Révélé en 2011 par le titre « Communiste », Cyril Mokaiesh revient avec le très engagé Dyade, 5ème album sur lequel il a convié plusieurs artistes pour des duos torrides. Nous l’avons rencontré quelques jours avant sa sortie.

Il n’avait pas prévu de sortir un nouvel album de sitôt. Cyril Mokaiesh à peine eu le temps d’inaugurer sa nouvelle ligne Paris-Beyrouth le 20 janvier 2020, qu’il doit se résoudre, la mort dans l’âme, à atterrir d’urgence. Il n’effectuera pas d’autres liaisons pour présenter son nouveau bijou au public. Le monde entier est contraint de rentrer en confinement, pour faire face à un nouveau virus virulent.

Cyril a profité de cette période inspirante où le monde était à l’arrêt, pour composer Dyade, un 5ème album humaniste de onze duos qui traitent en partie du chaos dans lequel le monde se trouvait à l’époque du confinement. Le titre de l’album désigne par ailleurs la solidarité d’un couple de deux éléments en interaction, symbolisé ici par plusieurs voix féminines et masculines que l’auteur de « La loi du marché » a convié sur cet album.

Cyril Mokaiesh (c): Dominique Gau

Dans ce dernier, le chanteur convoque ses souvenirs d’enfance avec sœur Laura dans le nostalgique « Honfleur », parle de rupture avec Elodie Frégé dans « La fin du bal », de choses simples de la vie avec Dominique A dans « Pas si simple », évoque le sort des ouvriers et des soignants avec Calogero dans « La rosée » ou encore des derniers bouleversements du monde avec Alma Forrer dans le titre d’ouverture « Après le déluge ».

Il nous a reçu quelques jours avant sortie de Dyade, afin de répondre à nos questions autour de la fabrication de ce 5ème album. Un entretien au cours duquel il était aussi question de sa vision du monde, au lendemain de cette période traumatisante.

Un an et demi après avoir marié tes deux cultures dans « Paris-Beyrouth » ton 4ème album, tu reviens avec un nouveau projet qui unis des voix. Comment a-t-il pris vie ?

Cyril Mokaiesh : C’est vraiment un projet qui n’était pas prévu, j’étais parti pour faire de la scène, faire la promo de l’album Paris-Beyrouth. Dans les circonstances qu’on connaît je me suis retrouvé un peu à l’arrêt. Rapidement, au lieu de verser dans le dramatique, j’ai fais une chanson avec mon fils, on l’a envoyé sur les réseaux sociaux. Une manière pour moi de continuer à entretenir un lien avec les gens qui me suivaient, qui m’attendaient sur scène et ça m’a donné beaucoup d’énergie. Ça m’a donné le goût d’essayer d’en faire une autre et c’est cette 2ème chanson qui a fait l’objet d’un premier duo.

J’ai pensé à Alma Forrer que j’avais vu sur scène une fois, qui m’avait beaucoup séduit avec son univers, ce qu’elle racontait entre les chansons. On a sympathisé et j’ai pensé que cette première chanson « Après le déluge », qui était déjà tourné vers la suite, aurait besoin d’Alma pour lui donner vraiment toute la couleur que je voulais dans ce morceau, quelque chose de dure dans les couplets et l’ouverture qui appelle à des jours meilleurs dans le refrain.

Et puis une autre chanson « La rosée», quand j’ai terminé la chanson je me suis dit « tiens tu as fait un duo, avec qui voudrais-tu chanter ? » et le nom de Calogero m’est revenu. Ça faisait des années qu’il avait des mots encourageants à mon égard, on se croisait souvent et j’ai pensé à lui sur cette chanson par rapport au sujet abordé. C’est une chanson qui se tourne vers la suite et l’image de la rosée qui viendrait nous désaltérer au moment où on serait tous bien sec. C’est une fois qu’il a accepté que je me suis dit que ça va être mon moteur, je vais aller chercher des gens qui me plaisent, des gens que j’ai envie de découvrir si je ne les connais pas. Mais à chaque chanson de produite je vais penser à quelqu’un et me lancer, créer des passerelles entre moi et d’autres artistes.

