Le 14 août nous sommes allé écouter la jeune Varvara jouer à la Roques d’Anthéron

Il y avait trois contrôles à l’entrée, le pass sanitaire contre le Covid, la fouille des sacs contre le terrorisme, et la vérification des billets contre la fraude. Tous ces contrôles ont limité l’accès au Festival et la salle était moitié pleine. Cette année, le Festival de piano s’est replié sur le Parc de Florans son vaisseau amiral. Les autres sites attendront que les contrôles soient plus faciles ou mieux admis.

Nous avons remonté l’allée de platane, nous nous sommes reposé et désaltéré sous la frondaison des grands cèdres qui ferment la perspective. Puis nous sommes entré dans l’espace de concert devant le grand bassin sur lequel a été monté l’estrade pour le piano et la grande conque qui renvoie le son vers les spectateurs.

Varvara  Nepomnyashchaya est entrée d’une démarche souple de mannequin, ses cheveux blonds retenus par une barrette. Les cigales se sont tues avec les premières notes de piano, les lucioles brillaient dans la lumière des spots, et les grillons se sont mis à chanter, accompagnant le piano. La magie si particulière du Parc de Florans agissait.

Elle a joué des œuvres de Purcell, Haendel et Bach. Je me suis fait la réflexion qu’en d’autres temps le Festival nous les auraient fait entendre au clavecin dans le cloitre du monastère de Silvacane ou dans le Temple de Lourmarin. Ici il fallait se rabattre sur le grand piano à queue romantique, un instrument indissociable du répertoire romantique et contemporain. La salle de concert en plein air du parc a été faite pour lui, et les autres instruments, le clavecin ou le piano forte auraient été à peine audibles.

Au tournant des années 1970, les maisons de disques avaient déjà enregistrés 2 ou 3 versions de la Tétralogie de Wagner, une dizaine de Carmen de Bizet ou de Traviata de Verdi, et des pelletées de Cinquièmes de Beethoven. Il fallait trouver quelque chose de nouveau pour persuader les auditeurs d’acheter de nouveaux disques.

Ce fut la mode des instruments baroques, et des interprétations à l’ancienne. Cela permis à des musiciens comme Jean-Claude Malgoire, Gustav Leonhart, Nicolaus Harnoncourt, William Christie et bien d’autres de nous faire découvrir de nouvelles musiques, de nouveaux instruments, de nouvelles façons d’interpréter. C’était l’époque où le film d’Alain Corneau « Tout les matins du monde » nous faisait découvrir la viole de gambe, Marin Marais et Monsieur de Sainte Colombe. Il y avait parfois quelque chose d’excessif dans cette recherche d’authenticité. On n’alla pas jusqu’à écorcher les chats pour utiliser les boyaux comme cordes de violons (légende urbaine), ou émasculer les jeunes hommes pour réentendre les vois de castrats. Mais le goût de l’original devenait une manie. Il fallait chanter toutes les musiques dans la langue originale. André Tubeuf avait le droit d’écrire une Histoire amoureuse de musique sans mentionner le jazz ou le rock.

La nouvelle génération n’a pas les mêmes préventions. Place à l’imagination et à la fantaisie. Le Quatuor Ébène propose des musiques de film (l’album Fictions) après les quatuors à corde de Debussy, Ravel et Fauré. Marc Boucher (bariton) et Olivier Godin (piano) mélangent Léo Ferré et Ernest Chausson sur le thème des Fleurs du mal de Baudelaire. Sur celui de la lumière (Lux) Matan Borat associe les chants grégoriens au piano, Beethoven, et une transcription du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy. Dans Labyrinth, Khatia Buniatishvili fait entendre cote à cote, Satie, Bach, Ennio Morricone et Gainsbourg. L’heure est aux mélanges, à l’inventivité et à la perte des repères.

Le travail de Varvara m’a semblé relever de cette veine. On entendait bien dans Händel ou Bach, ce qui venait du clavecin, le coté dansant, les avalanches de notes. Mais elle ne renonçait pas à ce que permet le grand instrument romantique, les dynamiques extrêmes, les rubatos, les accélérations soudaines et les ralentissements surprises. Elle redonnait l’impression de l’improvisation et le goût de l’étonnement.

Elle termina le concert par trois rappels où nous avons a nouveau pu entendre Haendel et Bach, et finir sur les variations Goldberg. C’était une belle soirée d’été où nous pouvions tout oublier.

Plus d’infos

Varvara a sorti un album consacré à Haendel, après deux autres à Mozart et à la sonate de Liszt.

Les autres album cités (Ebène, Porat, Marc Boucher,  Khatia Bunatishvili) sont trouvables sur les plates-formes vendant des CD.