En dévoilant Tropi-Cléa 3, Cléa Vincent nous ouvre les portes d’un ailleurs qui vient clore le triptyque d’une parenthèse tropicale entamée en 2017. Rencontre avec une artiste qui choisi de jouer la carte du collectif sur l’ultime volet de son projet.

Cinq ans après le début d’un triptyque entamé en 2017, Cléa Vincent nous présente l’ultime volet de ce dernier Tropi-Clea 3. Une histoire d’aventure et d’amour née de sa tournée en Amérique du Sud en 2017, entourée de la chaleur humaine des locaux et de ses musiciens (Baptiste Dosdat, Raphaël Thyss, Raphaël Leger) avec lesquels elle a composé cette nouvelle œuvre. Un nouveau projet que la bande a hâte de défendre sur scène, contrairement au second volet Tropi-Cléa 2, porté par le single « Du sang sur les Congas » et sorti en plein pandémie en avril 2020.

Celle qui se fait appeler Vichenzo quand elle revêt les vêtements de musicienne d’accompagnement pour d’autres, a transformé sa frustration en beauté auditive avec ce nouveau volet dont l’ambiance oscille entre samba et bossa nova, et qui tombe à pic pour mieux apprécier ce début de printemps. Un public de privilégiés à pu apprécier les titres de Tropi-Cléa 3 ce lundi soir dans le cadre intimiste du Pop Up du label, et avant le grand concert parisien du 27 avril prochain au New-Morning. Entre ces deux dates, nous nous sommes accordé un aparté avec cette artiste pour qui le collectif prend le pas sur l’individualisme.

Tropi-Cléa 3 est le dernier né d’une série entamée en 2017 et dans laquelle tu as voulu mettre en musique ta dernière tournée américaine. Qu’est-ce qu’elle avait de particulière ?

Cléa Vincent : Elle est particulière parce qu’elle a duré trois semaines, ce qui est énorme parce que de nos jours les tournées ne durent jamais autant. Dans les années 70, on pouvait partir six mois en tournée, aujourd’hui c’est davantage des sauts de puce, 50 ou 70 dates l’année. C’était la toute première fois qu’on partait 3 semaines en groupe, dans des pays qu’on ne connaissait pas d’avant.

Elle a ceci de particulière qu’on a découvert ensemble de nouveau pays, en l’occurrence on est passé par 5 pays et on a fait dix dates en tout. Ça reste des pays latins dont on se sent vachement proche notamment au niveau de la langue. Dans l’avion à l’aller, j’ai croisé des regards des locaux quand on a atterri au Panama, j’ai senti une grosse puissance dans les regards assez noirs et particuliers.

Je me suis retrouvée à promouvoir mon disque sans jamais voir physiquement qui que ce soit.

Cléa Vincent

Avant ce 3ème projet, il y a eu le 2e qui a été très bien accueilli par le public. Est-ce que tu as le temps de le défendre parce qu’il y a eu la crise entre temps ?

Pas du tout, pas trop le temps de le jouer en live, ça va être l’occasion de le faire découvrir en concert, sachant que c’est un disque qui a été très bien accueilli. Il est sorti en avril en plein confinement et c’était super marrant parce que je me suis retrouvée à le défendre à distance avec les moyens du bord. Je m’étais équipée, j’ai acheté du matos pour que ça ne soit pas trop degueux. Ainsi de chez moi, je me suis retrouvée à promouvoir mon disque sans jamais voir physiquement qui que ce soit.

Justement est-ce qu’il n’y avait pas une frustration de ne pas être sur scène ? Parce Que c’est quand même le but d’un artiste après la sortie d’un projet

La frustration elle a durée deux ans, même si en réalité j’ai beaucoup joué finalement, puisque sans jamais transgresser la loi, j’ai quand même réussi à trouver des occasions. J’ai fait une tournée des jardins à travers la France pour un public réduit, j’ai joué dans la rue, j’ai fait des visites guidées avec mon pote où on réunissait six personnes seulement à cause des jauges réduites. N’empêche que j’ai beaucoup souffert, pas seulement par le manque de concerts, mais le manque de contacts, d’émulation. C’est plus que de la frustration que j’ai ressenti pendant deux ans, c’est vraiment un profond désarroi. J’ai vraiment manqué d’amour parce que l’air de rien c’est essentiellement ça, cette matière première l’amour, l’émotion, le désir et tout ce qui nourrissent ma musique et ma vie, et là je n’avais rien, j’étais entre mes quatre murs.

