À l’occasion de la soirée de clôture de la semaine acadienne, Renan Luce est venu jouer à Courseulles-sur-mer le 15 août dernier : rencontre avant le concert.

Habituée (mais jamais blasée) à voir Renan Luce sur scène régulièrement depuis une dizaine d’années, l’envie me taraudait depuis longtemps de lui proposer une interview. Pour cela, il me fallait une journée libre : ce parfait dimanche, et férié de surcroit me sembla tout approprié. Je ne vous cache pas ma joie lorsque ma proposition fût acceptée. Vingt minutes impeccables de discussion avec l’artiste même qui m’a emmenée vers l’écriture sur le sujet de la musique. Mes premiers live-reports, au format papier, bien rangés dans mes armoires, jamais publiés, c’est bien lui qui me les a inspirés.

Cet entretien précède un magnifique concert en version quartet : Renan accompagné de trois excellents musiciens : Mathieu Gayout à la batterie, Oliver Smith à la contrebasse et Christophe Cravero au piano et orgue (Eh oui, deux mains, deux instruments). C’est pourquoi nous avons choisi d’illustrer cet article avec de jolies photos de Sophie Porquet, photographe présente ce soir-là.

Nous avons parlé de concerts, d’inspirations, d’enfance, de paternité, de confinement, un peu, et quelques autres choses encore.

Bonjour Renan, comment s’est passée la reprise de la tournée ?

Je ne sais même plus quand est la reprise, ça n’a pas arrêté de s’arrêter et de reprendre. Ça se passe bien, il y a une petite envie de revanche, de se rattraper de toutes les dates annulées. J’avoue ne pas l’avoir trop mal vécu : la chance qu’on a eu dans le malheur de tout ça, c’est qu’on avait fait pas mal de dates avant que tout s’arrête. Je n’ai pas eu le sentiment que tout était gâché puisqu’on avait déjà eu le temps de tourner avant. Mais oui, c’était un peu frustrant toutes les phases d’arrêt surtout qu’on était dans une belle lancée. En tout cas, on a repris avec beaucoup de plaisir.

Depuis la reprise, tu as toujours joué devant un public masqué ?

Je crois que ça a été toujours masqué. Même en plein air, les gens étaient masqués, car c’était entre divers confinements, donc il y avait des mesures un peu dures. Je me suis habitué aussi, je crois. Je ne fais vraiment plus attention.

Renan Luce (c): Sophie Porquet

Pour cette tournée, les concerts se présentent sous deux formes principalement : avec orchestre, ou sans orchestre (cette version allégée se présente en quartet ou en quintet).

Oui, quand Xavier, qui joue avec nous quand on n’est pas avec l’orchestre, n’est pas là, comme c’est le cas ce soir, je suis sur scène avec trois musiciens (donc quartet), du coup Christophe Cravero joue aussi un peu d’orgue en plus de son piano habituel.

Quels sont les avantages, inconvénients de ces deux principales versions, les contraintes ? Est-ce que tu te sens plus libre dans une version ou l’autre ?

C’est différent dans le sens où, avec l’orchestre, il y a un coté plus large, plus enveloppant, donc ça me met dans des dispositions un peu différentes. Il y a peut être un peu plus de libertés quand on est à quatre ou à cinq, parce qu’avec l’orchestre, les structures sont très arrêtées. Ils sont sur partitions, donc, on ne peut pas décider de changer un truc au dernier moment, répéter quelque chose en balance qu’on va garder pour le concert. C’est beaucoup plus figé avec l’orchestre, mais il y a aussi une folie supplémentaire, due aux sonorités qui montent, à cette masse derrière. Ce sont des plaisirs différents, les deux versions sont chouettes.

J’ai eu la chance de te voir plusieurs fois sur scène sur cette tournée, j’ai remarqué que, même si la trame reste similaire, tu mets un point d’honneur à varier les interventions entre les chansons et y glisser toujours un peu d’humour. Il y a un côté un peu théâtre entre les titres. Est-ce important pour toi cette partie du concert ?

