7 ans après son premier album très engagé Pili Pili sur un croissant au beurre, Gaël Faye a dévoilé le 6 novembre dernier Lundi Méchant, un 2ème album studio qui se veut plus musical que le précédent et sur lequel le Franco-rwandais a convié entre autre Christiane Taubira, Jacob Banks, Harry Belafonte ou encore Mélissa Laveaux.
Gaël Faye représente beaucoup d’émotions, de déclics et de souvenirs pour moi. Il m’a fallu un petit moment pour canaliser les idées et les sensations qui affluent à l’écoute de ce nouvel album. J’ai laissé murir cette chronique en moi, comme un fruit, avant de vous la livrer aujourd’hui. Lundi méchant est le deuxième album studio de Gaël Faye. Le premier, Pili pili sur un croissant au beurre est sorti en 2013. Entre ces deux albums, il y a eu deux EP et un best-seller Petit Pays, traduit en plusieurs langues à travers le monde.
Quand on aime et suit un artiste de près, l’attente de ses nouvelles créations est un mélange d’a priori positifs et d’attentes démesurées. Gaël Faye, pour moi, c’est la poésie, l’évasion, le feu, la bienveillance, la résistance, la douceur et l’espoir. J’y trouve également du réconfort, une source de créativité et l’envie de danser (ce qui est quand même très rare chez moi). J’attends de cet artiste, des mots dans lesquels je me reconnais, mais aussi ceux qui me sensibilisent à son vécu et à certaines causes qui, avant de le connaître, me paraissaient si éloignées de ma vie que je n’y avais même jamais porté attention, notamment le génocide du Rwanda. Autant dire que mon niveau d’exigence est quand même assez élevé, nourrissant aussi l’espoir d’y découvrir de nouvelles sensations. Voyons si les quatorze titres qui composent cette nouvelle œuvre ont comblé mes attentes.

Quel bonheur de retrouver le timbre de voix de Gaël Faye que le métissage rend si particulier, porteur à la fois de douceur et de fureur. Pour la musique et les arrangements, l’artiste travaille toujours avec ses inséparables Guillaume Poncelet et Louxor. Cet album s’écoute autant pour la beauté des mélodies que pour la puissance des textes : on peut se laisser porter par les sons, sans mentaliser, mais une punchline viendra toujours, à un moment, nous percuter les tympans.
Nous connaissions déjà le libérateur « Respire » et le contestataire « Lundi Méchant », dévoilés avec leur clips respectifs pour annoncer la sortie de l’album. Les titres qui m’ont happées lors des premières écoutes sont les plus dansants, à commencer par « Boomer », destiné à faire bouger cette catégorie de “vieux”, nés dans les année 1946 à 1960, une génération qu’il est parfois difficile de sensibiliser à l’évolution de la jeunesse actuelle, et qui est, habituellement, en rejet de la musique Rap. L’idée véhiculée est que même un rappeur peut faire danser les boomers. « Chalouper » met en scène les séniors également, mais, cette fois, ceux qui cherchent à profiter de la vie jusqu’aux derniers instants. Je rêve, moi aussi, de conserver ma passion et de brûler d’envie de la partager jusque dans mes derniers moments de vie. Ces deux morceaux promettent de mettre le feu en concert, de belles occasions pour Gaël d’encore me faire danser !
Les deux joyaux de mélodie sur cet album sont, pour moi, le réconfort d’ « Histoire d’amour » et la renaissance de « Kwibuka » (« se souvenir » en Kinyarwanda, en mémoire du génocide des Tutsis) : que de couleurs, de chaleur et de bienveillance dans ces morceaux, agrémentés de paroles aussi belles par le message qu’elles portent que par leur musicalité, renforcée par de jolies paronomases (rapprochement de sonorités voisines dans un vers). Samuel Kamanzi pose justement sa voix sur ces deux titres, sa présence n’est certainement pas étrangère à la beauté qui s’en dégage. En ce qui me concerne, la découverte de cet artiste est un véritable coup de cœur. “C’est cool”, connue sous le nom de “TV” par ceux qui ont déjà eu la chance de partager un concert avec Gaël, se trouve relookée de nouveaux arrangements musicaux et d’un phrasé plus calme, plus posé, la positionnant ainsi dans mon top trois des plus belles musiques de ce disque.
D’autres collaborations viennent compléter l’album Lundi Méchant d’une jolie diversité. « Only Way Is Up », texte très sombre dans lequel pointe, somme toute, une petite lueur d’espoir, accueille le chant céleste de Jacob Banks, auteur-compositeur-interprète anglais originaire du Nigéria. Guillaume Poncelet apporte sa voix en renfort à la douce mélodie de « Zanzibar », probablement le texte le plus universel et poétique de cet album, celui dans lequel un grand nombre de personnes pourraient se reconnaitre (moi la première). Le titre « JITL » revisite le morceau « Jump In The Line » du grand Harry Belafonte, collaboration issue d’une rencontre entre les deux artistes à l’occasion des 93 ans de ce dernier, en ce début d’année 2020.
L’un des temps forts de ce nouvel album est la mise en musique d’un poème écrit par Christiane Taubira, peu après sa démission du poste de garde des Sceaux : « Seuls et Vaincus » annonce la victoire de la diversité et des minorités sur ceux qui les ignorent ou les méprisent. Le phrasé de Gaël Faye, complété par le timbre chaleureux de son amie Mélissa Laveaux, offre une dimension supplémentaire à ces vers poignants. « Lueurs » prolonge si bien ce morceau que les deux titres semblent n’en former qu’un. Le message qu’il porte est similaire : malgré la haine, la lumière triomphera. Ne jamais cesser de résister, d’espérer. Écrit à la sortie de la manifestation en hommage à George Floyd en juin dernier, il est le son le plus Hip Hop et le plus hargneux de l’album. À son écoute, on ne peut réprimer l’envie de cracher de la lumière depuis nos ténèbres les plus enfuies.
Le Rap est particulièrement bien représenté également dans les morceaux « Kerozen » et « NYC ». Le premier, dont le clip est paru récemment, évoque l’enfermement de la cité autant que la prison de l’âme : quand on n’arrive plus à se comprendre, à se parler, quand l’évasion devient l’ultime espoir. Sans que je puisse l’expliquer, l’esprit du rappeur Georgio s’impose inévitablement à moi lorsque j’écoute de ce son. Le second, reprenant un sample de « As long as I’ve got you » de The Charmels, a été écrit sur un calepin (Les “vrais” savent que Gaël porte toujours un calepin sur lui) à l’arrière d’un taxi lors d’une traversée de New York, à la sortie de sa rencontre avec Harry Belafonte. Un texte introspectif et rétrospectif, tellement riche en assonances, allitérations, et autres paronomases qu’il en est beau à écouter, ne serait-ce que pour ses sonorités qui claquent.
À l’issue de cette description succincte des quatorze titres qui composent l’album Lundi méchant, j’espère vous avoir soufflé l’envie de découvrir ce disque, et même l’explorer dans ses moindres recoins. Les plus observateurs auront noté que j’y retrouve chaque émotion évoquée en début de texte. Quant aux sensations nouvelles, elles résident en la grande diversité des mélodies qui ouvrent de nouveaux horizons et invitent au voyage, ainsi qu’en certaines nouveautés vocales, comme le chant qui conclut le titre « Lundi Méchant ».