En sortant Tropi-Clea 2 il y avait un peu l’excitation de le défendre, ça m’a amusée deux secondes et au bout d’un moment, je me suis mise en mode guerrière en disant Ok je ne sais pas combien de temps ça va durer, hors de question que je ne joue pas, donc on va trouver des solutions.

C’est de cette frustration qu’est né cet album qu’on peut qualifier de collectif, composé avec tes musiciens ?

Pour dire que j’avais besoin qu’on se retrouve, qu’ils m’aident à écrire les titres qui me feraient plaisir. Les titres de mon album je les ai mis de côté pour le moment et voilà. Donc vraiment les copains, je dois que c’était vraiment important pour moi, car j’adore partager les moments de création, c’est hyper fort. Ça nous a renoué parce qu’on ne s’était pas revu depuis deux, ça nous a permis de remettre le pied à l’étrier.

Pour te dire toute la vérité, j’ai eu zéro chanson pendant un an et demi tellement je ne n’étais pas du tout inspirée par l’ambiance de la pandémie. Quelque part j’ai eu besoin de me challenger et j’ai appelé du renfort parce que je n’avais pas de chansons. J’adore écrire à deux et c’est vraiment les garçons qui m’ont donné envie de faire ce disque. Juste avant le confinement fin 2019, j’ai écrit énormément de titres, puis il y a eu le confinement et j’ai laissé tous ses titres dans un tiroir, mais qui n’étaient pas du tout Tropi Cléa 2.

Tu ne diras pas comme d’autres que cette période a été propice à la création ?

Ça a été l’inverse, le néant complet. En douze ans de carrière, j’ai eu des phases de sécheresse. Je me souviens après mon premier album, j’ai eu une période comme ça de deux ans où je n’ai rien eu. Ça arrive des fois, c’est pas grave. Normalement quand je n’ai pas d’inspiration, je prends des cours de musique. J’ai pris énormément de cours de jazz sur ces deux années, je me suis bien perfectionnée à l’instrument.

Ça reste quand même des morceaux un poil mélancoliques et pas forcément pop au final.

Cléa Vincent

Il tombe à pic ton EP, car il est parfait pour mieux apprécier ce début de printemps avec son ambiance entre samba et bossa comme dans « Recuerdo ». C’est une façon pour toi de tourner complètement le dos au confinement ?

Complètement, c’est le contre pied de cet enfermement. J’ai dit une connerie tout à l’heure, j’ai composé une chanson pendant le confinement qui s’appelle « les gens de la nuit ». Celle-là elle parle de confinement et derrière je me suis dit qu’on arrête de parler de ça et on a choisi de faire la fête. Bien que Tropi Clea 3 soit quand même un tout petit peu plus grisâtre que les deux premiers, on sent qu’on sort de quelque chose d’un peu difficile, même si sur « Recuerdo » on a réussi à mettre une ambiance de fête, ça reste quand même des morceaux un poil mélancoliques et pas forcément pop au final.

La lyric vidéo de Recuerdo, réalisée par Zeugl

Tu abordes la problématique des réseaux sociaux dans « Quelque chose qui me chiffonne », quel est ton rapport à ces derniers ?

Ce qui me chiffonne et ce contre quoi je lutte moi même, c’est l’égocentrisme. C’est le drame de notre siècle, ça fait beaucoup de dégâts a commencé par soi même, quand on est égocentré on souffre beaucoup. Moi je suis frappé parfois par les gens et j’en fait parti aussi, qui vont chercher à montrer sans arrêt ce qu’ils font, avec qui ils sont, à quel point ils sont cool pour qu’on leur jette des fleurs. C’est très bizarre de faire ça, c’est une espèce de monde parallèle dans lequel chacun se montre au meilleur de lui-même, c’est une grosse parade et franchement ça fait beaucoup de mal, mais pas que parce qu’il y’a aussi beaucoup de rigolade, mais le côté moi moi moi c’est hyper choquant. Même quand je vais sur mon propre compte, j’ai des frissons et en même temps il y a une envie aussi de communiquer, on sait que les gens sont sensibles à une photo, donc on joue une peu de ça. Je suis assez mal à l’aise avec tout ces trucs là et je suis moi-même évidemment en maximum de dopamine des que j’ai des like, c’est tout ça que j’interroge.