Paradoxalement, ce n’est pas trop mon point fort. Il y a quelque chose que je n’ai pas encore trouvé dans la manière de m’adresser aux gens. J’ai du mal à passer de l’état « Je suis en train de chanter, je suis dans mon texte » à « La chanson est terminée, maintenant, il faut que je parle un peu aux gens », m’adresser à cette masse un peu abstraite qu’est un public quand on est sur scène : on ne les voit pas, on ne les connait pas. Il n’y a pas vraiment d’interaction, c’est à moi de dire un truc. Donc, j’essaie de faire de mon mieux.

Je trouve que c’est vraiment bien fait.

Ah bah du coup, ça me fait plaisir si tu me dis ça. C’est vrai que j’ai une trame qui s’est mise en place petit à petit, et je n’aime pas quand ça devient systématique. Donc, j’essaie toujours, avant le concert de me dire « Tiens qu’est-ce que je pourrais changer » et puis souvent, c’est sur le moment aussi, si j’ai une petite blague qui me vient. Ça dépend de mon humeur : des fois j’ai envie de dire des bêtises, donc je les dis. Parfois, je n’y arrive pas et quand je sors de scène, je ne suis pas trop content parce que je n’arrivais pas à parler aux gens, d’autre fois, c’est plus facile.

Ce côté théâtre, on l’a quand même retrouvé dans certains spectacles, je pense notamment, à la tournée « Seuls à trois » avec Alexis HK et Benoit Doremus ou à « Bobines », que tu avais mis en place avec ton frère Damien. As-tu envie de refaire des expériences de ce type ?

C’est comme les choses ses présentent, je suis quand-même assez obnubilé par l’envie de faire des chansons, c’est déjà quelque chose qui me prend beaucoup d’énergie et beaucoup de temps, parce que je suis assez lent. Je n’ai pas d’envie de trucs annexes, mais quand les occasions se présentent, comme ça a été la cas avec Seuls à trois ou avec Bobines et qu’il y a un truc qui se goupille bien, hop, l’envie apparait et je le fais, mais je ne me dis pas « J’aimerais bien faire autre chose que de la chanson et des concerts ».

Tu n’as initié aucun des deux ?

Pour le coup, oui, c’est moi qui les ai initiés, mais c’est un peu des trucs qui arrivent comme ça quoi. Par exemple Bobines, c’est parce qu’un festival m’avait demandé une sorte de carte blanche. Ils m’avaient dit : « L’idée, c’est que tu invites quelqu’un, chanteur, comédien, musicien, mais avec qui tu ne joues jamais ». Et je m’étais dit : « Tiens, je vais inviter mon frère ». On n’avait jamais vraiment fait de trucs ensemble, à part quand on était petit. Et donc, à cette occasion, on avait monté ça juste pour une date. Et comme on avait pris beaucoup de plaisir, on s’était dit « Pourquoi pas faire une petite tournée ».

Peux tu décrire trois émotions dominantes quand tu es sur scène ?

Le trac, pas un trac paralysant, mais en tout cas, une certaine tension avant le concert, vouloir bien faire, qu’il y ait une rencontre qui se passe. Les journées qui précèdent les concerts sont toujours longues, avec l’équipe technique qui travaille depuis très tôt le matin. Notre journée est tournée vers un seul moment qui est le début du concert. Donc, j’ai cette petite tension de vouloir bien faire, que toute l’équipe soit contente, et le public, évidemment.

L’amusement, parce qu’il y a une vie de groupe, donc on a quand même envie de passer du bon temps, que ce soit des beaux moments partagés avec le public et avec toute l’équipe.

Le lâcher prise, le plaisir de se laisser emporter par le moment, par ce que j’ai à raconter, par la musique.

As-tu pu convertir cette interruption brutale de ta tournée que fut le confinement en des moments d’écriture ?

Pas vraiment, je n’ai presque rien écrit. J’ai des bouts de chansons, des choses un peu notées par ci par là, mais je ne suis pas encore rentré vraiment dedans. Je vois ça comme quand on cherche le début de la pelote de laine à tirer, je n’ai pas encore accroché le petit truc qui me porte pour la suite. Mais je pense que ça ne va pas tarder, je commence à avoir des petites choses, je sens que ça cogite pas mal sur l’état d’esprit que j’ai, sur ce que j’ai envie de faire. Mais encore une fois, je suis très lent, et à un moment, ça se décante, ensuite un chanson en appelle une autre, et ça va plus vite.