Si je comprends bien tu es un peu frustré de ne pas avoir défendu Paris-Beyrouth comme tu le voulais ?

Ça m’a beaucoup attristé, il y a des albums qui sont très sentimentaux et celui-ci en était vraiment un. J’étais parti un peu en quête de mes origines dans ma maison de famille à Beyrouth. C’était un album chargé dont je suis très fière, il existe. Les gens qui me suivent l’ont aimé, les médias qui m’accompagnent en ont parlé. Il a quand même eu une existence, mais il manquait la cerise sur le gâteau : aller le défendre sur scène.

Je savoure chaque moment qui nous rassemble les uns avec les autres, les libertés qu’on est en train de regagner petit à petit. Cyril Mokaiesh

Dans « Après le déluge » avec Alma Forrer, tu tires à boulet rouge sur le gouvernement pour sa gestion de la crise les premiers jours. Ton jugement a-t-il évolué aujourd’hui ?

C’est différent ! Ce n’est pas un jugement. J’essaie de pas avoir trop de jugement mais je m’autorise parfois un constat amère. C’est vrai qu’à ce moment là on était un peu mené à la baguette et puis, ils se permettaient de jouer à ceux qui savent alors qu’ils n’en savaient rien. Je ne vois pas pourquoi la politique échapperait à la règle de l’honnêteté. Je pense que c’était un sentiment général, un peu de sérieux, on est tous dans le même bateau, on a besoin d’un guide. A ce moment là, je les ai trouvé particulièrement inefficace et je ne suis pas le seul.

Aujourd’hui mon jugement a évolué, je ne suis pas maso, je n’ai pas envie de me replonger dans cet état. Je savoure chaque moment qui nous rassemble les uns avec les autres, les libertés qu’on est en train de regagner petit à petit. Quelque part on leur doit aussi cette sortie de crise, il faut le dire. Mais de là à les féliciter j’en sais rien.

Durant cette période tu as dévoilé un titre dans lequel tu t’interroges sur « Le jour d’après ». As-tu trouvé une réponse à cette question ?

J’ai espérer secrètement que cette crise nous fasse réaliser des choses essentielles à savoir le collectif. Depuis des années, le monde est en train de pencher vers l’individualisme, vers la compétition, vers la concurrence… je ne suis pas le seul, mais dans certaines de mes chansons précédentes, j’ai souvent brandit le panneau d’alerte : « attention on est en train de se couper les uns des autres, à coup de petit confort personnel on est en train de passer à côté de nos vies, à côté des autres et de soi. »

Oui j’ai espéré qu’au moins on tire les leçons de ce moment qui a été douloureux pour se dire que l’essentiel d’une vie elle se construit ensemble et favoriser les projets collectifs, avoir conscience des enjeux climatiques… Plein de chose qui rendraient la vie un peu plus humaine, un peu plus belle. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais j’espère encore que le monde d’après ne sera pas celui d’avant ou un peu pire.

Dans ton duo empreint de sensibilité avec Calogero, tu parles d’un monde en mal d’humanité. Tu penses que notre modèle de société est dépassé ? La rosée est-elle la solution à nos maux ?

Ni « la rosée » ni moi ne sommes la solution. Je ne le trouve pas dépassé, je le trouve inquiétant, je le trouve angoissant. Moi c’est un rien qui m’angoisse plus, l’idéal d’un modèle de société qui soit tourné vers la consommation et ne pas construire des choses qui nous donnent envie de nous lever le matin. On compte tellement de gens qui passent à côté de leur vie, qui attendent les weekends, qui le week-end attendent les vacances et puis finalement pendant les vacances attendent la retraite… une vie ça passe trop vite. La chanson est un vecteur pour pouvoir faire passer des messages, mais ces messages là, j’essaye de les faire passer en douceur, avec poésie si possible. Ma petite contribution c’est de ramener un peu d’humanité, d’émouvoir.

Dans ce 5ème album, on retrouve les textes engagés qui avaient laissés place à plus de musicalité dans le précédent projet.