Mais avant tout, le mal du siècle c’est l’égocentrisme, c’est un truc que je traite notamment en psychanalyse, mais ce truc de se décentrer, d’arrêter de prendre les choses pour soi et de se comparer. Il vaudrait mieux, à mon sens, être les uns avec les autres, que de chercher sans arrêt à faire mieux. J’ai l’impression que nous sommes nombreux à souffrir de ça

Pour moi le secret du bonheur c’est d’avoir plein de terrain de jeu et ainsi ne pas être victime de ce système que je trouve très pervers.

Cléa Vincent

Tu penses qu’il y a une course à la concurrence ? Qu’on met les artistes tout le temps en concurrence ?

Ils sont mis en concurrence parce qu’il y a l’industrie musicale derrière qui pousse à la concurrence, à ce schéma pyramidal. Après moi ça ne me dérange pas dans le rap, je trouve ça trop marrant, ils ont une façon de le tourner, et finalement dans le rap ils ne sont pas egocentrés. Souvent c’est des familles, une bande de potes et je vois plus ça comme un jeu de bonne guerre et ils ont finalement l’air d’avoir l’égo assez bien placé. Contrairement à la pop où on axe beaucoup sur le physique, on est des portes manteaux. Si on regarde bien il y a des marques qui s’emparent des artistes après on devient des objets. Les artistes eux-mêmes s’enferment la dedans et deviennent très malheureux parce que ça les isole, ils deviennent tout à coup obséder par le nombre de vues comme si ça représentait la qualité de la musique. Donc moi je me méfie de tout ça, c’est pourquoi j’ai plein de projets de musique à côté, pour me protéger de tout ça. Pour moi le secret du bonheur c’est d’avoir plein de terrain de jeu et ainsi ne pas être victime de ce système que je trouve très pervers.

Et pour ne pas être victime du système qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Se lancer en indépendant comme toi ?

Être indépendant, après je ne le suis pas réellement parce que je dépend énormément de Midnight Special Records, c’est ma petite constellation. Je suis dépendante mais c’est des gens que j’ai vraiment choisi pour leur qualité humaine. Ça fait douze ans que je suis avec eux, ce qui prouve que la confiance règne.

Avec « Xela » tu nous plonges dans un monde où tout est à nouveau possible, un monde fait de traditions. Xela pour toi c’est la ville idéale ?

Ce qui est très intéressant au Guatemala, c’est que c’est un pays avec les volcans, il y a juste cette ambiance volcanique qui font imaginer des odeurs un peu de souffre qui sont très différents de ce qu’on peut avoir en France. Il faut imaginer des petites ruées avec des bâtiments assez bas, imaginer beaucoup de monde dans les rues, beaucoup de chaleur, de regards magnétiques. Des gens vraiment attirants par leurs histoires, leur sens de la fête, la discussion. On a eu de grands discussions avec certaines personnes qui par bonheur parlaient français. Encore aujourd’hui on ne connaît vraiment rien des villes par lesquelles nous sommes passés, mais ça nous a donné des sensations.

Qu’est-ce que je peux vous dire sur « Xela » ? Jai bu de la bière pimentée et j’ai trouvé ça fou. J’ai mangé de la street food, on a rencontré des gens marrants, on a commencé à se marrer, après on a fini dans un club qui faisait du reggaeton et puis dans un autre club, de clubs en clubs on se retrouve le petit matin à notre hôtel avec des gens qui a rencontré la nuit. C’était essentiellement des odeurs, des sensations, des rencontres et de la bouffe aussi. Le fait d’être en bande ça nous a renforcé dans notre connerie (rire).

Le clip de « Xela » réalisé par Lesly Lynch

Je fonctionne mieux à l’humain et à la rencontre, plus qu’au calcul.

Cléa Vincent

Tu partages un très beau moment avec Robin French de Sugarcane sur « Big bad wolf », surtout cette voix sensuelle qu’il a. Comment s’est passée la collaboration ?

