Emily Loizeau publie un double disque live d’une captation de son spectacle Run Run Run – hommage à Lou Reed, ce samedi 20 juin à l’occasion du Disquaire Day. Entretien avec l’artiste autour de ce dernier et de son histoire.

C’est l’histoire d’une captation live au Mans du spectacle Run Run Run proposé par Emily Loizeau et qui rend hommage à l’œuvre poétique de Lou Reed en solo ou avec le Velvet Underground. Un spectacle joué pendant trois ans par la franco-britannique entourée de ses deux comparses Csaba Palotaï (guitariste) et Julia-Anne Roth (comédienne). Un projet qui sera disponible ce samedi 20 juin à l’occasion du Disquaire Day qui sera très spécial cette année et s’étalera sur quatre jour (COVID-19 oblige) avec une concentration sur les productions françaises le premier jour.

Un double disque live donc le premier single « Pale Blue Eyes », a été dévoilé le 8 mai dernier et dans lequel on retrouve plusieurs grands succès du rocker américain décédé en 2013. A l’image du tube de 1972 « Walk On The Wild Side », même si Emily nous avouera n’avoir jamais été fasciné par Lou avant de faire ce spectacle. Née d’un père français et d’une mère anglaise, les influences d’Emily sont plutôt à rechercher du côté d’un Bob Dylan ou d’une Nina Simone. Après ses études de théâtres et de musique classique, elle se lance dans le grand bain en 2001 et sortira son premier album solo L’autre Bout du monde en 2006.

Avant de la retrouver au 104 Paris les 10 et 11 septembre pour célébrer la sortie du double disque live entourée de sa bande, Emily nous a accordé une interview depuis chez elle, en insistant sur le fait qu’il s’agisse bien d’un « disque live issu d’une captation du spectacle Run Run Run au Mans ».

Salut Emily, merci de nous accorder cet entretien par mail. Pour commencer, sous quel angle aimerais-tu te présenter à notre public qui ne te connaît pas forcément ?

Emily Loizeau : Je vais vous laisser faire cela. Je suis d’un naturel pudique et assez réfractaire à la vantardise (par principe et par style) et comme je suis malgré tout aussi assez narcissique (sinon je ne ferai pas ce métier) et que j’aimerais que ce papier soit élogieux … Nous sommes coincés ; je compte sur vous !

Emily Loizeau (c) Gilles Vidal

On sort doucement d’une période de grand confinement liée à la crise sanitaire du Covid-19, avec le milieu de la musique qui prend un grand coup. La suite de l’aventure te fait-elle peur ou pour toi il nous faudra du temps pour que tout se remettent en place ?

Emily Loizeau : La suite de l’aventure va nous demander de l’audace, de l’inventivité et de la solidarité. Je ne suis pas sûre que cela soit ce qui se profile. Il va nous falloir être vigilants et résister. Résister à un modèle unique de diffusion qui privilégiera les plus gros producteurs et diffuseurs et les artistes qu’ils estimeront être suffisamment rentables. En clair, si nous voulons éviter que la diversité et la richesse culturelle ne s’étiole pour devenir inexistante, il va falloir défendre nos convictions, se gratter le ciboulot pour trouver des solutions qui rendent la survie de l’ensemble des acteurs culturels économiquement plus fragiles possible. On est tous complètement liés et interdépendants. Nous allons devoir nous serrer les coudes. Apprendre à prendre soin de chacun d’entre nous. Si on ne fait pas ça, je pense que la qualité de la musique et de l’ensemble de notre paysage culturel va prendre un sérieux coup dans l’aile.

En réalité, ce que je crains le plus, et pas que pour la musique, c’est que cette « Reprise » tant attendue soit un retour à la normale en pire. Le côté «  ben tu sais avec tout ce qui s’est passé va falloir mettre les bouchées doubles, accepter de travailler pour rien ou presque, faire de plus en plus de trucs et gratuitement s’il te plait, des trucs qui ne sont même pas forcément  ton métier, quitte à prendre le taf de quelqu’un qui aurait fait ça mieux que toi … être flexible et rentable quoi ! Et tout cela avec tout le monde qui trouve ça de plus en plus normal…

Je pense que nos droits à tous sont en danger.

De la même manière, les enjeux écologiques qui auraient dû passer en premier après cette alerte que nous venons d’avoir avec le Covid sont en train de passer en mineur, toujours au nom de la sacro-sainte « Reprise » et des enjeux économiques… Mais c’est un autre sujet… quoique non en réalité, tout est lié…C’est la même logique ! Bref. C’est pas gagné tout ça, mais cela dépend quand même un peu de nous de choisir la bonne route je crois non ?

