La perte d’êtres chers, le vide sentimental, l’errance sociétale, la chagrin au masculin… autant de thèmes forts de sens et d’émotions évoqués au fil des onze titres du nouvel album de Martin Luminet, disponible dès ce 17 Février. Rencontre d’un artiste sincère à la sensibilité désarmante de talent.

Elle gronde la révolte. En nous, autour de nous, dans le ticket de caisse ou encore le jerrycan…. Et dans la musique aussi, à l’image de celle de Martin Luminet, élan vital de celui qui a connu de multiples trépas factuels et personnels …. …Et qui sur un sublime et nouvel album « Deuil(s) » paru ce 17 Février en entonne une talentueuse oraison. Phenixwebzine a recueilli pour vous les confidences d’un auteur compositeur et interprète au magnétisme solaire, bénédiction poétique au sein d’un univers artistique souvent à bout de souffle. De quoi terrasser sans remords et en rythme la noirceur humaine, à travers une prose intense, sépulcrale, d’une vivacité animale inouïe.

Bonjour Martin, votre nouvel album Deuil(s) est sorti depuis quelques semaines, comment vous sentez-vous ?

Très honnêtement je me sens très bien, je crois que je suis assez heureux des choses qui s’inscrivent dans le temps donc j’espère qu’on me posera encore cette question car c’est un album que j’ai eu sous la peau pendant quasiment un an… Il a fallu le laisser infuser, l’écrire, l’affronter, le mettre en musique… et j’ose espérer qu’il intéressera et qu’on continuera d’en parler. En tous cas j’espère très fort qu’il continuera de me porter pendant longtemps. Pour l’instant je vis une naissance d’album assez idéale car j’ai l’impression qu’il y a un écho qui est fait à ces chansons qui ont été lancées dans le vide, comme tous les exercices d’album ou de geste artistique, on jette quelque chose dans le vide et on voit s’il y a un écho, s’il y a quelqu’un au bout du fil et pour le moment j’ai des réponses qui me réconfortent beaucoup.

Martin Luminet (c): Crédit photo Anoussa Chea )

Cet album semble comporter tout un versant personnel expiatoire, la musique pour vous c’est une manière d’exprimer des émotions refoulées ?

Je ne saurais le dire, je crois que j’essaye d’être le plus aligné possible entre ce que je suis dans la vie et ce que je suis dans mes chansons. Le fait d’avoir la possibilité d’écrire des chansons permet de revenir sur certaines émotions qui ont peut-être été trop débordantes dans la vie, qui m’ont un peu dominé ou au contraire que j’ai voulu contourner, par lâcheté ou par manque de force à ce moment-là. Ce qui est sûr c’est que la musique ne me permet pas d’être quelqu’un d’autre, elle me permet au contraire d’être pleinement moi et d’aller justement dans ces émotions que la vie sociale nous demande d’effleurer, sans doute par instinct de survie, pour ne pas tomber dans de trop grandes émotions, trop radicales ou submersives. Or la musique permet de se plonger dans une émotion à corps perdu et de voir jusqu’où elle nous mène. Il est certain que je n’aurais pas une vie équilibrée sans elle, sans le fait d’avoir des émotions plus fortes que moi, car hélas c’est ma nature. Je ne pense pas diriger mes émotions, ce sont plutôt elles qui me dirigent et heureusement qu’il y a la musique pour en faire quelque chose, car je crois que sinon je sombrerais dans la folie ou la sidération.

Pourquoi un tel titre ? Et pourquoi au pluriel ? Petites morts, pertes d’êtres chers, trépas symboliques ?

Au début je voulais amener dans le titre tout le cheminement que j’avais rencontré, à savoir partir d’une tristesse, suite à la perte de quelqu’un qui m’était très cher, mon grand-père, qui a créé un immense vide dans ma vie, et qui a été ensuite surplombé par la perte d’un amour qui m’était très cher aussi. La musique a alors été comme une caméra pointée sur les émotions que je traversais. Je me prenais de plein fouet beaucoup d’émotions fortes, d’émotions subies, et j’essayais en parallèle de vite les écrire, de vite mettre des mots dessus… Je pense que c’était surtout pour les délimiter à la base car si on délimite les choses, au bout d’un moment elles nous font un peu moins peur. J’avais besoin de délimiter un peu la tristesse, de savoir où elle allait, jusqu’où s’arrêtait…