Tu trouves ? J’aurai dit que dans « Paris-Beyrouth » c’est un voyage intérieur, mais un voyage qui est aussi centré sur des thèmes comme le grand changement qui est assez frontal quand même sur le fait qu’on est en transition et qu’il y a quelque chose qui nous pend au nez. L’histoire montre qu’on n’est jamais très loin du chaos.

Celui-là j’aurai pas dit que c’était un album vraiment politisé, après je mets toujours un engagement personnel dans les chansons que j’écris et je sais que ça aura une résonance avec l’époque. Jamais je ne délaisse ma place dans le monde, j’essaie d’être une éponge de ce qu’on vit en commun, et j’en fais quelque chose de personnel ou l’inverse. Je dirai que c’est un album sentimentalement humaniste.

« Je défends sans doute une chanson réaliste… » Cyril Mokaiesh.

Ou trouves-tu l’inspiration pour mettre des mots sur nos maux ?

J’essaie d’ouvrir les yeux, les oreilles, de lire un peu les journaux de tout bord, de garder un œil sur l’actualité au Liban, parce que depuis que j’ai été piqué et que je suis allé là-bas, j’ai encore une partie de mon coeur qui ne veut pas décrocher. Puis une chanson c’est une discussion entre toi et moi, c’est un copain en colère ou triste, ça peut être aussi un moment de vie génial où on se retrouve entre gens qu’on aime et puis l’alchimie prend, on vit un moment suspendu. J’essaie aussi d’être à l’écoute du bonheur, je ne puise pas mon inspiration que dans les mots de l’époque, je défends sans doute une chanson réaliste.

Comment ça se négocie en amont un album de duos comme celui que tu viens de réaliser ?

Il y a des artistes avec lesquels j’avais envie d’essayer de collaborer, souvent ça s’est fait. Je voulais que l’album soit confortable aussi dans ses contrastes entre la jeune génération et les artistes confirmés. Il y a eu des surprises, il y a eu des chansons qui étaient destinées à une personne, mais qui finalement se retrouvent dans la bouche de quelqu’un d’autre. Moi je me fis à l’instant et à l’envie des gens qui ont accepté de venir chanter et ça se passe toujours à peu près de la même façon. Je leur passe un coup de fil et puis on discute cinq minutes, on prend des nouvelles et à un moment donné j’arrive avec ma chanson et je leur propose. Ils me disent « Cyril je ne peux pas te répondre avant de l’avoir entendu », donc c’est la vérité de la chanson qui décide de la suite. On peut aimer une chanson et puis c’est pas le moment de la chanter. Tu ne sais jamais à l’avance si tu as réussi ton coup ou pas. Ça été des moments que je garde aussi en tête parce que c’était de petits miracles, des faisceaux de lumière dans cette année un peu sombre.

On met toujours en avant le bon déroulement des choses, mais est-ce que tu as également essuyé des refus dans tes démarches ?

Évidemment, c’est tellement subjectif une chanson et puis ça peut vouloir dire une chose et être interprétée d’une autre manière. Ça peut être le moment où un artiste sort son propre projet et il n’a pas le temps de venir poser sa voix. L’idée c’est quand même de venir chanter et après de pouvoir se libérer de temps en temps pour pouvoir en parler, peut-être-là chanter de temps en temps sur scène. C’est pas un one shot, C’est une vraie rencontre, faut pas que ça fasse pschitt.

Cyril Mokaiesh (c): Dominique Gau

Si on t’avait dit qu’en 2021 tu ferais un album de duos tu l’aurais cru ?

Bah non, j’étais complément ailleurs. Et puis moi généralement les albums me prennent plutôt deux ans entre l’écriture et l’enregistrement. Là les chansons venaient vraiment facile les unes après les autres. J’ai travaillé aussi avec mes musiciens qui me proposaient des idées, j’avais le temps, j’étais bien centré pour pouvoir travailler. Je crois que ça été le cas pour beaucoup de gens, on avait beaucoup d’énergie, on se levait tôt le matin, on se couchait tôt, on bouquinait beaucoup, on était alerte, on avait envie de se retrouver, on avait envie de vivre quoi. C’était une sensation qui était inspirante.