Il y a un truc que j’adore chez toi, c’est ton attachement à l’enfance, ceci ressort quoi qu’il en soit dans tous tes albums, même dans le dernier, bien que ce ne soit pas le sujet principal. Est-ce que ça reste une source d’inspiration majeure pour toi ?

Bizarrement, j’étais un peu fâché avec ce thème là, il y a quelques années. J’avais l’impression d’en avoir beaucoup parlé, et je me disais « Bon l’enfance, ça va, il y a peut être d’autres choses à aborder, il est peut être temps de faire des trucs plus adultes ». Mais en fait, je suis en train d’accepter que c’est mon tempérament, je me compare beaucoup à ce que j’étais enfant, mes aspirations enfant. C’est aussi une boussole, quand on est enfant, on est assez pur, donc il y a des choses assez importantes qui se dessinent, ce n’est pas la peine de les renier sous prétexte qu’il faut devenir sérieux à un moment. Peut être que ça va le devenir de plus en plus, je n’en sais rien. Je sais qu’en littérature, je me retrouve souvent tourné vers des chose qui traitent de l’enfance et que ça me plait, donc il y a forcément quelque chose encore à aller chercher. Il y aura peut être toujours des chansons qui feront écho à ça, ce ne sera peut être pas un thème majeur non plus, mais y revenir régulièrement, probablement.

(Christophe Cravero le génie du piano qui joue de deux claviers ce soir sur scène, nous fait, à ce moment, l’honneur d’une petite visite, il a l’air fatigué. Allez, courage ! On croit en toi Christophe !)

Renan Luce (c): Sophie Porquet

Quelle est ta manière d’écrire et composer ? Les mots ou la musique en premier ? De quel instrument t’aides-tu ?

J’essaie toujours globalement de faire un peu les deux en même temps, même si je commence souvent par un bout de texte, ça m’arrive très rarement de faire une musique d’un coup et ensuite chercher des mots. En général quand je fais comme ça, je n’y arrive pas trop. J’ai un peu de mal, quand une musique est finie de me dire : tiens qu’est-ce que je vais raconter là-dessus ? Donc j’ai presque toujours un petit début de texte, même si c’est juste une phrase ou deux, il y a quand-même un petit socle de mots et dès que je sens que j’ai trouvé quelque chose où il y a potentiellement une chanson au bout, je prends vite, soit la guitare, soit le piano. Pendant longtemps, c’était majoritairement la guitare, mais de plus en plus, je compose au piano, parfois je passe de l’un à l’autre, j’essaie de trouver un bout de mélodie qui va avec ce bout de texte et si ça colle, je me remets au texte et je reprends ensuite la musique. Les deux s’imbriquent l’un dans l’autre petit à petit.

Pour les textes, tu es toujours papier-crayon, ou tu es passé au téléphone portable ?

Téléphone, pas trop, plutôt ordinateur à la limite, mais j’ai quand-même toujours un grand cahier.

Tu n’as pas un petit carnet en poche ?

À un moment, j’en avais un, mais je ne fais pas trop ça, prendre des notes en cours de route, c’est plutôt des moments posés. Et si vraiment il y a un truc qui me passe par la tête, je prends mon téléphone, je fais soit un dictaphone, un memo. Mais en fait je me rends compte que je ne me sers pas très souvent de ces bouts de trucs. C’est plutôt : au moment où je m’y mets, je m’y mets à fond.

Justement, y-a-t-il des moments, où tu n’avais pas prévu d’écrire, et tu sens que c’est le moment de t’y mettre ? Ou tu prévois plutôt à l’avance des moments pour l’écriture ?

Plutôt je prévois. Je prévois beaucoup de moments où je n’y arrive pas, donc c’est assez déroutant, parce que je m’en veux un peu. Mais des fois, va savoir pourquoi, je suis bien, je suis patient avec moi-même, donc j’accepte que je puisse chercher pendant longtemps, et puis il y a un bout de truc qui arrive et je continue à tirer cette idée là, et ça se met en forme, et à partir de là, je ne compte plus mes heures, je peux passer des journées très longues, plusieurs journées sur une chanson. C’est plutôt le moment de rien qui est un peu déroutant puis quand il y a une petite bulle qui apparaît, ça devient agréable.