J’étais dans la création, j’éprouvais des choses en temps réel et je les écrivais en même temps… Je voulais arriver jusqu’au dénouement que j’ai vécu, à savoir me sentir libéré du vide, de l’absence, accepter le départ, la perte de personnes qui m’étaient chères… Pour moi tout cela c’était la définition du deuil, tout du moins de ce que j’éprouvais : d’abord la grande tristesse soudaine de voir quelqu’un disparaître de sa vie et puis ensuite la construction à partir du vide, l’acceptation de cette place dans nos vies et quelque part presque la gratitude envers le vide que peuvent laisser certaines personnes dans nos vies, car cela veut dire qu’elles ont compté extrêmement fort. Donc pour moi c’est un disque sur l’absence et sur tout ce que certaines personnes m’ont apportées et m’ont aidé à me construire.

Il y a beaucoup de votre vécu personnel et d’expériences douloureuses ressentis à l’écoute de cet album, diriez-vous que les coups de la vie sont votre moteur d’inspiration ?

Ce qui est certain c’est que j’aime écrire sur des choses lorsqu’elles se sont passées. Je ne fais pas partie de la philosophie qui dit qu’il faut écrire quand on est triste ou qu’il n’y a que ça qui est intéressant. D’ailleurs je n’ai pas eu l’impression de faire un disque triste, en tous cas ma démarche n’était pas la tristesse, c’était la lucidité. Certes c’est de la lucidité face à la tristesse mais c’est aussi de la lucidité face à ce qui nous reste comme espoir d’un point de vue collectif, social, d’un point de vue générationnel… Qu’est-ce qui nous reste comme force, qu’est-ce qu’on peut réunir encore comme forces pour affronter le siècle qui arrive ?

Les coups de la vie rendent bavard, cela donne de la matière car ça secoue tout un écosystème à l’intérieur et en faisant tomber des choses, on les ramasse, on les regarde et on réinterroge notre rapport à l’amour, à l’attachement, notre rapport à la famille, au manque, au fait de s’accomplir soi… Les coups de la vie sont moteurs de l’inspiration mais pas uniquement les sales coups de la vie, je pense que tous les coups sont permis dans la création. Pour moi ce disque engage vers la lumière, vers du mouvement, vers le fait de se relever. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait un disque qui décrit des sentiments à terre.

Les visuels prennent une place importante dans votre processus créatif, surtout vos clips, avec des procédés rappelant les codes cinématographiques, c’est indissociable pour vous ?

Oui, j’aime beaucoup le cinéma, c’est un art auquel je suis extrêmement sensible car je pense que c’est lui qui m’a amené à la musique. Je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un de très littéraire, je n’ai pas une culture littéraire très poussée et je ne me suis jamais construit grâce aux livres, mais je crois que je me suis toujours construit grâce aux films. Je crois que je suis arrivé à la musique grâce au cinéma car il y avait un ciné collé à ma fac et je n’ai pas mis les pieds à la fac pendant un an et demi… j’étais tous les jours à la première séance le matin, à regarder des films de manière compulsive, en étant tout seul dans la salle quelquefois. Cela m’est resté. C’est un art qui me fascine et que j’ai envie de garder près de moi, donc c’est vrai qu’avec la musique et le fait de créer des clips, c’est un bon prétexte pour concevoir des petits objets cinématographiques. Et même quand j’écoute les chansons d’autres artistes, j’imagine des clips qui pourraient exister dessus, quelles images pourraient fonctionner…

Je trouve que la musique fait beaucoup de choses mais elle a du mal à retranscrire le silence et moi j’aime bien le silence, j’aime bien ce qui se passe dans un silence, quand on est bouche bée, ce qui se passe dans un malaise, dans un désir qu’on essaye de taire… Ce silence-là est palpable au cinéma alors que dans la musique c’est beaucoup plus dur, donc je me sers un petit peu des clips pour créer des espaces de silence sur mes chansons. Je fais autant attention aux visuels des singles, des pochettes… qu’aux clips qui accompagnent le disque, pour qu’en un seul plan, visuellement, on puisse être marqué par quelque chose et qu’on puisse ressentir, peut-être pas l’entièreté de la chanson mais ce qui s’y joue, les enjeux de cette chanson et les émotions qui sont engagées dans le récit.

Qu’est-ce qui porte au quotidien Martin Luminet ? Qu’est-ce qui vous transcende ?