Le 20 juin prochain à l’occasion du disquaire Day, tu sors un double album hommage à Lou Reed et aux Velvet Underground. C’était une évidence pour toi après le spectacle autour de l’artiste ?

Emily Loizeau : En fait, il s’agit d’un disque live issu d‘une captation de ce spectacle au Mans. Donc oui, c’est une suite logique…

Tu as joué ce spectacle pendant deux ans au 104 et dans toute la France avec émotion. Tu n’as pas peur qu’on ne retrouve pas la même émotion qui se dégage sur scène ?

Emily Loizeau : … Encore une fois c’est un enregistrement live issu du spectacle donc cela colle au plus près de l’émotion dégagée sur scène.

Evidemment c’est toujours mieux qu’autre chose d’avoir tous les sens réunis, de voir , de sentir, d’entendre…la 3D quoi !… il y a dans ce spectacle plusieurs éléments : nous au milieu de la salle, sans gradins, les gens se placent autour de nous, assis par terre, Julie Anne Roth qui court pendant 25 minutes pendant que les gens rentrent et que Csaba Palotaï joue à la guitare une sorte de douce transe qui monte crescendo jusqu’au titre Run Run Run qui démarre une fois que tout le monde est assis, moi qui fait des étirements au milieu de tout ça allongée à terre en attendant de démarrer le show, Julie Anne qui court toujours pendant cette chanson avant de s’arrêter et de dire à bout de souffle ce texte sublime de Lou Reed sur sa recherche de la phrase simple, du même amour voué à chacune de ses chansons, il y a les vidéos bizarres qu’on a tourné, les magnifiques lumières de Samaël Steiner, les projections au sol, les mots qui s’affichent à mesure qu’ils se scandent, se délient, l’espace sonore créé par Sébastien Bureau en quadri frontal avec les enceintes aux quatre coins de la salle, le même son dans lequel nous sommes baignés tous ensemble, il y a le regard des gens et leurs larmes quand ils lisent le texte de Perfect day et qu’ils entendent en français résonner le texte de Lou Reed qui dit « Il faut mourir pour la musique… Vous ne voudriez pas mourir pour quelque chose de joli ?… mais je ne veux pas mourir… si ? », il y a sa voix à la fin et ce qu’il dit qui à chaque fois me serre la gorge… il y a les coussins sur le béton qui fait mal aux fesses aussi, les gens qui galèrent un peu avec ça…

Donc forcément, oui le disque, ce n’est pas pareil, mais si on imagine tout ça, si on ferme les yeux, si on écoute le verbe de Lou Reed, chaque mot… je crois qu’on ressent quelque chose de cette émotion dense que, moi, je ressens à chaque fois que je joue ce spectacle.

Emily Loizeau, Julia-Anne Roth et Julia-Anne Roth (C): Gilles Vidal

Pourquoi Lou Reed te fascine autant ? Tu te vois faire la même chose avec un autre artiste ?

Emily Loizeau : Je n’avais pas de fascination pour Lou Reed avant de faire ce show. J’ai adoré, écouté et réécouté le Velvet depuis mon adolescence, j’ai aimé les chansons les plus connues de Lou Reed. On m’a commandé un hommage lecture musicale au Marathon des mots à Toulouse en 2014. On avait peu de temps pour la préparer, j’ai engagé mes deux amis pour faire cette plongée avec moi. On ne s’en est pas remis. On était bouleversés par cette expérience et on en a fait un vrai spectacle.

Aujourd’hui, je suis renversée par l’intelligence, la force poétique, l’insolence, la colère, l’utilisation sobre, poétique et radicale de tout cela. La colère au profit de l’intelligence et de l’émotion juste. La recherche de la phrase simple, de la mélodie et de la forme musicale presque basique, toujours imparable mais toujours irrévérencieuse et jamais consensuelle.

La même chose me fascine chez Bob Dylan. Pour le coup depuis que je suis petite. Il y a chez lui cette même rage, cette insolence brillante. Le subversif mêlé à une force poétique inouïe.

Nous avons eu envie aussi de refaire ce geste autour de Patti Smith. Encore quelqu’un dont l’acte poétique est placé au cœur des choses. Nous le ferons certainement un jour.

Si tu n’avais pas créé ce spectacle autour de Lou Reed, est-ce que l’idée te serait venu de lui consacrer un album ?

