Blick Bassy a accepté de répondre à nos questions, durant la dernière édition du Printemps de Bourges, le 20 avril 2019.
J’avais rendez-vous avec Blick Bassy le 20 avril dernier à Bourges, dans le cadre du célèbre Printemps de cette ville. Le 8 mars 2019, l’artiste Camerounais sortait son 4ème album « 1958 », un opus hommage au chef indépendantiste Ruben Um Nyobè, assassiné par les forces coloniales françaises le 13 septembre 1958. Un leader qu’il incarne dans le clip du single Ngwa (mon ami en langue bassa) où il évoque la traque qu’a subi ce résistant dans son combat pour l’indépendance.
Un résistant qu’il surnomme « Mpodol » (une sorte de porte-voix), pour faire prendre conscience à la jeunesse africaine, qui ne sait pas grand-chose de son histoire, de se réapproprier cette dernière, afin que les « Vainqueurs », n’ai pas toujours le dernier mot. Durant plusieurs décennies, il était impossible de prononcer le nom de ce leader sans risquer pour sa vie et les autorités Camerounaises n’ont jamais vraiment cherché à ce que, cette figure de la lutte pour l’indépendance, soit reconnue à sa juste valeur.
Ce soir, pour la première fois, je vais assister à l’un de ses concerts, je n’ai pas pu me rendre au grand raout Sold Out organisé le 15 avril dernier à La Cigale, pour la sortie de l’album. Après le très acoustique « Léman », la soul funky de « Hongo Calling » et le blues de « Ako », l’artiste revient avec un nouvel opus dans lequel il passe au crible, la période trouble de 1958 ayant conduit à l’assassinat de cette figure historique. Il rendra un vibrant hommage au leader historique sur scène ce soir-là, devant un public partagé entre l’émotion et l’envie d’en savoir un peu plus sur cette sombre page de l’histoire coloniale. Un plaisir qui pourra être prolongé après le concert, en se procurant le bouquin co-écrit par l’artiste et qui revient sur cette période sombre de l’histoire.
Une date : 1958
En écoutant l’album « 1958 », on comprend tout de suite que cette date revêt une importance particulière à tes yeux.
Blick Bassy : C’est l’année où UM Nyobè a été tué par l’armée française. C’était un leader Camerounais qui se battait contre les colons, il a été tué en 1958. J’ai décidé de lui consacrer cet album, ça m’a paru comme une évidence de donner comme titre à mon album, l’année de sa mort.

Pourquoi justement Um Nyobè et pas un autre leader indépendantiste ?
Blick Bassy : Parce au Cameroun quand on parle de la lutte anti coloniale, UM Nyobè est le leader de cette lutte, d’ailleurs c’est lui qui représentait le Cameroun dans toutes les institutions internationales comme l’ONU, il avait aussi rencontré Houphouët Boigny en tant que Secrétaire Général de l’UPC (Union des Populations du Cameroun. Il était vraiment le porte-voix de ce mouvement et le leader de ce parti. Si on envie de reparler de ce moment-là, il faudrait le faire à travers la personne qui représentait à l’époque, non seulement pour ses camarades de lutte, mais également toute la population du Cameroun. Quand on évoque le nom de Um Nyobè aujourd’hui, je pense que toute les personnes qui de près ou de loin ont connu cette époque savent de qui il s’agit.
C’est une façon pour toi de réhabiliter son honneur ?
Blick Bassy : J’ai décidé de parler de cette histoire à cause de la crise identitaire qui est la mienne, je pense que tous les africains de ma génération connaissent aujourd’hui une crise identitaire de manière consciente ou inconsciente. Parce que nous appartenons à des espaces qui ont été créés avec une ambition bien précise, tout simplement d’exploiter ces espaces et de faire de nous des personnes exploitées, même après les indépendances.
Le travail a été réellement bien fait, j’ai la chance de parcourir un peu l’Afrique et je me rends compte que les gens sont à 95% déconnecter de leur racine, ils ne connaissent pas réellement leur histoire. Et à partir du moment où on ne connaît pas son histoire et qu’on se bat de toutes ses forces pour redevenir des avatars ou des copies d’autres personnes, c’est très très compliqué de pouvoir aller loin. C’est cette crise identitaire qui m’amène à me poser la question suivante : qui suis-je ? Pour cela il fallait que je reparte vers mon passé et mon passé me fait m’arrêter de façon évidente sur ce personnage de UM Nyobè, qui à l’époque menait déjà des combats contre l’asservissement des humains par d’autres.