Je crois que ce qui me porte au quotidien c’est un mélange de grande curiosité et de colère saine. Je sens que je suis extrêmement sensible à l’injustice, et ce de plus en plus, je suis assez en colère en ce moment car il y en a beaucoup et de partout. J’essaye de bien dissocier la colère de la haine, je crois que la colère est quelque chose d’assez sain et que la haine est plutôt quelque chose de destructeur. Je crois donc que la colère que j’ai, cette indignation, fait que je reste sensible aux choses, aux gens, aux situations. Je le résume à la colère mais je crois que c’est une forme de sensibilité à tout, donc dans cette sensibilité il se passe des choses négatives et des choses positives, car on est sensible à l’amour, à tout ce qui peut nous traverser en petites doses d’ouvertures sur l’espoir ou d’ouverture sur le fait d’être de meilleurs êtres humains. Je crois que ce qui me porte au quotidien c’est le fait d’être un peu sensible à tout et à tout le monde. Cela peut être un piège aussi car il est certain que je rentre beaucoup en empathie avec les choses et les gens, mais je crois que je préfère ce problème-là plutôt qu’une grande fermeture au monde.

Pour moi une chanson est finie quand elle est sur scène …

Deuil(s) a-t-il pour vocation principale de s’exporter sur scène ? Comment percevez-vous le contact avec le public ?

Absolument, sa mission première est d’être sur scène. Pour moi une chanson est finie quand elle est sur scène, le geste est terminé quand il est sur scène, car on a cette chance-là dans la musique de pouvoir voir la réaction des personnes qui écoutent nos chansons. Alors qu’au cinéma on ne peut pas se pointer dans chaque salle qui diffuse son film et voir si les gens rigolent au bon endroit, ou en littérature on ne peut pas se mettre par-dessus l’épaule de nos lecteurs et voir s’ils pleurent au bon endroit… Dans la musique on a la chance de pouvoir voir en temps réel la réaction en temps réel, avec des émotions très fortes qui nous traversent et qui traversent d’autres personnes qui n’ont pas la même vie, la même histoire, le même âge que nous… et pourtant on est connecté par cette émotion-là. Cela me rassure beaucoup, je me dis tiens que les émotions gomment un peu toutes les différences. Les émotions nous réduisent au rang d’espèce humaine et c’est plutôt une bonne nouvelle. Il est certain que je fais des chansons pour finir sur scène, pour qu’elles soient entendues sur scène, pour que je puisse les chanter sur scène. Pour moi c’est à ce moment que l’album commence vraiment à exister. Donc j’ai hâte que ces grandes cérémonies de deuils puissent commencer.

Clip officiel de “Deuil” réalisé par Valerian Marguery & Martin Luminet

On ressent également une grande mise à nu de vous-même, un besoin d’assumer vos failles et surtout votre sensibilité sur cet album, quel genre d’homme êtes-vous Martin Luminet ?

Je ne sais pas quel genre d’homme je suis et j’espère ne jamais trouver la réponse à cette question. J’espère m’en rapprocher à chaque fois mais j’espère plus soulever des questions dans la vie, que trouver des réponses aux choses. J’aime le fait de se poser des questions, de remettre en question des choses, des schémas, des situations, des automatismes qu’on pense avoir… J’ai besoin de trouver une forme de vérité sur soi et j’ai aussi besoin de me dire que je ne suis pas tout seul à le faire. Peut-être que je le fais aussi pour créer une envie chez les autres, pour qu’ils s’autorisent aussi à faire toutes ces remises en question. Si on affronte tous nos vulnérabilités, on deviendra moins vulnérables, je crois que c’est cela mon grand rêve de vie, qu’au bout d’un moment on se regarde tous pour se dire qu’on n’est pas si différents, qu’on est tous singuliers certes mais qu’on a beaucoup mieux à faire à regarder nos points communs, pas nos différences. C’est mon point pour les prochaines présidentielles évidemment.

Je crois que j’ai besoin de regarder les choses, droit dans les yeux, celles que je rate, que je regrette… pas pour m’accabler mais pour être lucide sur ce qu’on est et arrêter de croire qu’il existe une forme de perfection philosophique ou de l’esprit. Je pense que les personnes les plus cinglées sont celles qui cherchent cela ou qui prétendent cela. Je crois qu’il faut essayer d’arriver à se regarder tel que l’on est et essayer de se rencontrer. Et je pense que c’est cela la quête de toute une vie, en tous cas c’est la mienne : d’arriver à me rencontrer moi et que cette rencontre puisse être une ouverture vers la rencontre à l’autre, ou du moins que ce soit à chaque fois indissociable du fait de vouloir rencontrer d’autres personnes, d’autres histoires, d’autres tourments et d’autres quêtes. C’est une vaste question mais je crois que je ne saurais pas dire quel genre d’homme je suis, je ne sais pas encore ce que je suis, je suis en train de cheminer et de trouver.

