pas un choix, ils parlent d’eux même et nous essayons de retranscrire au mieux ce qu’ils nous racontent. Mais dans leurs constructions dramaturgiques, j’aime les imaginer comme des pièces ou des transes qui reposent sur la répétition.

Tristan : Le secret c’est qu’on ne se force pas à « faire long ». Nous restons ouverts. Grâce à quoi nous avons créé un morceau qui comme « Mon Ami » ne dure que 5mn. Le fait que nous jouions des morceaux longs est aussi liée à une conscience du live, donc de la rencontre avec le publique.

Toujours pas de « Keep Smiling » ? Il était question qu’il fasse l’objet d’un album à part, on peut donc s’attendre à ce que ce soit lui le prochain sans rien révéler de secret ?

Louise : Keep Smiling est toujours avec nous. Il va voyager quelque temps pour trouver sa forme définitive. Nous lui laissons le temps de se révéler. Le prochain album ? Impossible de le savoir au jour d’aujourd’hui.

La photographe Hellena Burchard signe la plupart de vos images tandis que le vidéaste Raphaël Holt réalise vos clips, vous aimez bien garder des visages familiers (au sens propre comme au figuré) autour de vous ?

Louise : Hellena Burchard et Raphaël Holt sont aussi CEYLON. Ils font partie de notre équipe et sont les acteurs qui concoctent son image. Depuis nos premières collaborations, c’est une évidence et nous évoluons ensemble afin de faire grandir CEYLON dans un cadre harmonieux et unique.

Comment comptez-vous célébrer la fin du confinement ? Un gros concert ?

Louise : Nous aimerions célébrer la fin du confinement par un ÉNORME concert. Notre seule crainte est que tout le monde soit paralysé à l’idée de planifier un rassemblement à une date précise. Notre souhait serait de jouer en extérieur et de donner un concert très long et tard dans la nuit. Une programmation pleine d’ami(e)s, éclectique et mixte.

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