Henri Nicolas vient de sortir son premier livre aux éditions Selena, « Archives de l’effroi ». Cet ouvrage m’a fait penser à ce monologue connu sous le titre « Rain in tears ».

« I’ve… seen things you people wouldn’t believe… Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched c-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate. All those… moments… will be lost in time, like …tears… in… rain. Time… to die… » 

« J’ai vu des choses que des gens comme vous ne pourriez pas croire. Des bateaux de combat en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons-C briller dans l’ombre de la Porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans le temps, comme les larmes dans la pluie… Il est temps de mourir. »

Monologue final de Rudger Hauer dans le film Blade Runner 

Philip K Dick, auteur du roman initial, et Ridley Scott le réalisateur, ont laissé le dernier mot à l’acteur Rudger Hauer qui a improvisé en partie son texte. La mémoire des humains les définit mais les souvenirs ne sont que des larmes dans la pluie.

Henri est mon ami. Nous nous sommes connus dans les classes préparatoires du Lycée du Raincy. Nous avons donc partagés les expériences de notre génération.

Nos pères avaient fait la guerre, et nos grands-pères aussi. Guerres de défense du territoire ou guerres coloniales. Ils ont connus les camarades tués ou blessés, la boue des tranchées, la peur sous la mitraille, les trahisons. Ils n’en parlaient pas souvent, mais ne le cachaient pas non plus. Il restait encore dans Paris les guérites des Gueules cassées cherchant à vendre leurs billets de loterie. Nous avons encore les photos jaunies de soldats en uniforme, dont souvent nous ignorons le nom. Les anciens poilus avaient la soixantaine au moment de notre prime jeunesse. Nous les avons connus, nous leur avons parlé.

L’un des personnages, Paul, était médecin et donc il pouvait entrer dans l’intimité des familles. Il a vu les intérieurs en terre battue, les enfants tuberculeux, les hommes qui refusent de prendre le temps de se faire soigner. Il y a aussi ces moments plus gais, les mariages, les rencontres d’amis, les bains dans l’Atlantique. Il y a eu aussi l’occupation et la Résistance.

La vraie mémoire n’a pas la sécheresse d’un rapport de gendarmerie. Il doit y avoir des couleurs, des odeurs, des musiques. C’est pourquoi il faut passer par la fiction qui tout à la fois met de la distance et rapproche nos souvenirs. C’est à quoi s’emploie Henri Nicolas.

Quand on boit le vin des coteaux bordelais, on ne sait se qui vient de la nature ou du travail de l’homme. La terre, le cépage, le climat, le labeur du viticulteur, du vinificateur et de l’œnologue contribuent également au produit final. De même nous ne savons et ne saurons jamais ce qui vient de la mémoire ou de l’imagination de l’auteur. « Ces photographies, qui donc a pu les faire ? Certainement pas nous ! En réalité, nous n’avons jamais fait de photographies : c’est bien plutôt elles qui nous ont fait. Au moment où nous les prenons, nous ignorons à quel point elles nous prendrons. » Aussi, comme les vielles photographies, le texte, en parlant des ancêtres, parle de nous, de nos souvenirs d’enfance.

Comme les héros de Philip K.Dick, Paul et Hippolyte, les personnages principaux du livre ont passé la porte de Tannhauser. Ils ont vu le feu et la mitraille, qui leur ont volé l’insouciance de leur jeunesse. Mais en même temps, ils les ont fait se tenir droit, et un peu de leur courage est passé aux enfants et petits enfants. En ces temps de pandémie, et d’inquiétude face à l’avenir climatique, souhaitons que ces mémoires nous aide à rester droit nous aussi.

Fasse que ce texte maintienne leur souvenir, et évite que tout ceci soit des larmes noyées dans la pluie d’orage.

Pour aller plus loin

Les Archives de l’effroi se trouvent sur le site de l’éditeur Selena et dans toutes les bonnes librairies, en ligne ou en présentiel.