Emily Loizeau : Du coup j’ai déjà répondu à cela je crois …

La voix en parlé-chanté chère à Lou Reed est quelque chose que tu souhaites suivre ?

Emily Loizeau : J’aime ça. Je l’aime aussi chez Dylan. C’est aussi pour cela que j’aime des gens comme Saul Williams, Kate Tempest… le verbe qui groove qui par le son de ses syllabes, la hauteur d’une scansion, chante et crée une force mélodique. J’aime l’influence de Kurt Weill. C’est inspirant oui.

Tout le monde connaît le succès commercial qu’il a eu avec « Walk On The Wild Side » que tu reprends formidablement bien dans cet album. Combien de prises ont été nécessaires et qui sont tes complices ?

Donc comme c’est un album  live … une seule prise a suffit mais peut-être qu’il faut que je compte les répétitions, les balances, les concerts de la veille … ? 😉

Pourquoi avoir choisi de retenir l’option d’un double album ?

Emily Loizeau : C’est un album live du spectacle Run Run Run dans sa version intégrale (pardon hein, du coup je me répète), donc sur CD il tient sur un Cd simple ce qu’ il y a de plus normal (l’album sortira en CD en septembre) et sur le vinyle par contre on est tenu par le format et le minutage maximum par face et cela ne tient pas sur un seul vinyle. On tenait à offrir la version intégrale sur le vinyle également

Sur scène tout s’enchaine sans aplaudissements entre les titres, comme un fil qui se déroule jusqu’à la fin… avec le vinyle on est obligé de changer les faces du disque, cela nous a donné à réfléchir pour créer ces césures à des moments opportuns sans nuire ni au propos ni à l’émotion…

Il sera joué différemment sur scène où il faut s’attendre à retrouver la même scénographie ?

Emily Loizeau : On va le rejouer au 104 à Paris les 10 et 11 septembre pour célébrer la sortie du vinyle et du CD. Nous allons rejouer le spectacle tel que nous l’avons créé et déjà tourné pendant trois années.

Je ne suis pas sûre que nous repartions en tournée avec ce show après cela. En tous les cas rien n’est prévu pour le moment. C’est un Scrapbook sonore en fait ce disque. Une manière de se souvenir, de revivre le spectacle. Pour ceux qui ne l’avaient pas vu, c’est une manière d’en saisir quelque chose et d’avoir peut-être envie d’avoir la chance un jour de le voir en vrai. ( pour tout de même donner de l’espoir à ceux qui voudraient pouvoir le voir en tournée de nouveau, on adore le jouer, c’est notre petit chouchou. Il est très facile à reprendre, tourner et on s’est toujours dit que si de belles occasions se représentaient, on le referait ! There’s hope ! )

Qu’est-ce qui t’a amené à faire confiance au jeune label December Square qui fête son 2ème anniversaire cette année ?

Emily Loizeau : Le 104 nous a permis de nous rencontrer car Emmanuel Tellier qui fait partie de ce label et qui est comme moi artiste associé là-bas, et était intéressé de le sortir. J’avais envie d’une vie un peu à part, hors format, side project un peu confidentiel et rare pour ce disque. Il n’y allait pas avoir de tournée pour le vendre, c’est un album live, un disque qui célèbre et laisse une trace d’une tournée qui a déjà eu lieu. Il fallait lui donner une vie qui soit donc à l’image de tout ça. Cela rentrait tout à fait dans leur ligne éditoriale et dans leur ADN de concevoir un bel objet numéroté et précieux. On s’est tapé dans la main pour ce projet !

Un scoop ou une confidence pour terminer ?

Emily Loizeau : Il semblerait que rapport au climat, au réchauffement, à la possibilité de continuer de vivre sur cette planète à peu près sereinement dans les dix prochaines années, on soit sur le point de se prendre un gros gros gros mur… voir qu’on est même déjà en train de se le prendre en fait et il paraitrait que ceux qui nous gouvernent se comporteraient exactement comme s’ils n’avaient pas encore compris ce qui se passe…Est ce que quelqu’un peut leur transmettre ?

Ah oui et sinon, je suis sur le point d’enregistrer mon prochain album qui devrait sortir en 2021. A moins qu’on ne se prenne le mur avant.

Plus d’infos

Le double vinyle « Run Run Run – Hommage à Lou Reed » d’Emily Loizeau sera disponible ce samedi 20 juin, le jour du Disquaire Day. Une occasion de soutenir les disquaires indépendants. L’album CD quant à lui sera disponible à la rentrée.

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