Être un artiste en 2023, qu’est-ce que cela vous inspire-t-il ? Vous sentez-vous à l’aise, ou une remise en question permanente ?

Je crois qu’on a beaucoup de chance d’être au sein d’une époque qui est en train de vivre de grands bouleversements. Petit à petit il y a des choses qu’on ne peut plus ignorer : le patriarcat destructeur, le racisme ancestral, toutes ces choses qu’on fait subir à des minorités… C’est une très bonne chose, je crois qu’on est en train de faire une certaine forme de révolution sociale, sociétale qui est assez nécessaire et qui, je trouve, est assez salvatrice sur plein de sujets. Être un artiste en 2023 c’est être témoin de grandes transformations pour moi, on est assez servi en termes de catastrophes, de tensions, de révoltes, de choses qui ne se passent pas bien. On ne peut plus ignorer que le monde est en train de courir à sa perte, d’un point de vue climatique et social, et qu’on a complètement rabaissé certaines personnes pendant des siècles… Donc ça il faut que ça change. Le mauvais point là-dedans est qu’il ne faudrait pas que les artistes musicaux passent à côté de ces choses-là.

Historiquement tous les grands mouvements de libération, de révolte, ont été accompagnés par des grands mouvements artistiques, que cela soit en musique, en cinéma… Là j’ai l’impression que le monde est en train de bouger, est en train de se fracturer sur plein de sujets et il serait triste que les artistes musicaux ne s’emparent pas de cela, qu’on passe à côté de l’Histoire, qu’on ne soit pas capables justement d’aller justement sonder ce qu’il se passe dans cette décennie, ce qui ne tourne pas rond… Ce serait trop bête que dans 10 ans, artistiquement il ne se soit rien passé parce que tout le monde serait resté mutique, n’ai osé y aller ou qu’on est considéré que l’industrie était plus importante que la partie artistique de la vie musicale. Être un artiste en 2023 c’est à la fois fascinant et d’une très grande responsabilité, je trouve. Personnellement je suis en remise en question permanente, même quand je ne fais pas de la musique. C’est un enfer à vivre mais je crois que c’est une hygiène de vie pour ne pas s’empâter.

Je fais de la musique sans essayer de trouver une recette miracle ou une signature.

Comment imaginez-vous la suite de votre cheminement artistique ? Collaborations, tournées, explorer d’autres pistes, styles musicaux … ?

Souvent on pense qu’on va faire de la musique toute sa vie. De mon côté je crois que je fais de la musique sans essayer de trouver une recette miracle ou une signature. J’ai choisi un métier artistique justement pour ne pas être dans l’habitude, pour me faire surprendre, pour ne pas tomber dans une certaine forme de routine ou de répétitivité du geste ou de l’esprit. Honnêtement je n’ai pas de plan en tête, je sais juste qu’il y a des choses qui m’intéressent et qui m’intriguent.

Je pense que la musique fera toujours partie de ma vie mais je suis aussi attiré par l’écriture de formats plus longs comme un scénario de film par exemple, quelque chose où on pourrait mettre un peu plus de temps lent et de temps long que dans la musique, où on pourrait faire murir une émotion un peu plus longtemps que sur un format éclair. Je suis aussi fasciné par le spectacle vivant qui tourne autour des corps, j’aime beaucoup la danse, j’aime l’idée d’écrire un spectacle qui ne soit pas uniquement un concert, essayer de trouver une écriture qui soit au croisement de plusieurs choses… Pour moi ce serait sûrement un croisement entre le cinéma, la musique et l’expression corporelle, quelque chose dans le dépassement de soi, où je ne sois pas au centre. Mais je pense que, dans tous les cas, je continuerais à écrire encore et toujours.

Comment construisez-vous vos titres ? Textes en premier, instrumental ensuite ou l’inverse … marchez-vous au feeling, construction méthodique… ?

C’est un peu comme ce que je le disais précédemment, j’essaye de ne pas avoir de recette prédéfinie car je sais qu’avoir une recette, une routine ou une petite superstition fait que s’il y a un élément qui n’est pas présent au moment d’écrire, cela annule toute la création. Or je préfère que le moteur principal de la création soit la spontanéité. J’essaye donc à chaque fois de gommer les petites méthodes ou les petites certitudes que j’ai quand j’écris, et de ne jamais écrire de la même façon. Dès que j’ai un truc qui marche, plutôt que m’engouffrer là-dedans, j’essaye de faire l’inverse et de partir du principe que je ne sais pas écrire.

