Little Richard est mort il y a un peu plus d’un an, le 9 mai 2020. « Awopbopaloobop Alopbamboom » C’est ainsi que le critique Nick Cohn retranscrit le cri que pousse le rocker au début de « Tutti Frutti ».[1]

L’oligopole des Majors

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le marché américain de l’enregistrement musical est dominé par un oligopole, les majors. Quelques entreprises, Colombia, Victor (devenu RCA), Decca, représentent l’essentiel des ventes. 

Cette puissance économique leur donne une grande capacité d’innovation : l’invention du 33T (premier disque par Colombia en 1948), le 45T (RCA en 1949) suivie par la stéréophonie en 1959. Durée allongée, qualité sonore améliorée, les disques de cette époque ont une qualité technique que le numérique n’a pas pu dépasser. 

Au niveau artistique c’est moins brillant. Les meilleures ventes de disques sont dominées par les crooners et les comédies musicales, des formes musicales nées dans les années 20 et 30, qui ont donc 10 à 20 ans d’âge. C’est qu’il faut être assuré des ventes pour amortir les investissements réalisés. De plus, le 33T est une prouesse technique mais c’est aussi un objet cher. Le marché est étroit. Les clients l’achètent dans des circonstances exceptionnelles. La meilleure vente des années 50 est un disque de chants de Noël par Elvis Presley, et en dehors des crooners, les meilleures ventes sont des recueils de vielles chansons ou de contines enfantines.

Les méthodes de production sont inspirées de la chaine industrielle. Les différentes fonctions sont taylorisées, auteurs, compositeurs, arrangeurs, chefs d’orchestre… (Voir les mémoires de G.Emerick, l’ingénieur du son des Beatles, qui décrit l’atmosphère pesante des studios d’enregistrement au début des années 60)[2].

 La montée des indépendants

A coté des ventes de masse, existent des marchés de niche. La country, le rythm and blues, le jazz sont des marchés locaux ou de spécialité. Ils intéressent un public restreint mais passionné. De petites entreprises indépendantes, des starts up, fondées par des amateurs, travaillent sur ce marché, en sortant des 45T, format financièrement abordable. Elles sont innombrables dans les années 40 et 50 : Atlantic, Chess, Sun, King,… Elles ont peu de moyens et reviennent aux recettes du début de l’enregistrement. Equipe de musiciens réduite, rassemblée pour les besoins de l’enregistrement, chanson composée juste avant ou pendant l’enregistrement[3].

Dans un studio de la Nouvelle Orléans 

Ainsi le 14 septembre 1955, au Studio J & M de Cosimo Matassa à La Nouvelle-Orléans, se trouvent rassemblés les musiciens du groupe de Fats Domino, pour une session de la firme Speciality. Mais au lieu du sympathique rondouillard, c’est un énergumène vociférant qui tient le chant et le piano. Il hurle, martèle les touches du clavier. Il laisse un saxophone velu prendre un solo avant la fin du morceau. La batterie de Earl Palmer catapulte tout le monde en cognant au fond du temps.

Richard Wayne Penniman, dit Little Richard vient de faire une entrée fracassante. Il a appris à chanter dans les chorales gospel. En 1957, suite à au lancement du satellite russe Spounik, il reviendra brièvement à la religion et se reconvertira chanteur de gospel[4]. Mais là, au lieu de célèbrer Dieu, il chante n’importe quoi :

Awopbopaloobop Alopbamboom

Tutti frutti, oh rootie

I got a gal, named Sue, she knows just what to do

She rock to the East, she rock to the West

But she’s the gal that I love best

Ça ne veut rien dire. Ils sont crédités à trois pour avoir écrit ces paroles qui tiennent sur un timbre poste (Dorothy Labostrie, Joe Lubin, et Richard Penniman). Certains y verront des connotations homosexuelles, ce qui n’est pas démontré.

Mais peu importe : tout le monde a compris qu’il s’agit de sexe et de faire chier les parents.

Le chanteur Pat Boone fera une reprise allégée, mais il y a longtemps qu’elle a disparu dans les poubelles de l’Histoire. Seul compte l’original. Little Richard rééditera l’exploit dans ses hits suivants, Long Tall Sally, Rip It Up, Good Golly Miss Molly, Lucille

A sa mort en 2020, le plus grand compositeur de notre temps, Paul Mac Cartney dira qu’il lui a tout appris. Elvis Presley, Otis Redding, Bruce Springsteen, ont repris ses chansons. James Brown, Iggy Pop des Stooges, Zach la Rocha de Rage Against The Machine lui doivent tout aussi. Il transcendait les genres musicaux. Keith Richard a ajouté qu’il était le vrai esprit du rock[5].

On ne peut dire mieux.

Plus d’infos

Les hits de Little Richard sont trouvables sur tous le sites musicaux.

[1] Nic Cohn Awopbopaloobop Alopbamboom (1969)

[2] Geoff Emerick et Howard Massey (trad. de l’anglais par Philippe Paringaux, préf. Elvis Costello), En studio avec Les Beatles : les mémoires de leur ingénieur du son, Marseille, Le mot et le reste, 2009

[3] pour la partie historique voir Charlie Gillet : The Sound of the City 1983, indépassé à ce jour

[4] Gérard Herzhaft : La grande encyclopédie du Blues (1997)

[5] https://www.lesinrocks.com/musique/les-geants-du-monde-de-la-musique-rendent-hommage-a-little-richard-153123-11-05-2020/