Je suis d’accord qu’il a une voix extrêmement sensuelle, tellement douce. C’est marrant ce que tu dis, j’ai découvert sa version du morceau en adaptation en anglais et j’ai tout de suite accrochée. Dans l’industrie musique on me dirait par exemple « mais ouais il n’est pas connu ». Je ne me suis jamais posée la question, je ne suis même pas allée voir combien de like il avait sur Instagram, j’ai juste aimé sa voix. Je l’ai choisi parce que j’aimais sa musique et d’ailleurs je ne me suis pas trompée parce que quand il est arrivé, on s’est super bien entendu, c’est un mec génial.

Est-ce que tu as une sensibilité pour certains artistes dans le milieu ?

Oui, quelque fois d’ailleurs il y a des artistes pour lesquels je suis excrement sensibles mais qui vont me mettre de gros vents. Je pense notamment à Flavien Berger dont je suis fan, Sébastien Tellier, j’aime énormément Jacques … en fait on ne se connaît pas, mais si un jour j’ai l’occasion je leur proposerai. J’aime aussi énormément le groupe Paradis qui a arrêté malheureusement, dedans il y a Pierre Rousseau, c’est quelqu’un avec qui je rêve de travailler, l’occasion ne s’est pas encore présentée, on ne sait jamais, ça arrivera peut-être un jour.

Après cinq EP (Non mais oui 1 et 2 et Tropi-Cléa 1, 2 et 3) et les album Retiens mon désir (2016) et Nuits sans sommeil (2019), c’est quoi la suite ?

La suite en théorie ce sera un 3ème album qui devrait voir le jour début 2023. Là je viens de terminer d’écrire des chansons en séance de réécriture de deux semaine avec Jeanne Balibar, on a écrit 9 chansons ensemble. J’ai hâte de voir la suite. Il y a aussi ce groupe dans lequel je joue, c’est génial, ça se passe super bien, on a plein de dates. Je me rends quand même compte que j’aime jiezuxoko composer de la musique pour les autres et j’aimerais bien continuer de faire ça en parallèle.

Quel est la place de l’artiste dans un monde en crise ?

La vocation de l’artiste est de faire de la musique, hors de question de s’arrêter, jamais. L’idée c’est de garder le pied dans la musique quelque soit le contexte. Tu parlais de la pandémie, ça été super dure mais je ne me suis pas arrêtée, s’il se passait quoi que ce soit j’essaierai autant que possible de faire de la musique.

Aujourd’hui tu te vois plutôt comme artiste ? Compositrice ? Accompagnatrice ? Ou tu as besoin d’être sur scène pour t’exprimer ou pas forcément ?

Écoute c’est une super bonne question parce que je fais aussi beaucoup d’ateliers d’écriture avec les jeunes en ce moment. L’idée c’est que tant que j’apprends des choses musicalement et artistiquement, tant que j’ai des défis quelqu’ils soient, des challenges musicaux à relever, c’est absolument la même. Voilà, des défis et des rapports essentiels, et évidemment des concerts ça c’est la cerise sur le gâteau. Sauf que là après deux ans de crise, j’espère que si tout va bien, on va pouvoir en faire beaucoup, mais je ne suis sûre de rien.

Est-ce que c’est lourd pour toi de porter le qualificatif d’ambassadrice de la Nouvelle scène française. ?

Je dirais plutôt que je fais partie d’un vivier d’artistes et de musiciens en France et qui continuent à faire avancer ce fameux flux de matière musicale. Ambassadrice ? Franchement je ne crois pas beaucoup à ce terme parce que pour moi c’est que des vases communicants. Les vrais inovations elles ne vont pas naître d’une personne mais d’un vivier de gens dont je fais partie qui sont dans la recherche. « Ambassadrice » je trouve que ça ramène dans un truc de pouvoir ou de supériorité et pour le coup je crois que je ne suis pas trop dans le délire.

Pour toi le collectif prend le pas sur l’individuel, c’est pour ça que tu as voulu que tes musiciens t’accompagnent sur ce nouveau projet…

C’est super important le partage, l’humilité aussi et puis il y a la chance qui est toujours là, l’alignement des planètes. L’important c’est à nouveau d’être lié à la musique et d’être dans le plaisir.

Plus d’infos

Tropi-Cléa 3, le nouvel EP de Cléa Vincent est disponible sur toutes les plateformes.

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