C’est assez vertigineux comme façon de faire mais je crois que c’est ce qui crée l’urgence et le fait d’avoir un vrai enjeu à l’idée d’écrire. Je n’ai donc pas de méthode ou de recette, si ce n’est que je mets de côté pas mal de choses, j’écris des phrases, des toplines ou des sentiments dont je suis témoin, auteur ou victime, je les écris, je les mets cela de côté et puis après je dispatche cela chez moi sur des petits canevas différents : une chanson qui pourrait parler de ça, un texte qui pourrait parler de ça… Mais après pour ce qui est vraiment de la création d’une chanson, j’essaye de ne pas avoir de rituel, car j’ai trop peur que le rituel dépasse après la spontanéité.

Je trouve que le monde de la musique manque d’engagement, je crains un peu que la musique devienne trop tiède….

Vous sentez-vous engagé, à travers la musique, à défendre des thèmes particuliers, des causes qui vous tiennent à cœur ? Derrière Deuil(s) y’a-t-il un souhait de toucher une pensée collective ?

Absolument et d’ailleurs j’aimerais bien remettre sur le devant de la scène la notion d’artiste engagé. Pour moi l’artiste engagé ce n’est pas seulement l’engagement politique, par exemple je me sens très engagé dans l’intime, dans le fait de vouloir déconstruire plein de choses, des schémas, vouloir se déconstruire soi et avancer… C’est une forme d’engagement pour moi, et un engagement qui n’a aucune bannière politique, qui n’a même aucune bannière tout court, c’est l’engagement dans l’intime : comment on fait pour devenir soi et pour devenir un meilleur être humain ? Je me sens profondément engagé là-dedans et je ne vis pas la musique comme un travail, mais comme un engagement, un acte de foi en quelque sorte, de foi en l’être humain.

J’aimerais bien qu’on dépoussière et qu’on déringardise ce côté chanteur ou chanteuse engagé(e) car je trouve que le monde de la musique manque d’engagement, je crains un peu que la musique devienne trop tiède. Effleurer des choses du bout des lèvres ne suffit pas, je pense que notre époque n’est pas à la légèreté et qu’il faut regarder frontalement les choses, les embrasser frontalement ou les rejeter frontalement, mais ne pas être dans une espèce de mollesse, de neutralité, qu’on veut nous faire croire plus vendable… La phrase qu’on entend tout le temps : « non mais les gens ne veulent pas se prendre la tête avec ça, ne veulent pas écouter ça… » me sort par les yeux en fait, il faut laisser les gens choisir. Il faut de l’engagement dans la musique, sinon elle va devenir quelque chose d’assez inconsistant et qui ne nous fera plus vraiment frissonner, cela nous divertira. Et je pense que la musique a plus de noblesse qu’un simple divertissement.

Se dévoiler n’est pas aisé, encore plus en musique, êtes-vous sensible à la critique, vous sentez-vous perméable aux ressentis des autres ?

Je suis sensible à tout donc malheureusement la critique en fait partie, mais je sais que c’est un jeu qu’il faut aussi savoir raisonner et savoir accepter. Tout le monde a le droit de donner son avis, même si c’est blessant, on ne peut pas lutter contre cela. Je pense notamment aux commentaires qu’on peut lire sur les réseaux sociaux, c’est une grande arène où les gens commentent sans vraiment de bravoure, chacun vient lâcher son commentaire comme on jette un papier négligemment dehors, sur le trottoir et qu’on laisse traîner. Je pense qu’il faut réfléchir un peu à notre geste, à ce qu’on veut dire et au fait que certains mots vont droit au cœur des auteurs et des autrices de création… Je suis sensible à cela, je ne suis pas particulièrement victime de cela mais je crois ce que certains artistes encaissent et je suis assez admiratif. Ce genre de commentaires me désole un peu du niveau du courage et du niveau d’échange qu’il y a… Je ne pense pas que les commentaires soient une bonne chose pour la musique, et les arts, l’échange nous élèverait un peu plus. Les commentaires permettent certes de s’endurcir mais je ne crois que ce soit très sain.

Durant l’élaboration de Deuil(s), par qui étiez-vous entouré (enregistrements, mixages, etc.) ? Des lieux & des conditions de création bien particulière ?