Comment tu as apporté ton aide durant cette période un peu sombre ?

Je ne fais pas de grande tirade sur ce que je peux faire pour les autres, j’essaie d’être présent pour ceux qui me sont chers. Ça commence par mon fils, j’essaie de lui inculquer les valeurs qui semblent être les bonnes. J’ai eu la chance de pouvoir me retrouver avec ma sœur et mon frère qui ne vivent pas loin de moi, partager des moments et être à l’écoute les uns pour les autres. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour les autres, ça serait un peu prétentieux de se lancer des fleurs. Par contre je sais ce que les autres ont fait pour moi. J’ai eu de beaux témoignages soit des gens qui me suivent, soit des amis proches.

Est-ce que tu vois une différence dans le comportement des gens après cette période un peu compliqué ?

J’en parlais il n’y a pas longtemps avec un ami proche et je lui disais que je trouvais les gens plus ouvert, plus regardant. Il m’a dit de bien réfléchir, que c’était peut-être moi qui était plus cool qu’avant (rire).

Toujours communiste comme en 2010 ou tu as changé de bord ?

Je ne sais pas si jamais été communiste.

Ton cœur il penche plutôt à gauche ?

Oui, cette chanson là c’était un cri du Coeur et aussi une manière un peu détournée de dénoncer ce qui était déjà le cas aujourd’hui mais qui est maintenant quasiment ancré chez les gens, c’est ce que la gauche était mis à mal ou alors appelé à disparaître. Même aujourd’hui tu te demandes si le mot socialisme a encore une résonance. Je m’étais emparé du mot communiste pour dire que dès qu’on pensait humaniste, social, qu’on voulait que les choses soient quand même équilibrées, on est taxé d’être un dangereux gauchiste. Déjà moment où je le chantais, il faisait soit peur, soit il provoquait un sourire. Maintenant je me demande si le mot socialisme ne fait pas le même effet. On voit bien quand même que plus les années passent, plus les sociétés se droitisent et ça fait peur.

Cyril Mokaiesh (c): Dominique Gau

Tu as pu faire quelques dates depuis la reprise, comment se passent les retrouvailles ?

C’était jouissif. Ça a commencé aux Francofolies de La Rochelle cet été où j’ai la chance d’être très bien reçu à chaque fois. Le public vient de plus en plus nombreux, j’ai eu droit à une belle fête. Ça a continué début septembre, on a fait une quinzaine de dates dans une formule à deux avec mon guitariste. On est parti dans la région de L’Ain où on a écumé tous les villages de la région. C’était une expérience assez formidable de proximité avec les gens. Et puis là on va entamer la tournée dans un groupe où on sera à quatre. On commence par la Nouvelle Eve à paris les 23, 24, et 25 novembre avec les invités qui m’ont fait l’honneur de venir sur trois jours. Après ça sera la tournée en 2022, peut-être il y’aura un peu de Paris-Beyrouth et beaucoup de Dyade. Toute façon maintenant je n’ai qu’une envie, celle de remonter sur scène.

Est-ce que tu as imaginé une date où tous les artistes présents sur ce projet se retrouveront sur scène avec toi ?

J’ai réussi à les réunir sur trois jours, c’est déjà un bel exploit. Mais les avoir tous en une soirée ça relève plutôt de l’ordre de la science fiction.

On ne te retrouvera plus dans une configuration à deux sur scène ?

Si, moi je propose plusieurs formules aux salles de concerts afin qu’elles puissent s’adapter en fonction de leur budget. Et puis il y a aussi le spectacle Paris-Beyrouth qui est en trio et qui peut se remonter en un rien de temps. Du coup il y a trois formules, en duo, en trio et en quatuor.

Plus d’infos

Dyade, le nouvel album de Cyril Mokaiesh est disponible sur toutes les plateformes. Il sera en concert les 23, 24 et 25 novembre prochain à la Nouvelle Eve à paris.

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