As-tu eu des pressions au moment de sortir l’album ? Quand les gens ont su que ça parlait de cette période ?
Blick Bassy : Pas du tout. C’est des questions qui ne m’auraient pas heurté. Je sais qu’aujourd’hui au Cameroun on vit une période des plus difficile de ce pays parce qu’on sent bien que la fin est proche. Le régime panique et les gens essaient de s’accrocher à leurs acquis et ça crée un tempérament de panique. Non, je pense que J’ai la chance d’avoir une tribune, de pouvoir rencontrer les journalistes, d’être sur scène… Mon devoir aujourd’hui est d’essayer de parler de ces histoires, je me sens comme étant un porte-voix, je ne m’appartiens plus à un moment donné et à partir du moment où je me considère être la suite de mes ancêtres, je pense que c’est eux qui parlent à travers moi.
Je parlais plutôt du côté français, étant donné que tu pointes la responsabilité de la France…
Blick Bassy : Non, c’est vrai que la France est concentré à rédiger son storytelling et n’empêche personne de parler. Il revient aujourd’hui aux différentes nations de porter leur histoire et d’essayer de la mettre en lumière. Moi mon travail est principalement de rappeler la mémoire aux principaux concernés, si en le faisant la France reconnait ses erreurs c’est tant mieux. Mon objectif c’est d’en parler aux concernés et de leur dire qu’est-ce qu’on en fait ?
N’existe-t-il pas un risque que les gens se heurtent à la barrière de la langue ?
Blick Bassy : Non pas du tout, j’utilise un canal qui me permet de le faire d’une manière sincère. A partir du moment où j’utilise une langue qui me permet de le faire de manière sincère. Quand on regarde un peu ce qui a été mis en place autour de la communication et des journaux qui en parlent on voit bien que le fait que ce soit porté par une émotion qui soit liée à la chanson n’est pas un frein au contraire puisque c’est aussi la force des chansons qui permet de ramener ceux qui ont été touchés par la musique vers l’histoire. J’essaie d’élargir les possibilités de communication.
Derrière il y’a un livre que j’ai sorti qui raconte cette histoire grâce au talentueux journaliste Andy Morgan avec qui j’ai passé trois jours chez moi. Voilà j’ai essayé de faire sur différente manière pour toucher plus de monde.

Dans le titre “Mpodol“, tu lances une adresse à la jeunesse…
Blick Bassy : Je pointe nos responsabilités, je dis voilà ces gens-là qui sont morts pour le bien commun, qu’est-ce que nous faisons aujourd’hui ? Ils ont donné leur vie pour l’intérêt commun alors que nous nous attachons à nos intérêts personnels, nous portons une responsabilité. Ce titre est pour moi une façon de pointer notre responsabilité aujourd’hui.
Pourquoi tout l’album est en Bassa sauf le dernier titre “Where We Go” ?
Si on remarque bien, on voit que même le dernier titre est en bassa, c’est le refrain qui est en anglais, tous les couplets sont en bassa.
Pourquoi ce mix justement à la fin de l’album ?
Blick Bassy : Parce qu’on vit dans un pays où on parle à la fois le français et l’anglais. Je pense que la langue officielle aujourd’hui, pour les Camerounais, c’est ce qu’on appelle le « FrancAnglais », qui est un mélange du français et de l’anglais, puis les mots de nos différentes langues. Nous vivons dans un espace où ces langues font aussi parti de notre patrimoine, c’est ce que je dis toujours à la France aussi, de toute manière notre histoire est complètement liée, puisque la francophonie sera dans les prochaines années à 95% Africaine. D’onc c’est nous qui allons porter le français, c’est nous qui allons le faire vivre. A partir de ce moment cette langue fait déjà parti de notre patrimoine, pour moi c’est juste un moyen de le dire aussi. Moi je chante exclusivement en bassa, mais je peux également utiliser les brides de notre patrimoine.