J’étais surtout entouré par Benjamin Geffen, qui a composé ce disque avec moi et qui a réalisé l’intégralité des arrangements. Il a été un allié et un frère de son très important et inspirant car il me permettait de me concentrer sur la création de mes chansons, mes mélodies et mon texte. J’ai une confiance absolue en ces goûts et je sais l’empathie qu’il y met et la place qu’il me met dedans pour que quoiqu’il arrive cela me corresponde et me plaise. Il fait de la composition sur mesure donc c’est assez précieux d’avoir quelqu’un qui met tout ego de côté et qui a envie non pas de composer sa musique ou ma musique, mais la musique qu’on aime tous les deux et qui est à la croisée de notre rencontre. Cette façon de faire de la musique me plait beaucoup. Et c’est quelqu’un avec qui je ne partage pas que les goûts musicaux mais aussi les valeurs humaines et qui est un véritable ami dans la vie. J’ai parfois l’impression qu’on fait de la musique un peu comme un groupe et c’est très beau, ça me plaît de considérer la musique comme un sport d’équipe.

L’autre personne très importante de l’équipe c’est Marion Richeux, ma manageuse. Quand on dit “manageur” c’est toujours un peu restrictif, car on pense que c’est le garant ou la garante de la stratégie de la musique, or Marion, au-delà de la stratégie, est surtout la garante du temple artistique, de ce que je déploie. C’est à elle que je fais lire mes textes dès le début, je l’écoute quand elle me dit : là tu peux approfondir un peu plus, ça tu l’as déjà dans d’autres chansons, tu l’as déjà suggéré, allons plus loin… c’est vraiment une complice. C’est une chance que j’ai de l’avoir rencontré et qu’on se soit mutuellement choisis. Je suis extrêmement heureux et reconnaissant de cette rencontre parce que c’est une personnalité rare dans le paysage de la musique, notre relation est très portée sur l’aspect artistique et cela me rassure beaucoup.

L’écriture de ce disque s’est faite en Auvergne surtout, dans une maison au milieu des bois. J’avais besoin d’être tout seul pour écrire donc je me suis mis face à moi-même pendant 15 jours. Et ensuite nous sommes partis à Saint-Etienne pour composer et enregistrer le disque. Donc cela s’est fait autour de Lyon et de la Bourgogne, qui sont les territoires de mes origines, donc c’était assez plaisant.

Aimez-vous vous démarquer de Martin Luminet ? Volonté consciente ou inconsciente d’aborder très frontalement les soucis, peines, traumas ?

En choisissant comme nom de scène mon nom de vie, je crois que j’essaye justement de ne pas du tout dissocier l’homme de l’artiste. Mon but c’est vraiment d’être pleinement moi, je m’engage en tant qu’artiste et qu’être humain, avec mon identité propre dans cette voie-là. Je n’épargne pas les soucis, les peines, les traumas, car pour moi c’est justement la fonction de la musique, elle m’aide à aborder tout cela, à sonder, à mieux comprendre… Je ne pense pas que la musique m’aide à surmonter tout cela, je ne pense pas qu’il faille se servir de la musique pour surmonter la peine ou quoi que ce soit, mais je pense qu’avec la musique on peut essayer de de la comprendre, de la délimiter, de la sonder, de découvrir quoi est fait cette peine, quand on parle de peine bien sûr… La musique nous permet de découvrir de quoi sommes-nous faits, ou en tous cas d’essayer.

Que peut-on vous souhaiter là tout de suite ?

Que la tournée soit longue et heureuse et surtout qu’on retourne, globalement, dans les salles de spectacle. Après la crise du Covid, j’ai l’impression qu’il y a un muscle qui s’est un peu atrophié chez chacun d’entre nous, qui est de moins sortir, de moins se laisser prendre par la curiosité d’aller voir des choses qu’on ne connait pas… Il est certain que les salles de spectacle, de cinéma, de théâtre… peinent à remplir. D’un point de vue globale et sociétal, je pense que ce qu’on peut nous souhaiter c’est qu’on retrouve et qu’on réactive ce muscle-là, le muscle de la curiosité, de la fascination, du goût du risque… le muscle de se nourrir culturellement tout simplement. J’aimerais qu’on ne tombe pas dans ce piège de trouver du confort à rester chez soi et j’espère très fort que nous allons reremplir un peu les salles de spectacle pour qu’on revive cette liesse-là car ce qui nous rend vivant et c’est ce qui nous connecte au moment présent. J’ai très envie que les salles se redéployent et qu’on les reprenne d’assaut.

Retrouvez toute l’actualité de Martin Luminet sur ses réseaux sociaux :