Tu as une formation musicale assez classique. Ton dernier album a des sonorité plus classiques. Y-a-t-il d’autres styles musicaux que tu aimerais intégrer dans ce que tu crées ?

J’ai une vision assez classique, sobre et simple des chansons, donc les grands écarts de mélange de chanson avec d’autres styles musicaux, je ne suis pas sûr que ça m’irait bien, je trouve les possibilités assez larges avec la chanson, je n’ai pas spécialement envie d’explorer des trucs pour la mise en danger, ou je ne sais quoi. Je pourrais faire des chansons plus rock, mais je ne porte pas ça en moi, mon ADN musical est vraiment très tourné autour de la chanson assez traditionnelle, et c’est là que je me sens le plus sincère.

Si je te dis La balade du dimanche, ça te rappelle quelque chose ?

C’est une de mes chansons oui, que je n’ai jamais sortie. Elle est quand-même sortie en maquette, donc plein de gens l’ont entendue, et m’ont dit « Elle était bien, pourquoi tu ne l’as pas sortie ? ». Moi, je ne l’aimais pas trop sur le moment, je la trouvais un peu simpliste.

J’aime beaucoup la notion de chanson maison (c’est un intitulé que j’ai inventé) : c’est une chanson dans laquelle tu as l’impression que tu pourrais habiter, tellement tu t’y sens bien. Moi, j’en ai deux de toi : Le clan des miros et Aux timides anonymes. Et toi, tous artistes confondus, est-ce que tu as des chansons maisons ?

J’ai des chansons que j’ai toujours écouté et que j’écouterai toujours. Brassens, L’orage, j’y reviens souvent, c’est une chanson qui me fait du bien. Des chansons de Brel, des Beatles, qui reviennent toujours depuis que je suis tout petit. Régulièrement, j’ai besoin de les réécouter, je suis toujours dans le même état à chaque fois. Il y a un côté rassurant, c’est comme des amis qui m’ont toujours accompagné.

Hier, je rigolais avec mes enfants, enfin mes ados, et je me demandais : quelles sont les activités que tu adores faire avec ta fille Héloïse, qui a dix ans maintenant ?

Plein de choses différentes, on fait de la musique ensemble, on s’enregistre, on fait des petites chansons.

Elle joue d’un instrument ?

Elle joue un peu de piano, un tout petit peu de guitare, mais elle ne prend pas de cours, c’est juste pour le plaisir.

C’est pratique quand on a un papa musicien à la maison.

On joue pas mal aux jeux vidéos, elle aime bien, et moi aussi, donc on se retrouve pas mal là-dessus. On fait des vadrouilles, on fait ça genre deux fois par an : partir tous les deux, louer une voiture faire plusieurs stop à des endroits différents. On fait du skate board aussi.

Renan Luce (c): Sophie Porquet

Pour t’avoir vu de nombreuses fois en concert, je sais que tu mets un point d’honneur à toujours venir rencontrer ton public après les concerts. Et tu le fais toujours avec beaucoup de simplicité. Pourquoi est-ce si important pour toi ?

Je pars du principe que les gens s’attendent un peu à ça. Je vis assez mal de me dire « Oh non, j’ai la flemme, je n’y vais pas », et je pense aux gens en train d’attendre et qui vont rentrer chez eux, en se disant « Oh non, il n’est pas venu ». Ensuite, j’ai de très bons souvenirs, enfant, d’avoir rencontré des artistes après leurs spectacles. Quand on a passé un bon moment, un peu coupé de l’artiste sur scène, le voir après, échanger un petit mot, je sais que ça m’a laissé des bons souvenirs. Donc, c’est peut être par rapport à ça. Et puis, c’est souvent sympathique, les gens sont contents. Je le fais avec plaisir. Quand on joue dans des lieux comme ce soir, il n’y a pas non plus deux cent personnes qui attendent pour me parler, c’est possible de rencontrer vraiment les gens. Je ne suis pas très fan des séances d’autographes, où on ne fait quasiment que des selfies et on n’a pas la possibilité d’échanger vraiment.

Je te remercie pour ce chouette moment de partage, on se reverra tout à l’heure après le concert, comme à ton habitude.